Quels éléments prendre en compte avant de prêter de l’argent à un proche?
Quand on apprécie la personne et qu’on a confiance en elle, on peut se sentir mal à l’aise de demander pourquoi elle a besoin de cet argent, mais il faut pourtant le faire. (Getty Images/Georgijevic)
Les finances de nombreux Canadiens sont mises à mal par la pandémie. En avril déjà, on constatait que plus de trois millions d’emplois avaient été perdus, et le taux de chômage atteignait 13 %. Nul doute que certains se tourneront vers des proches pour leur demander un coup de main. Comment réagir en pareille situation? Nous avons posé la question à des experts.
Règle no 1 : Pensez d’abord à vous, surtout en ce moment
La première question à vous poser, selon Doretta Thompson, chef du développement de la littératie financière à CPA Canada, est la suivante : « Êtes-vous vraiment en mesure de le faire? »
« Nous aimerions tous pouvoir aider famille et amis, mais la période actuelle est difficile pour tout le monde, ce qui pourrait justifier que vous refusiez. Qui sait de quoi demain sera fait? Il ne faudrait pas que ce prêt vous mette à votre tour dans une situation délicate. D’ailleurs, ce proche devrait d’abord vérifier ce qui existe du côté des nombreux programmes gouvernementaux mis en place, y compris pour les propriétaires de petites entreprises. »
Ce qui compte, rappelle-t-elle, c’est de préserver ses liquidités, selon sa situation, en n’excluant jamais le pire. « Prêter de l’argent présente toujours un risque, ajoute-t-elle. Si ce proche vient vous solliciter, c’est que vous êtes son dernier recours, ce qui peut vouloir dire que le risque est encore plus grand. »
Pierre Leblanc, CPA, président de Groupe Leblanc Syndic, est du même avis : « Bien sûr qu’on peut vouloir aider son enfant, mais pas en sacrifiant ses projets de retraite, par exemple. Il faut bien mesurer l’écart entre la volonté de la personne de vous rembourser et sa capacité réelle à le faire. »
Règle no 2 : Soyez prêt à ne pas revoir votre argent
Si vous êtes en mesure de prêter l’argent, acceptez alors que cet emprunt puisse se transformer en don, explique Pierre Leblanc.
« Peu importe la somme, il ne faut pas en avoir besoin à court ou à moyen terme, voire… jamais. Souvent de bonne foi, un emprunteur peut aussi tomber malade, vivre une séparation, perdre son emploi, bref, du jour au lendemain, ne plus être en mesure de rembourser l’argent avancé. »
Sur le plan psychologique, une grande prudence s’impose aussi. « On peut toujours sécuriser un prêt en prenant, par exemple, une garantie sur un bien immobilier, mais jusqu’où sera-t-on prêt à aller pour récupérer son dû? L’objectif devrait être de conserver intacte la relation, même si vous ne revoyez jamais la couleur de votre argent. »
Autrement dit, insiste Doretta Thompson, ce que vous devez déterminer, c’est dans quelle mesure vous êtes prêt à mettre la relation en péril si l’argent s’envole.
« Un parent qui prête de l’argent à un enfant doit aussi tenir compte des autres membres de la famille, comme les frères et sœurs, poursuit Pierre Leblanc. Dans l’intérêt de tous, il ne faut pas que le montant prêté soit perçu comme une dette en cas de décès, mais plus comme une avance sur l’héritage. »
Règle no 3 : Demandez pourquoi
« Parce qu’on apprécie la personne et qu’on a confiance en elle, on peut se sentir mal à l’aise de demander pourquoi elle a besoin de cet argent », souligne aussi Pierre Leblanc.
« Il faut pourtant le faire. On doit prendre une décision éclairée, en analysant les risques. »
Doretta Thompson est du même avis, et ajoute : « Près de 40 % des Canadiens vivent d’une paie à l’autre, et ont tendance à confondre un mode de vie qu’ils peuvent se permettre avec un mode de vie qu’ils aimeraient se permettre. Dans le contexte économique actuel, ces personnes doivent commencer par réduire leurs engagements financiers le plus possible. »
En posant des questions, vous pourrez mieux comprendre la situation de la personne, et peut-être pourrez-vous l’aider autrement : épicerie, hébergement ou gardiennage d’enfants, poursuit-elle.
Même si, dans la vie, nous ne sommes pas habitués à être très transparents quand il s’agit d’argent, c’est l’occasion d’être honnête quant à la situation dans laquelle vous vous trouvez, et sur ce que vous pouvez apporter comme aide, dit Mme Thompson. C’est une crise sans précédent qui pourrait amener les gens à prendre des décisions qu’ils n’auraient pas prises en temps normal. »
Règle no 4 : Encadrez l’emprunt
Voilà pourquoi il faut établir des modalités de remboursement précisant le montant total, une date limite (même lointaine) ou un échéancier de remboursement, et si des intérêts (si faibles soient-ils) seront exigés ou non. Une sorte de reconnaissance de dette.
« Même si l’argent reste un sujet tabou, constate Pierre Leblanc, il ne faut pas être gêné de faire un peu comme une banque et de demander des informations sur le niveau d’endettement actuel, le dossier de crédit, et même une idée du budget réel de la personne. »
« Ce n’est une conversation facile à avoir pour personne, dit Doretta Thompson, mais vous pouvez plaider que les temps sont durs pour tout le monde, et que vous n’avez pas les liquidités nécessaires. » Si vous misez sur l’honnêteté, l’autre comprendra mieux votre point de vue et se rendra compte que l’aide que vous pouvez offrir est limitée.
« On peut aussi prendre des garanties sur certains actifs, comme un bien immobilier ou un véhicule libre de dettes, ou en se faisant désigner par l’emprunteur comme bénéficiaire irrévocable d’une assurance vie. Cela permet de sécuriser dès le départ la somme prêtée par rapport aux autres créanciers, advenant une faillite, par exemple. »
Règle no 5 : Ne cautionnez pas n’importe qui
Se porter caution pour un proche n’est pas moins risqué, surtout qu’en plus de la dette, on hérite en prime – en cas de défaut de paiement – des intérêts qui courent.
« Les gens se sentent moins impliqués que s’ils avaient directement avancé les fonds, constate Pierre Leblanc, mais ce n’est pas le cas : ils sont responsables d’une nouvelle dette si l’emprunteur ne paie pas. »
D’autres lorgnent du côté des marges de crédit (hypothécaires, notamment) de leurs parents ou grands-parents, qui se laissent attendrir, victimes de chantage affectif. « Quand on n’a jamais osé dire non, c’est difficile de commencer à le faire s’il s’agit d’argent », concède-t-il.
Vu la conjoncture actuelle, de nombreux parents pourraient être tentés d’aider leurs enfants entrepreneurs, mais attention, met en garde M. Leblanc. « Si l’on peut éteindre un feu avec 10 000 $ pour payer un loyer, des employés et des créanciers, il est fort probable que dans 3 mois, les choses ne seront pas revenues à la normale (dans le cas d’un restaurateur par exemple). Bref, est-ce la meilleure façon d’aider? Là encore, pas certain. »
C’est ici qu’un professionnel, comme un CPA ou un syndic de faillite, peut aider, car cela reste une décision de chiffres. L’idée est que les prêteurs soient guidés pour être en position de récupérer leur argent par la suite.
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