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Fiscalité

Arrimer la politique fiscale aux objectifs économiques

Le Canada doit se doter d’une politique industrielle claire comprenant des incitatifs fiscaux et une évaluation de leur efficacité quant à la réalisation de ses objectifs économiques.

Au Canada, le gouvernement s’appuie sur la politique fiscale pour parvenir à divers objectifs, notamment économiques. Mais les incitatifs fiscaux permettent-ils vraiment d’atteindre les grands objectifs économiques? Difficile à savoir : la politique fiscale est généralement abordée en vase clos, indépendamment d’une politique industrielle globale. Et comme ces incitatifs arrimés à des objectifs économiques ne sont évalués que rarement, voire pas du tout, leur efficacité à titre d’encouragement de l’activité visée demeure incertaine. 

Prenons l’exemple des politiques et incitatifs fiscaux introduits dans les derniers budgets fédéraux en vue de promouvoir « l’innovation ». Pour justifier ces mesures, on invoque la nécessité de stimuler l’innovation afin de s’attaquer au retard de productivité et d’améliorer le niveau de vie de la population.   

Ainsi, le crédit d’impôt fédéral pour la recherche scientifique et le développement expérimental (RS&DE) se rattache au montant des dépenses admissibles au cours d’une année d’imposition. Dans les budgets récents, des crédits d’impôt à l’investissement ont été accordés pour encourager le financement de différentes technologies « vertes » jugées importantes sur le plan stratégique pour l’économie. Les gouvernements provinciaux appuient aussi l’innovation par divers programmes de subventions et d’incitatifs fiscaux. 

Or, on ne peut évaluer l’efficacité d’un incitatif fiscal donné s’il n’est pas associé à une raison d’être précise. Le but du Programme de la recherche scientifique et du développement expérimental est-il d’inciter les entreprises à réaliser des activités de RS&DE ayant des retombées positives pour la société? Ou de les encourager à adapter leurs stratégies d’affaires pour se démarquer de la concurrence en misant sur des produits ou des services novateurs?  

Il est difficile d’évaluer l’utilité globale de tels incitatifs fiscaux en l’absence d’une politique industrielle cohérente venant orienter les décisions économiques, y compris les politiques fiscales. Une politique industrielle apporterait des réponses à certaines questions : Quels sont les objectifs économiques des gouvernements fédéral et provinciaux? Pourquoi ne sont-ils pas atteints? Quels acteurs économiques les mesures de soutien devraient-elles cibler? Comment les deux ordres de gouvernement peuvent-ils surmonter les obstacles à la réalisation des objectifs économiques visés? Quelles activités économiques devrait-on soutenir? Comment la réalisation des objectifs sera-t-elle évaluée? La politique fiscale concernant l’innovation et d’autres objectifs économiques doit s’intégrer à une telle politique industrielle globale.   

Le rôle de la politique fiscale dans la politique industrielle ne fait cependant pas non plus l’objet d’un consensus. Les incitatifs fiscaux ne sont qu’un outil parmi d’autres pour favoriser des activités économiques associées à l’innovation. Les gouvernements peuvent aussi promouvoir les activités économiques souhaitées en octroyant des subventions aux entreprises ou en finançant des universités, par exemple.  

Comme instruments de politique industrielle, les incitatifs fiscaux ont des avantages et des inconvénients, qu’il faut comparer à ceux d’autres solutions envisagées. Au chapitre des avantages figurent l’efficience d’application et le fait que, contrairement aux subventions versées directement aux contribuables, l’administration n’a pas à choisir à qui les attribuer.  

Le recours au système fiscal pour promouvoir certaines activités économiques présente aussi plusieurs inconvénients. Les incitatifs fiscaux sont généralement ancrés dans l’idée qu’ils permettent d’influencer le comportement des acteurs économiques. Or, peu de preuves empiriques le confirment. Par exemple, de nombreux pays ont mis en œuvre un régime fiscal favorable aux brevets : les revenus tirés de certaines formes de propriété intellectuelle y sont imposés à des taux nettement moindres. Les partisans d’un tel régime y voient un moyen d’encourager la recherche et le développement ainsi que la commercialisation locale des inventions. Pourtant, les données empiriques ne semblent indiquer aucune augmentation des dépenses des entreprises à ce chapitre ou, au mieux, une réactivité faible à l’allégement fiscal.  

En outre, pour établir l’efficacité des politiques fiscales quant à la réalisation d’objectifs économiques, on doit tenir compte de l’effet de tous les volets du système fiscal. Ainsi, un incitatif fiscal donné n’amènerait pas une grande multinationale à implanter ses activités dans le territoire en question si l’avantage qui en découlait devait être perdu en raison de l’impôt minimum mondial. 

Pour savoir si les incitatifs fiscaux en vigueur produisent les effets escomptés ou favorisent les grands objectifs économiques visés, il faut les évaluer. Malheureusement, de telles évaluations ne semblent pas avoir lieu. Dans un de ses rapports du printemps 2015, le vérificateur général du Canada constate que les dépenses faites au moyen du système fiscal (les « dépenses fiscales ») ne sont pas évaluées systématiquement ni assujetties à un examen parlementaire en bonne et due forme. Qui plus est, la population ne connaît en règle générale pas le montant des incitatifs offerts aux différentes entreprises par le système fiscal, alors que cette information permettrait de déterminer si les ressources sont utilisées de façon optimale.  

Alors, les incitatifs fiscaux sont-ils utiles? Difficile à dire. Une politique industrielle cohérente où s’arrimerait une politique fiscale et qui prévoirait l’évaluation systématique des incitatifs fiscaux permettrait de répondre aux questions importantes sur le rôle de ces derniers dans l’atteinte des objectifs économiques du Canada.