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Un marteau posé sur une table
Fiscalité

Le point sur les nouveaux pouvoirs de vérification de l’ARC

L’élargissement des pouvoirs de l’ARC risque de porter atteinte aux droits des contribuables et d’alourdir le fardeau de la conformité.

L’ARC pourrait se voir conférer des pouvoirs supplémentaires lui permettant d’obliger les contribuables à se conformer à ses demandes de renseignements, de documents et d’aide dans le cadre de vérifications. Par ailleurs, dans les cas où l’ARC n’a pas droit à l’information, par exemple, s’il s’agit de renseignements protégés par le secret professionnel ou mettant en cause des tiers non désignés, l’exercice du droit de refus risque de coûter plus cher aux contribuables, en efforts et en argent. 

Ces mesures ont été proposées dans le budget fédéral de 2024 en réponse à un rapport de 2018 du Bureau du vérificateur général, dans lequel ce dernier reprochait à l’ARC d’accorder aux particuliers moins de temps pour répondre à ses demandes qu’aux grandes sociétés, malgré les différences évidentes entre ces types de contribuables, susceptibles d’influer sur leurs délais de réponse respectifs. Les propositions ont été incluses dans l’avant-projet de loi accompagnant le budget de 2024, mais n’ont pas encore été présentées dans un projet de loi au Parlement.  

La première des quatre propositions permettrait à l’ARC d’émettre un avis de non-conformité (ANC) à tout contribuable qui ne s’est pas conformé à une demande de fournir des renseignements ou de l’aide. Une pénalité de 50 $ par jour s’appliquerait aussi longtemps que la demande ne sera pas satisfaite, jusqu’à concurrence de 25 000 $. En outre, la période normale de nouvelle cotisation serait prolongée de la période écoulée jusqu’au règlement de l’avis. Un contribuable pourrait demander à l’ARC de réviser un ANC, puis demander une révision judiciaire de la décision par la Cour fédérale. Un ANC pourrait être annulé si l’ARC ou la Cour fédérale juge qu’il n’était pas raisonnable pour l’ARC d’émettre un tel avis.    

Cette proposition soulève plusieurs inquiétudes. Un nouveau processus de révision par l’ARC et la Cour fédérale risque d’allonger le processus de vérification et d’en augmenter le coût, tant pour les contribuables que pour l’ARC. Les dispositions relatives aux pénalités visent les contribuables qui refusent simplement de coopérer avec l’ARC, mais sans les distinguer de ceux qui ont des préoccupations légitimes quant à la nature des renseignements demandés (par exemple, des renseignements protégés par le secret professionnel). La perspective des pénalités à payer pourrait dissuader ces derniers d’exercer leur droit de ne pas produire certains documents. Dans l’ensemble, ces propositions pourraient empêcher la tenue d’échanges importants entre l’ARC et les contribuables, et accroître considérablement le pouvoir de l’ARC d’obliger des contribuables à produire des renseignements. 

La deuxième proposition permettrait à l’ARC d’exiger des contribuables qu’ils fournissent les renseignements ou documents sous serment ou par affirmation solennelle. Cette proposition ne prend toutefois pas en considération les procédures administratives et les protections qui sont offertes par les tribunaux lorsque des personnes font des déclarations sous serment (p. ex., un enregistrement par un sténographe judiciaire). Par conséquent, les contribuables pourraient juger nécessaire de retenir les services d’un conseiller juridique pour se préparer en vue d’un interrogatoire sous serment, ce qui augmenterait le temps et les dépenses consacrés au processus de conformité. 

La troisième proposition touche les ordonnances d’exécution que l’ARC peut actuellement obtenir d’un tribunal pour ordonner à un contribuable de se conformer à ses demandes de renseignements. Selon le budget de 2024, ces ordonnances ne sont pas efficaces pour contraindre les contribuables à se conformer aux demandes et aux avis. Le budget propose d’imposer systématiquement une pénalité lorsque l’ARC obtient une ordonnance d’exécution contre un contribuable. L’ARC pourrait en outre demander une ordonnance d’exécution pour exiger qu’une personne fournisse des renseignements ou des documents étrangers. 

Les contribuables visés par une ordonnance d’exécution devraient payer une pénalité équivalant à dix pour cent de l’impôt total à payer pour toutes les années d’imposition auxquelles se rapporte l’ordonnance. L’avant-projet de loi ne prévoit ni seuil avant l’application de la pénalité ni pouvoir discrétionnaire de modifier la pénalité en fonction du degré de non-conformité. Par exemple, cette pénalité s’appliquerait même si la Cour fédérale décidait qu’un seul document sur vingt aurait dû être fourni à l’ARC. D’autres dispositions sur les pénalités relatives à la conduite répréhensible utilisent des termes comme « conduite coupable » ou « faute lourde » pour indiquer le type de conduite auquel s’applique la pénalité. Cette pénalité pourrait non seulement conférer un pouvoir important à l’ARC, mais aussi dissuader les contribuables d’exercer leur droit de contester les demandes de renseignements de l’ARC même quand ils ont des raisons légitimes de le faire.  

Enfin, les règles de « suspension de la prescription » prolongent actuellement la période de nouvelle cotisation avant qu’une année devienne prescrite lorsqu’un contribuable demande la révision judiciaire d’une exigence ou d’un avis que l’ARC lui a émis. Ces règles s’appliquent aussi aux ordonnances d’exécution. Le budget de 2024 indique que ces règles ne s’appliquent pas actuellement à toutes les situations où un contribuable ne se conforme pas à une exigence ou un avis de l’ARC. Ainsi, le budget propose de modifier ces règles de sorte qu’elles s’appliquent durant toute période où un avis de non-conformité ou une ordonnance d’exécution est en instance. Les règles s’appliqueraient également aux avis émis à une personne ayant un lien de dépendance avec le contribuable, même si celle-ci n’a aucun lien économique avec le contribuable. 

Les nouveaux pouvoirs de vérification proposés pour l’ARC semblent procéder d’une réaction exagérée au rapport de 2018 du Bureau du vérificateur général. Les fiscalistes s’inquiètent des conséquences de l’attribution à l’ARC de ces nouveaux pouvoirs de vérification étendus, qui pourraient être appliqués sans discernement autant aux contribuables qui respectent les règles qu’à ceux qui ne les respectent pas. Le Comité mixte sur la fiscalité de l’Association du Barreau canadien et de CPA Canada rédige actuellement un mémoire à l’intention du ministère des Finances faisant état de ses préoccupations relatives aux propositions législatives actuelles. CPA Canada a par ailleurs mis sur pied un groupe de travail chargé de recommander des mécanismes de contrôle et de contrepoids que devrait administrer l’ARC pour s’assurer d’exercer les nouveaux pouvoirs proposés de manière responsable.