Prochain budget fédéral : la productivité d’abord
Le Canada est aux prises avec un problème de productivité depuis des décennies et, malgré les efforts croissants déployés, n’a pas su renverser la tendance. En effet, la majorité des indicateurs révèlent que le Canada est loin d’avoir obtenu une performance optimale ces dernières années. La productivité du travail, malgré un soubresaut durant la pandémie, n’a pas progressé par rapport à 2019.
L’investissement, dont témoigne la formation brute de capital, a diminué jusqu’à atteindre un niveau comparable à celui observé en période de récession. Nous consacrons une trop grande part des investissements au marché de l’habitation, et nous n’arrivons même plus à loger tout le monde. Tous ces facteurs nuisent à notre capacité à créer de la richesse, de sorte que le produit intérieur brut (PIB) par habitant est retombé à sa valeur de 2017.
Le modèle de croissance actuel, qui dépend principalement de la croissance démographique, c’est-à-dire de l’augmentation du nombre de travailleurs, connaît manifestement des ratés. L’économie canadienne ne parvient pas à créer suffisamment d’emplois pour les nouveaux arrivants, ce qui fait augmenter le chômage dans ce segment de la population. La pression exercée sur le marché de l’habitation rend les loyers inabordables, tout particulièrement pour les nouveaux arrivants.
Non, le Canada n’a pas forcément besoin de plus de main-d’œuvre, mais bien de davantage de capitaux et d’une croissance alimentée par la productivité. De nombreux pays à l’échelle du globe mettent actuellement cette approche en œuvre et voient leur situation s’améliorer. En Europe, la Finlande, l’Allemagne, la Suède, la Belgique, l’Autriche, le Danemark et la Norvège, pour ne nommer que ceux-là, génèrent autant de richesse par habitant que le Canada, sinon plus, alors que leurs résidents travaillent moins d’heures en moyenne. Ces pays sont plus prospères et financent mieux leurs services publics, et leurs travailleurs gagnent des salaires comparables ou supérieurs aux nôtres, tout en jouissant de davantage de congés par année.
Des changements structurels s’imposent
La faiblesse de l’innovation et de la productivité au Canada est en partie attribuable à des causes structurelles. La composition de notre économie et les changements récents n’ont pas favorisé la croissance de la productivité. La stagnation du secteur manufacturier a eu une incidence sur la production de biens à forte valeur ajoutée. Notre industrie la plus productive, celle des ressources naturelles, souffre toujours d’un manque aigu d’investissement qui freine considérablement la croissance de sa productivité. Notre économie mise plutôt sur la consommation et l’habitation, ce qui fait croître les secteurs qui extraient de la valeur du marché intérieur au lieu de créer et d’exporter de la valeur économique. Depuis 2023, le nombre d’emplois a augmenté deux fois plus vite dans le secteur public que dans le secteur privé, ce qui n’aide en rien la productivité nationale.
Les États-Unis sont le plus grand partenaire économique du Canada, ce qui est particulièrement avantageux sur le plan du commerce. En effet, nous avons ainsi accès à un marché beaucoup plus important et beaucoup plus riche que le nôtre, ce qui nous a permis de dégager une balance commerciale positive de plus de 100 G$ en 2023. Les biens, les services et la main-d’œuvre circulent donc somme toute assez librement entre les deux pays. Par conséquent, il peut être difficile d’attirer du personnel qualifié et des capitaux, et de les conserver. Nous devons rivaliser avec nos voisins en matière d’environnement d’affaires et de politiques économiques. Nous n’y réussissons pas très bien actuellement, les capitaux se dirigeant plutôt au sud de la frontière. La hausse de l’investissement par travailleur a été de 35 % moins élevée au Canada qu’aux États-Unis, et notre PIB par habitant, qui correspondait à environ 80 % de celui de nos voisins, a récemment chuté pour s’établir à 70 %.
Pour s’attaquer au problème, une étroite coordination à l’échelle nationale sera essentielle, compte tenu des chevauchements entre les financements et les responsabilités considérables des divers paliers de gouvernement. Or, les incitatifs concordent rarement, ce qui complique la collaboration. Le pays bénéficierait assurément d’une plus grande harmonisation des politiques économiques et industrielles. Il suffit de voir le nombre démesuré de programmes gouvernementaux visant à stimuler la productivité ou l’innovation pour constater le manque de coordination sur ce plan. Qui plus est, des obstacles majeurs au commerce interprovincial sont toujours en place, sept ans après la signature de l’Accord de libre-échange canadien. Nous craignons le protectionnisme des États-Unis dans la foulée des élections américaines, quand des entraves gênent encore la circulation des biens, des services et de la main-d’œuvre à l’intérieur de nos propres frontières.
Si la solution était simple, nous l’aurions déjà mise en œuvre
Le problème de la faible productivité au Canada depuis des décennies est tellement complexe que les programmes individuels ou graduels ne suffisent pas à renverser la vapeur, comme en témoigne l’absence de résultats concrets après toutes les annonces faites au fil des ans. Comme le suggère CPA Canada dans son mémoire prébudgétaire, le gouvernement devrait mettre en œuvre un programme pangouvernemental axé sur la productivité et désigner des parties prenantes centrales qui devraient rendre compte des progrès réalisés. En bref, il faut lever les contraintes qui entravent le secteur privé et avoir une vision claire de l’orientation que nous voulons donner à notre économie.
Le milieu des affaires demande d’ailleurs depuis des années la réduction de la paperasse, et la simplification du système fiscal et du processus d’évaluation environnementale. Le travail à faire pour mettre en œuvre des mesures en ce sens s’étalera sur des années et débordera du cycle électoral. Nous avons commencé à travailler sur certaines de ces mesures, mais aucun progrès digne de mention n’a encore été réalisé. À ce jour, les gouvernements n’ont pas osé apporter de changements importants au système fiscal ou au système réglementaire. Ils ne se gênent toutefois pas pour ajouter de nouvelles mesures fiscales ou réglementaires, ce qui a créé davantage d’incertitude pour les entreprises. En définitive, il faut créer des conditions « idéales » pour que les entreprises du secteur privé puissent se livrer concurrence et innover.
Pour ce qui est de l’orientation que nous souhaitons donner à l’économie, le Canada est à la fois trop grand et trop petit pour mener un grand nombre de programmes d’envergure, comme Robert Asselin l’explique avec éloquence. Il faut concentrer l’aide financière dans certains secteurs, sous-secteurs ou technologies pour qu’elle produise un effet notable. L’approche actuelle, qui consiste à financer ponctuellement de grands projets d’investissement, vient politiser les décisions relevant de la politique économique et, du point de vue de la productivité, n’a pas donné les résultats escomptés. L’aide financière publique doit plutôt coïncider avec les orientations stratégiques et être injectée là où elle est nécessaire pour encourager l’investissement.
N’oublions pas le secteur public et le secteur des services
Le secteur public emploie près du quart de la main-d’œuvre canadienne et a aussi un rôle important à jouer pour stimuler la productivité au pays, surtout compte tenu de la croissance démographique des dernières années qui exerce une pression sur les services publics. Pour assurer le maintien de ces services, le secteur public doit donc lui aussi réaliser des gains de productivité. Nous avons des attentes très élevées envers les personnes qui fournissent certains services, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation (infirmières et infirmiers, enseignantes et enseignants, médecins, etc.). On leur demande de servir davantage de Canadiens, ou encore d’améliorer la qualité des services. Nous ne semblons toutefois pas avoir les mêmes attentes envers le volet administratif du secteur public.
Grâce à l’utilisation accrue de l’automatisation et de l’intelligence artificielle dans le travail de bureau, un plus petit nombre de travailleurs devrait pouvoir en faire plus, et les processus administratifs, qui représentent une grande proportion du travail du gouvernement, devraient être simplifiés. Les autorités pourront donc accorder les permis de construire plus rapidement et utiliser moins de ressources pour traiter des dossiers d’immigration, et le fardeau administratif du personnel de la santé devrait s’alléger.
En plus de mettre en œuvre un programme pangouvernemental axé sur la productivité, il faut aussi examiner les politiques publiques, la prestation des services et les dépenses publiques dans une optique de productivité. C’est seulement ainsi que nous arriverons à maintenir notre niveau de vie de génération en génération.