Le Canada a besoin d’un cadre national de dénonciation
Depuis 2017, le Canada a renforcé ses efforts de lutte contre la criminalité financière grâce, entre autres, à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Or, il ne s’est toujours pas doté d’un cadre national pancanadien pour la dénonciation, comme le préconise CPA Canada depuis des lustres.
Selon Michele Wood-Tweel, FCPA, FCA, vice-présidente aux Affaires réglementaires à CPA Canada, il existe actuellement divers « textes législatifs disparates, qui fournissent des cadres de dénonciation, de protection ou de récompenses, et couvrent certains sujets, mais rien de vraiment cohérent.
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« Bref, ça varie d’une province à l’autre; les lois sur la dénonciation de l’une prévoient des récompenses et celles de l’autre non, et pourtant, les problèmes sont les mêmes. L’uniformité, la portée globale et complète qu’on espère obtenir d’une protection des lanceurs d’alerte n’est pas non plus au rendez-vous – nous avons affaire à une mosaïque de textes légaux. »
La vice-présidente aux Affaires réglementaires craint que, dans le pire des cas, un écart entre les législations fédérale et provinciales donne à un lanceur d’alerte qui aurait agi de bonne foi une protection au fédéral, mais rien au provincial, de sorte qu’il s’exposerait à des poursuites civiles.
« C’est là que réside le danger, je pense, quand vient le moment de déterminer ce qu’il convient de faire ou de dire dans une situation donnée. »
Sur une note positive, le Canada a quand même fait de grands pas. En effet, toutes les sociétés par actions privées constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions sont tenues de déposer auprès de Corporations Canada des renseignements concernant leur propriété effective. Ces renseignements sont consignés dans un registre mis à la disposition du public.
« Cette exigence a pour objectif de s’attaquer au manque de transparence des sociétés fermées canadiennes, de façon à pouvoir prévenir et détecter les fraudes et poursuivre les sociétés fermées qui sont utilisées à des fins illicites. »
Une nouvelle Agence canadienne des crimes financiers a également été proposée.
Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Prenons le cas de l’Agence canadienne des crimes financiers : la mise en place d’un cadre de dénonciation pourrait lui être très utile pour détecter et prévenir les crimes et poursuivre les criminels, convient Michele Wood-Tweel.
Le Canada sous-évalue la valeur des lanceurs d’alertes en omettant de reconnaître leur capacité à attirer l’attention sur des cas qui, autrement, resteraient occultes. Dans leur rapport conjoint intitulé Protection des lanceurs d’alerte : Comprendre les lois, les pratiques, les tendances et les principaux aspects de la mise en œuvre, CPA Canada et l’international Federation of Accountants citent l’Association of Certified Fraud Examiner : « Concrètement, un plus grand nombre de fraudes et d’autres crimes économiques graves sont détectés par les lanceurs d’alerte que par d’autres moyens, dont les audits et la conformité interne. »
Cependant, pour encourager les lanceurs d’alerte à dénoncer, nous devons mettre en place un système qui les protège et les récompense, et qui tient compte de ce qu’ils mettent potentiellement en jeu pour agir dans l’intérêt public.
« Le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux commencent à réaliser des progrès encourageants et à considérer la dénonciation comme un moyen d’accroître les efforts de lutte contre la corruption, le crime financier et le blanchiment d’argent. »
Bien qu’il n’existe nulle part de système parfait, certains pays ont une longueur d’avance sur le Canada. Au Royaume-Uni, la Public Interest Disclosure Act 1998 s’applique à la fois aux secteurs public et privé, et la directive européenne sur la dénonciation « a une portée très intéressante », selon Michele Wood-Tweel.
« Les États-Unis ont récemment renforcé leur régime de lutte contre le blanchiment d’argent en introduisant des récompenses plus importantes pour les lanceurs d’alerte. L’Australie n’est pas restée inactive non plus. Elle a examiné ce qu’elle avait mis en place pour les organisations du secteur privé et a amélioré son cadre juridique en 2019. »
Le Canada, à l’instar d’autres pays, doit mieux protéger les lanceurs d’alerte en raison de la valeur qu’ils apportent. Il s’est d’ailleurs engagé à le faire auprès de ses partenaires internationaux, précise la vice-présidente aux Affaires réglementaires.
« Je comprends l’ampleur de la tâche. Je sais que ce n’est pas une tâche facile ni à prendre à la légère, compte tenu de ce qu’elle exige du Canada. Mais le statu quo est devenu insoutenable, nous devons progresser. »