Un ouvrier à l’extérieur d’une maison en cours de construction
Affaires et économie

L'ambitieux Plan du Canada sur le logement sera-t-il à la hauteur des défis ?

Des risques inflationnistes, au rehaussement du support pour les acheteurs d’une première propriété, le Plan fait naître plusieurs questionnements.

Avec les prix de l’immobilier qui ont triplé depuis 2005 et les loyers ayant augmenté de 20 % depuis la pandémie, l’habitation est l’une des plus grandes préoccupations des Canadiens. Le gouvernement fédéral a élaboré le Plan du Canada sur le logement en marge du budget de 2024, un plan ambitieux, très ambitieux. Ce dernier vise à doubler le nombre d’unités en construction au Canada.  

À certains égards, le Plan soulève beaucoup de questions, il est légitime de se demander s’il pourra renverser la tendance sur le marché de l’habitation.   

Dans quelle mesure pouvons-nous accroître la construction sans amplifier l’inflation ?  

Au plus fort de la pandémie, lorsque l’épargne excédentaire a été dépensée dans la construction et l’immobilier, on s’est retrouvé avec une hausse historique de 25 % du nombre d’habitations construites, qui n’a cependant pas duré. Cela demeure très loin de la cible d’augmentation de 100 % du Plan.  

Cet influx d’argent dans la construction s’est accompagné de dommages collatéraux : les prix de la construction résidentielle ont augmenté trois fois plus rapidement que l’inflation. Les sommes investies pendant la pandémie étaient élevées, mais semblables aux investissements des années 1970 et 1980. Cela illustre que le seuil plafond d’investissement que le secteur peut absorber avant de se transposer en inflation est plus faible par rapport aux années antérieures.  

En outre, il y a également des implications pour la construction non résidentielle qui compétitionne pour les mêmes ressources. En fait, les pressions exercées sur les prix de la construction résidentielle peuvent avoir une incidence sur les prix de la construction non résidentielle. Pendant le boom pandémique de construction résidentielle, les prix de construction non résidentielle ont doublé l’inflation. Idéalement, on souhaite autant que possible éviter une augmentation importante du coût de construction ou de rénovation des infrastructures (hôpitaux, écoles, immeubles à bureaux, etc.). 

C’est pourquoi je préfère les interventions fondées sur des mesures incitatives (élimination de la TPS et déduction pour amortissement accéléré temporaire pour les nouvelles constructions de logements locatifs) plutôt que d’investir massivement dans le secteur de la construction.

Des sérieux enjeux dans l’intégration des immigrants dans le secteur de la construction

La promotion des métiers spécialisés de la construction à travers le processus d’immigration est un choix judicieux. Les immigrants sont nettement sous-représentés dans l’industrie de la construction : ils représentent 6 % de la main-d’œuvre comparativement à 9 % pour les non-immigrants. Avec une représentation similaire, nous aurions près de 200 000 travailleurs de la construction additionnels, ce qui correspondrait à une hausse de 13 % pour l’industrie.

L’enjeu de surqualification des immigrants est encore d’actualité alors qu’on devrait se concentrer sur des travailleurs spécialisés de la construction ou avec de l’expérience dans cette industrie. Il sera essentiel d’améliorer nos capacités de construction pour atteindre les objectifs ambitieux du Plan, et l’immigration pourrait limiter les répercussions inflationnistes d’une hausse significative de la construction résidentielle.

Les problèmes de mobilité associés à l’habitation augmentent

La hausse du coût de l’habitation et le manque de disponibilité ont entraîné un ralentissement des activités sur le marché immobilier : les reventes de maison sont faibles et les taux de rotation du marché locatif continuent de baisser. La situation du marché de l’habitation a ainsi des répercussions sur la mobilité de la main-d’œuvre au pays. Cela semble contre-intuitif, mais en maximisant l’immigration au Canada, on vient réduire la mobilité à l’intérieur du pays.

Si les travailleurs sont incapables de déménager pour des emplois mieux rémunérés, c’est le pays en entier qui perd. Le travail mieux rémunéré est généralement indicatif d’une contribution plus importante à l’économie et les travailleurs mieux payés contribuent davantage au niveau fiscal. C’est d’ailleurs cette dynamique qui a permis la croissance des villes et la mobilité de la main-d’œuvre demeure importante.

Est-il sage de rehausser le soutien offert aux acheteurs d’une première propriété ?

Bien que le soutien des acheteurs d’une première propriété soit populaire, je ne suis pas convaincu que stimuler davantage la demande avec des sommes libres d’impôt soit une proposition gagnante.

L’augmentation du régime d’accession à la propriété (RAP) et le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) ont fait passer la potentielle mise de fonds libre d’impôt de 70 000 $ à 200 000 $ pour un couple, pas exactement un niveau d’épargne de la classe moyenne. Comme je l’ai mentionné précédemment dans un article, les résidences principales prennent plus d’importance que les actifs pour la retraite dans les marchés d’habitation dispendieux. On peut se demander si la bonification du RAP et le prolongement du délai de grâce pour le remboursement vont réduire davantage l’épargne en vue de la retraite.

Le budget de 2024 propose de prolonger l’amortissement des prêts hypothécaires sur 30 ans pour les acheteurs d’une première habitation nouvellement construite. Cette proposition est risquée puisque le poids de la dette des ménages est l'un des plus élevés du monde au Canada. On constate déjà une hausse dans la période d’amortissement lors du renouvellement des prêts avec les taux d’intérêt élevés. Il ne semble ainsi pas judicieux d’ouvrir la porte à des prêts sur 30 ans.

D’autres enjeux à traiter

Bien que le budget vise à améliorer la transparence en matière de loyer grâce à la charte canadienne des droits du locataire, une transparence accrue dans le processus de vente immobilière serait nécessaire pour limiter la surenchère.

Les mesures visant à réduire les retards dans l’obtention des permis devraient aider à faire approuver les projets plus rapidement. Toutefois, il reste du travail à faire pour améliorer les délais de construction, qui ont augmenté respectivement de 23 % et de 38 % pour les maisons et les appartements.

Le plan mentionne également le rôle du gouvernement dans l’ajustement de l’immigration en fonction de la disponibilité de logements et de maisons. C’est une politique publique que j’apprécie et j’espère que nous y resterons fidèles si les hausses de niveaux de construction ne sont pas au rendez-vous.