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Dan Rubenstein lors d'un de ses nombreux voyages bénévoles
La profession

La seconde carrière d’un CPA qui parcourt le monde

CPA à la retraite, Dan Rubenstein a fait de sa passion pour le bénévolat, de sa volonté d’explorer le monde et de son souci de la planète une seconde carrière aussi riche qu’intrépide.

Fort d’une brillante carrière d’auditeur et de comptable, le CPA Dan Rubenstein s’est employé à mettre ses compétences au service de pays émergents pour améliorer la vie des résidents et préserver les espèces et les écosystèmes menacés.   

« Mon départ à la retraite avait excité ma soif de nouveauté, d’aventure. C’est alors que j’ai découvert le bénévolat dans les pays en développement, explique-t-il. Beaucoup de CPA à la retraite se tiennent très occupés : ils siègent à des conseils, participent à des comités de gouvernance et de surveillance… Le bénévolat fait partie Intégrante de leur ADN. » 


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C’est en 2013 que Dan Rubenstein devient bénévole pour le Service d’assistance canadienne aux organismes (SACO), récemment rebaptisé Catalyste+, une organisation qui déploie des professionnels de haut niveau dans des pays nécessitant leur expertise afin d’y faire progresser les conditions économiques, sociales et de vie. Il se voit ainsi proposer des mandats aux quatre coins du monde, et par la suite, un peu plus près de chez lui. 

Sa toute première affectation, en 2013 : San Pedro Sula, Honduras. Sa mission? Assister la fondation Merendón, un organisme à but non lucratif visant à trouver des pratiques d’agriculture locales moins nocives pour l’environnement, en réalisant un audit des impacts de l’activité humaine sur les 40 000 hectares de la réserve forestière Merendón. En tout, trois semaines passées dans des villages reculés, parmi les cultivateurs de café et de cacao du bassin versant régional. 

Une expérience inoubliable. « Comme bénévole, on est appelé à vivre dans l’intimité des collectivités, parfois des semaines durant. On ressent ce qui les préoccupe. On voit le terroir à travers leurs yeux. » Plus tard dans l’année, il retourne aider la fondation, cette fois pour créer un programme de sensibilisation à l’environnement destiné aux enfants des caféiculteurs.  

En 2014, Dan Rubenstein met le cap sur la Guyane une première fois pour familiariser le personnel du bureau d’audit national avec l’audit de performance. Il y retourne à deux autres reprises, en 2016 et 2017, afin d’accompagner le bureau d’audit et l’agence de protection environnementale dans l’établissement d’un plan stratégique de cinq ans. 

Toujours en 2017, il se rend aussi à Santa Cruz, en Bolivie. Là encore, un plan stratégique est à développer pour un groupe attelé à protéger la forêt sèche de Chiquitano, une région se développant dans une rareté d’eau. 

Puis, en 2022, durant la pandémie, il troque ses valises contre un casque d’écoute pour enseigner la comptabilité en partie double à un groupe de femmes autochtones du Kenya. La même année et la suivante, il aide le gouvernement du Suriname à prendre les dispositions légales pour la mise en place d’un fonds souverain. 

Sa plus récente affectation, en 2024 : collaborer avec un groupe métis de Yellowknife à l’établissement de procédures de surveillance et d’assainissement pour des sites miniers contaminés. 

« Dan est l’un de nos meilleurs conseillers », affirme Wendy Harris, CPA, présidente et chef de la direction de Catalyste+. « D’une efficacité redoutable, il se montre toujours soucieux de faire œuvre utile. C’est un féru d’apprentissages qui ne perd jamais de vue les enjeux locaux et carbure au désir de les cerner, d’y faire face », ajoute-t-elle. 

Selon l’audacieux bénévole de 77 ans, cet esprit d’entraide et de solidarité aurait été cultivé dès son enfance, à Poughkeepsie (New York), par des parents passionnés des arts qui aimaient faire l’expérience de la diversité humaine. 

Ainsi, lorsqu’il entre à l’Université Tufts de Boston, en 1964, sa vision du monde est déjà très élargie, grâce entre autres à un voyage au Mexique en 1952 et un séjour à Tokyo en 1958 dans le cadre d’une bourse d’études Fulbright obtenue par ses parents.   

Lorsqu’il termine ses études en économie et en création littéraire, la suite lui semble toutefois incertaine. La comptabilité le laisse de glace : un cours aura suffi à l’en désintéresser. « Je ne me voyais aucun avenir dans le domaine », s’esclaffe-t-il. 

Sans compter qu’un nuage noir assombrit alors l’horizon de milliers de jeunes Américains. « La guerre du Vietnam nous a tous fait retenir notre souffle », soutient Dan Rubenstein.  

Après l’obtention de son diplôme en 1968, il devient objecteur de conscience, et se voit admis au service civil. Il travaille alors auprès de vétérans dans un centre de réhabilitation de New York et participe à l’organisation d’une coopérative de pêche à Pompano Beach, en Floride. 

En 1968, il rencontre Nancy Dyson. Coup de foudre. Le couple se marie en 1970 et saute à bord du Canadien Pacifique, direction l’aventure. Puis, après plusieurs escales camping, le voyage prend fin à Vancouver, où chercher un emploi se fait de plus en plus pressant. 

« Une annonce dans le Vancouver Sun avait piqué notre intérêt, pour le pensionnat d’Alert Bay. Nous n’avions aucune idée de ce que c’était, souligne Dan Rubenstein, mais un trajet d’hydravion plus tard, nous travaillions désormais dans ce qui était autrefois le pensionnat pour Autochtones de St. Michael. » 

La réalité du lieu frappe alors le couple. Un profond traumatisme. 

« Je me disais : “Que se passe-t-il ici? Pourquoi ces enfants sont-ils seuls, séparés de leur famille?“ Ils étaient si tristes, si vulnérables. Leurs frères et sœurs étaient ailleurs dans l’école. Ils n’avaient personne à qui se fier, à qui parler », se souvient Dan Rubenstein. 

Aussitôt, le couple tente d’alerter les dirigeants autochtones de la collectivité. Il vient aussi en aide à un prêtre souhaitant exhorter le gouvernement à enquêter sur les activités du pensionnat. Hélas, aucune suite ne sera donnée à leurs plaintes.  

Lorsqu’il finit par évoquer la notion de génocide culturel devant le directeur, Dan Rubenstein est remercié sur-le-champ. Il quitte donc la baie avec son épouse pour s’établir à Sointula, en Colombie-Britannique. 

Les années passent. En 1973, lorsqu’il obtient le statut d’immigrant reçu, continuer à vivre de la plantation d’arbres et de la pêche ne lui semble plus possible, surtout depuis la naissance de son fils Ari, à peine un an plus tôt. Il s’inscrit donc en affaires au Malaspina College de Nanaimo, où un professeur l’encourage à devenir comptable agréé. L’idée fait mouche : il entame son parcours, entre au service d’une entreprise et réussit l’Évaluation uniforme en 1977. 

« J’étais désormais CA, et fier membre de l’Institute of Chartered Accountants of British Columbia. Puis, j’ai fait le saut dans la fonction publique en me joignant à B.C. Buildings Corporation, une société d’État. Un beau défi m’y attendait : mettre en place de nouveaux procédés et systèmes comptables », s’enthousiasme-t-il. 

En 1979, Dan Rubenstein quitte la côte ouest à destination de Toronto. Un poste l’attend à Touche Ross Canada, où il fait la rencontre de professionnels aussi brillants que doués, qui lui ouvrent les yeux sur l’aspect créatif de la comptabilité et la place vitale qu’elle occupe en affaires. 

À cette époque, toutefois, la famille s’agrandit avec la venue d’Elizabeth, en 1974, et de Joshua, en 1977, et aspire à s’installer hors de la métropole. Une mutation à Ottawa permet alors de concrétiser ce projet. 

En 1983, quand Dan Rubenstein intègre le Bureau du vérificateur général du Canada, un déclic s’opère. « Comme membre du Bureau, on est au service du Parlement, dit-il. C’est une fonction tout à fait honorable, presque sacrée, que j’ai tout de suite perçue comme le signe d’une vocation. Aider les parlementaires à assurer l’intégrité du gouvernement : voilà une mission professionnelle en laquelle je croyais fermement. » 

C’est d’ailleurs à ce stade qu’il prend pleinement conscience de la fibre militante qui vibre depuis toujours en lui. « Le bien public, voire le bien-être public, me préoccupait bien davantage que les questions d’argent », soutient-il. 

Par la suite, alors qu’il est directeur pour le Bureau du vérificateur général, mû par un désir latent d’écrire, il signe des articles pour CA Magazine. Son premier texte s’intéresse à l’échouement du pétrolier Exxon Valdez dans la baie du Prince-William, en Alaska. Le déversement qui en résulte l’horrifie profondément. « Tous ces animaux englués de pétrole, notre délicate nature polluée, contaminée… Un dur constat s’imposait de cette catastrophe : le capital naturel n’était nullement pris en compte dans la comptabilité en partie double. 

Je devais tâcher d’y remédier », ajoute-t-il. 

Réputé expert dans le domaine naissant de la comptabilité environnementale, il se voit alors offrir une subvention par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement pour étudier une large parcelle de la forêt boréale et rédiger un rapport intégrant des concepts nouveaux sur la valeur du capital naturel. Ce travail débouche en 1994 sur un livre, Environmental Accounting for the Sustainable Corporation, qui propose l’établissement de comptes satellites pour le capital naturel dont une entreprise est économiquement dépendante, en s’appuyant sur l’exemple de la forêt boréale.  

Aussi en 1994, le Bureau du vérificateur général met sur pied le bureau du commissaire à l’environnement et au développement durable. Dan Rubenstein y travaille sept ans, avant de prendre sa retraite en 2007.  

Dans les années qui suivent, il renoue avec l’écriture, et cosigne avec sa femme le roman Railroad of Courage, qui dépeint la traversée d’esclaves fugitifs sur le chemin de fer clandestin. Plus récemment, en 2021, le couple publie St. Michael’s Residential School: Lament and Legacy : un compte rendu des horreurs observées il y a un demi-siècle.  

D’ailleurs, les témoignages poignants recueillis par la Commission de vérité et réconciliation en 2015 sont toujours ancrés dans la mémoire de l’auteur. « L’occasion nous est donnée à tous de passer de la parole aux actes en ce qui concerne la réconciliation, et la profession de CPA a un rôle essentiel à jouer à cet égard, car les groupes autochtones vont évoluer vers une plus grande souveraineté, une plus grande autonomie. »  

« La demande sera forte pour les CPA autochtones », souligne-t-il. Pour avancer, toute cause a besoin d’argent, et de contrôles financiers et fiduciaires robustes.  

Heureusement, les principes d’une saine gouvernance et d’une bonne gestion financière n’ont plus de secrets pour les CPA. Pour Dan Rubenstein, le besoin de CPA et de bénévoles ne cessera donc de croître. « Et c’est tellement gratifiant. »