Un portrait de Jason Rasevych
La profession

Voyez comment les CPA peuvent ouvrir la voie à la réconciliation

Redéfinir le rôle de l’information d’entreprise, de la création de valeur et de la planification financière à l’ère de la vérité et de la réconciliation.

CPA Canada s’est entretenue avec Jason Rasevych, un Anichinabé et Cri de la Première Nation Ginoogaming, de l’importance en comptabilité d’une approche fondée sur des principes pour concilier vocation sociale et rentabilité. Son travail sur la ligne de piégeage familiale et son expérience à un jeune âge des événements de Kahnawake (crise d’Oka) ont contribué à façonner sa vision du monde. Conseiller de direction voué au développement des communautés autochtones, il est également membre du Groupe consultatif sur les questions autochtones du Conseil sur la comptabilité dans le secteur public. 

Jason Rasevych nous parle ici des progrès réalisés par les entreprises depuis l’appel à l’action 92 lancé voici près de 10 ans par la Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada. 

L’appel à l’action 92 demande aux entreprises canadiennes d’adopter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en tant que cadre de réconciliation, notamment de s’engager à tenir des consultations significatives, établir des relations respectueuses et obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones avant de lancer des projets de développement économique. 

CPA Canada : Dans son étude de 2022 État des lieux : Informations sur les enjeux sociaux, CPA Canada rapporte que 56 % des entreprises sondées ont traité de questions autochtones dans leurs informations sur la durabilité fournies volontairement, mais que 35 % seulement de ces entreprises ont présenté leur approche à l’égard des questions autochtones. Un très petit nombre d’entreprises ont employé explicitement l’expression « consentement libre, préalable et éclairé » pour décrire leur approche à l’égard des peuples et des communautés autochtones. Que veut-on dire par « consultations significatives » et par « consentement libre, préalable et éclairé »? 

JR : Les droits des peuples autochtones sont protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît et confirme les droits existants, qu’ils soient ancestraux ou issus de traités. Comme mécanisme de protection de ces droits, les tribunaux canadiens ont établi la doctrine de l’obligation de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder les groupes autochtones. De plus, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones prescrit que les États membres se concertent et coopèrent avec les peuples autochtones sur les questions susceptibles de les concerner afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. 


En savoir plus sur le sujet 

Les droits propres aux peuples autochtones

Qu’est-ce que le consentement libre, préalable et éclairé?

Qu’est-ce que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones?

Quel est le rôle de l’Organisation internationale du travail?

Qu’est-ce que la Convention sur la diversité biologique?


 

Dans cet esprit, les peuples et communautés autochtones sont parties prenantes du processus décisionnel et collaborent en amont avec l’entreprise à la mise en œuvre d’un projet donné, plutôt que d’être sollicités en fin de parcours pour obtenir leur approbation d’office. 

Les entreprises devraient viser à intégrer les savoirs autochtones dans leur culture d’entreprise en établissant un service de relations avec les Autochtones chargé d’élaborer des stratégies ou un plan d’action pour la réconciliation. Certaines mesures touchant, notamment, au capital humain, à la formation, aux ententes contractuelles, aux changements de politiques ou structurels pourraient être mises en place afin de décoloniser les contrôles internes d’entreprise. 

CPA Canada : Quels sont les risques d’entreprise liés à l’omission de tenir une consultation ou d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé? 

JR : Des allégations de violation des droits des peuples autochtones peuvent nuire sur plusieurs plans aux activités et à la chaîne d’approvisionnement d’une entreprise :

  • Risques juridiques : En ne respectant pas les normes de consultation, l’entreprise s’expose à une action en justice susceptible de ralentir, voire de bloquer son projet.
  • Risques opérationnels : En ne tenant pas suffisamment compte des valeurs culturelles ou des préoccupations exprimées par les populations autochtones, l’entreprise s’expose à des problèmes opérationnels (barrage érigé par des manifestants, moratoire sur un projet).  
  • Risques liés à la réputation et à la marque : L’image de marque d’une entreprise trouvée en violation des droits des peuples autochtones pourrait être ternie.
  • Risques financiers : S’il y a retrait ou perte d’intérêt des investisseurs et bailleurs de fonds qui appliquent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), l’entreprise pourrait peiner à trouver du financement.

En d’autres termes, ce sont les partenariats équitables, librement consentis avec les peuples autochtones qui donneront les meilleurs résultats en assurant l’acceptabilité sociale et la valorisation des savoirs autochtones dans la conception des projets. 

CPA Canada : Un nombre croissant d’entreprises canadiennes incluent leurs engagements envers les communautés autochtones dans leurs rapports ESG, mais selon notre étude État des lieux, ces entreprises manquent souvent de stratégies bien définies. Le risque est alors de verser dans l’instrumentalisation des enjeux autochtones, communément appelée redwashing. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point? 

JR : Ce terme, « redwashing », renvoie aux entreprises qui, sans réel désir de changement, veulent donner l’impression de se soucier des questions autochtones, par exemple au moyen de bourses d’études ou de soutien à des programmes artistiques et culturels comme des festivals, cérémonies ou pow-wow communautaires. 

Sous l’apparence d’une pratique socialement responsable, il s’agit en fait d’une tactique visant à masquer les effets néfastes de la marginalisation des peuples autochtones en s’autoproclamant acteur de la réconciliation économique. Le redwashing se manifeste aussi dans l’attribution aux peuples autochtones d’un rôle purement symbolique dans les processus ou les comités, qui réduit leur présence au fait de pouvoir cocher une case.  

CPA Canada : Comment savoir si une entreprise est sincèrement engagée dans un processus de changement ou si elle se borne à faire du redwashing

JR : Il y a trois grandes questions à se poser : 

  • De quelle manière l’entreprise mesure-t-elle les progrès réalisés dans la décolonisation de ses structures et processus internes? 
  • De quelle manière l’entreprise évalue-t-elle les avantages non financiers et l’impact social de ses activités pour les peuples autochtones, ainsi inclut-elle ceux-ci dans ses processus décisionnels?
  • De quelle manière l’entreprise répond-elle à l’appel à l’action 92 de la CVR et établit-elle des politiques internes visant à intégrer dans son ADN les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et du consentement libre, préalable et éclairé?

CPA Canada : L’appel à l’action 92 demande aussi aux entreprises canadiennes de veiller à ce que les peuples autochtones aient un accès équitable à l’emploi et à la formation dans le secteur des entreprises. Quels sont les gestes concrets à poser dans ce sens?  

JR : Pour reprendre les paroles du juge Murray Sinclair, ancien président de la CVR, « l’éducation nous a mis dans ce pétrin, et c’est l’éducation qui nous en sortira ».  

La voie vers la réconciliation passe donc par l’engagement des entreprises à former et à sensibiliser aux enjeux autochtones l’ensemble de leurs employés. Pourquoi? Parce que la vérité sur les peuples autochtones a en grande partie été occultée des programmes scolaires jusqu’à la publication des rapports concernant les survivantes et survivants des pensionnats autochtones.   

Pour les entreprises, l’heure est à la réflexion et à l’auto-examen : il s’agit de comprendre les déséquilibres des pouvoirs dans une structure organisationnelle coloniale et d’y remédier par des stratégies qui favoriseront l’accès des Autochtones aux échelons supérieurs.  

Il n’existe pas de modèle unique ni de solution universelle. Chaque entreprise pourra trouver des mises en pratique de collaboration et de concertation avec les peuples autochtones qui lui seront propres, mais voici quelques pistes à suivre pour faire avancer le processus de réconciliation. 

  • Il faut commencer par bien comprendre la philosophie autochtone du « rien sur nous sans nous ». Dans les traditions juridiques cries, la notion de wahkohtowin renvoie à l’interconnexion de ce qui existe et de nos responsabilités envers les communautés du monde entier, présentes et futures.  
  • Déterminez de quelle manière votre conseil d’administration interprète l’appel à l’action 92 de la CVR, les principes énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la règle du consentement libre, préalable et éclairé, et quel en est l’impact sur votre personnel autochtone.  C’est ainsi qu’on peut jeter les bases d’une stratégie de relations avec les Autochtones et d’un plan d’action pour la réconciliation. 
  • Faites du consentement libre, préalable et éclairé un élément concret. C’est là un bon gage de l’authenticité des efforts de réconciliation d’une entreprise.  
  • Il faut être conscient que les modes de connaissance occidentaux ne sont pas les seules sources de savoir valides et que la valeur des savoirs autochtones en entreprise est grande. 
  • Engagez un dialogue constructif et réfléchi avec vos employés autochtones et avec les autres titulaires de droits autochtones sur lesquels les activités de l’entreprise ont une incidence. Le dialogue avec les employés autochtones peut s’ancrer dans les principes de diversité, d’équité et d’inclusion, mais il doit aussi être orienté dans une perspective de réconciliation.  
  • Prenez connaissance des informations sur les questions autochtones rapportées par vos associés, vos fournisseurs et vos clients. Lorsque les relations et la communication de l’information sont collaboratives, c’est toute la chaîne de valeur qui en bénéficie.  
  • Tenez compte des points de vue autochtones dans les évaluations concernant la gestion des risques et établissez des normes d’éthique ou créez un Bureau de la protection du personnel afin de résoudre les problèmes liés aux préjugés systémiques. 

Formation de base 

Cette ressource offerte par CPA Canada vous permettra d’approfondir vos connaissances sur l’histoire et la culture des peuples autochtones.  


 

CPA Canada : Pensez-vous à des prises d’action à recommander en particulier aux CPA? En matière de réconciliation, quel est le message que vous souhaiteriez transmettre à la profession comptable de même qu’à tous les Canadiens? 

JR : Chez les Haudenosaunee, le principe des sept générations veut que toute décision prise aujourd’hui doit prendre en compte les sept générations suivantes de nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Les CPA peuvent s’assurer d’intégrer le principe des sept générations à leurs pratiques et stratégies organisationnelles en collaborant avec les dirigeants autochtones, mais ils doivent, en même temps, éviter l’appropriation culturelle.  

Avant tout, les CPA doivent veiller à suivre une formation de base sur l’histoire, les cultures et les réalités autochtones. Il leur serait également utile de prendre la mesure de l’incidence des activités de l’entreprise sur les Autochtones et de se sensibiliser aux obstacles systémiques auxquels ils se heurtent. Les CPA qui occupent des postes dans les services des finances seront amenés à travailler de près avec les autres services de l’organisation pour s’assurer que les données utilisées dans les informations transmises reflètent avec exactitude les répercussions des activités sur les peuples autochtones. Les CPA dans les cabinets de services professionnels comprendront que la voie vers la réconciliation exige des approches neuves.

Sur la voie vers la réconciliation, il ne peut y avoir de justice économique sans justice sociale. Le capitalisme autochtone ne constitue toutefois qu’une partie du processus. Pour que justice réparatrice soit faite, nous devons aussi sensibiliser nos familles et nos collègues à l’importance d’adopter les recommandations des 94 appels à l’action de la CVR. 

Entendre les voix autochtones 

Découvrez des CPA qui voient grand (et loin!) grâce à un esprit novateur. Voyez comment les savoirs autochtones sont essentiels à la gestion des facteurs ESG et pourquoi il faut favoriser le renforcement des capacités au sein des communautés des Premières Nations.

Légende : Jason Rasevych (Christian Carter)