Une vision à long terme aide à déterminer la valeur réelle des actifs incorporels
La façon de déterminer la valeur réelle des actifs incorporels d’une entreprise fait toujours débat, mais les CPA peuvent jouer un rôle clé dans la résolution de ce problème complexe. (kate_sept2004 / Getty Images)
Depuis quelques années, les actifs incorporels jouent un rôle de plus en plus capital dans l’économie mondiale.
Au Canada seulement, l’investissement dans ces actifs (qui comprennent aussi bien des données et des actifs numériques que les innovations, les brevets, le capital de marque et le talent) a dépassé l’investissement dans les actifs corporels depuis le milieu des années 1970. De plus, le gouvernement fédéral, dans son budget de 2021, s’est engagé à investir dans l’innovation et les actifs incorporels, jugeant qu’il s’agit d’une mesure nécessaire pour sortir de la pandémie.
Mais comment mesurer la valeur d’actifs qui, par définition, sont difficiles à cerner? Cette question fait depuis longtemps l’objet de débats entre les décideurs, les économistes et les comptables.
Selon les experts, les CPA ont un rôle crucial à jouer dans la création, la détection et la détermination des chaînes de valeur associées à ces actifs.
Voici quatre façons dont les comptables peuvent contribuer à faire avancer les choses.
1) RECONNAÎTRE LE DÉFI LIÉ À LA VALEUR
Comme on le mentionne dans un rapport de CPA Ontario publié récemment, l’estimation de la valeur des actifs incorporels est complexe pour diverses raisons. D’une part, ils sont hautement extensibles, c’est-à-dire que plusieurs parties peuvent les utiliser et en tirer profit simultanément.
D’autre part, les actifs incorporels ne se déprécient pas de la même façon que les actifs corporels et, pour de nombreuses catégories d’éléments, il n’existe pas de marché, explique Rob McLean, FCPA, président de MatrixLinks International et consultant principal dans le cadre du projet sur la création de valeur de CPA Canada. Il est également difficile d’établir qui en est le propriétaire; il y a même lieu de se demander si certains de ces actifs (par exemple, le capital humain) devraient « appartenir » à l’organisation.
« La plupart des actifs incorporels, comme les brevets, les données ou les documents protégés par le droit d’auteur, n’ont pas beaucoup de valeur intrinsèque, affirme M. McLean. Leur valeur est contextuelle : elle dépend des chaînes de valeur que ces actifs peuvent offrir à une organisation donnée. »
Ainsi, d’une entreprise à une autre, les mêmes actifs incorporels peuvent avoir plus ou moins de valeur, ajoute-t-il. En outre, même si les actifs incorporels acquis peuvent être comptabilisés au coût, de nombreux actifs incorporels d’une organisation sont produits à l’interne, de sorte qu’il est impossible de se fonder sur une transaction avec un tiers pour leur donner une valeur.
Par conséquent, comme le souligne un rapport publié en 2021 par le McKinsey Global Institute, la juste valeur des actifs incorporels ne devient apparente que lorsqu’une organisation est vendue et que le marché leur attribue une valeur.
Étant donné que la plupart des actifs incorporels sont générés à l’interne, ils sont comptabilisés comme dépenses plutôt que comme actifs du point de vue du résultat net ou des coûts. D’après le rapport McKinsey, cela se traduit par des décisions qui ne sont pas optimales.
2) ADOPTER UNE PERSPECTIVE AXÉE SUR L’AVENIR
Pour les CPA, l’estimation de la valeur des actifs incorporels exige un changement d’attitude par rapport à la vision traditionnelle, précise M. McLean.
« Au départ, nous pensions que nous devions nous demander comment inscrire les actifs incorporels au bilan. Mais c’est la mauvaise question. La bonne question est : “Comment mesure-t-on la création de valeur?” »
M. McLean explique que la création de valeur associée aux actifs incorporels ne peut pas être calculée en fonction des opérations résumées dans les états financiers classiques. Cette situation, ajoute-t-il, présente à la fois des défis et des occasions pour les CPA, qui doivent passer d’une approche rétrospective à une approche prospective.
« Dans ce cas, dit-il, la création de valeur se réalisera dans l’avenir. Les innovations d’aujourd’hui n’auront aucune valeur pendant un certain temps. »
Il faut donc à la fois prendre du recul et faire preuve de prévoyance pour comprendre comment les actifs incorporels contribueront au succès d’une organisation, ajoute-t-il. « Nous devons voir d’où nous venons, mais aussi envisager l’avenir. »
Chris Polson, CPA, associé, Services-conseils et juricomptabilité, chez PwC Canada, ajoute que les CPA sont bien placés pour évaluer les risques et les possibilités lorsqu’ils déterminent la valeur des actifs incorporels.
« Un CPA peut travailler avec une entreprise et lui dire : “Vous avez ces actifs incorporels, mais ils ne valent pas autant que vous le pensez à cause de ces risques, ou, au contraire, ils ont cette valeur grâce à ces possibilités” », poursuit-il.
3) ALIGNER LES ACTIFS INCORPORELS SUR LES CHAÎNES DE VALEUR
Avant toute chose, les CPA doivent cerner les actifs incorporels auxquels une entreprise a accès ou qu’elle pourrait créer, selon M. McLean. Il peut s’agir de brevets, de connaissances spécialisées, de secrets commerciaux, de marques de commerce et de fabrique, de licences et permis gouvernementaux, d’investissements dans des logiciels, de relations avec la clientèle et de bassins de candidats.
« Cherchez à établir des liens entre ces actifs incorporels afin de renforcer les chaînes de valeur existantes [comme les ventes, l’approvisionnement ou le maintien en poste des meilleurs éléments] ou d’en créer de nouvelles. »
Il importe aussi de déterminer quels actifs incorporels sont les plus précieux pour une organisation, ajoute M. Polson. Cela dépendra de plusieurs facteurs, notamment le secteur dans lequel l’entreprise évolue, les produits ou services qu’elle offre et ses clients.
« Si vous êtes une société pharmaceutique, vos actifs incorporels les plus précieux sont peut-être les brevets. Dans le cas d’une entreprise de mode, ce pourrait être la reconnaissance de la marque. »
La façon dont les actifs incorporels sont liés à l’organisation et à ses parties prenantes, et influent sur elles, aide également à en déterminer la valeur réelle, poursuit M. McLean. Par exemple, la valeur de l’actif est-elle liée à la réputation, comme c’est le cas pour les relations avec la clientèle? S’agit-il de ventes futures qui ne peuvent être comptabilisées avant que le produit soit testé et approuvé? Ou de renseignements tirés de la collecte de données qui seront monétisés plus tard? Tout au long du processus, nous créons de la valeur potentielle. Nous ne savons pas exactement quelle est cette valeur, mais nous pouvons envisager ce qu’elle pourrait être.
4) GARDER LES YEUX SUR UNE CIBLE MOUVANTE
Le débat se poursuit sur la façon de comptabiliser les actifs incorporels au bilan. Le statu quo est remis en question un peu partout dans le monde. Les questions fondamentales à se poser sont les suivantes : quand un actif incorporel remplit-il les conditions de comptabilisation au bilan? et quelle méthode doit-on utiliser pour déterminer la valeur de cet actif?
Ainsi, accroître la transparence en matière d’actifs incorporels est une priorité pour l’International Accounting Standards Board (IASB). Le Conseil des normes comptables du Canada appuie les initiatives de l’IASB dans ce domaine et est aussi d’avis que la fourniture d’informations sur les actifs incorporels générés en interne et non comptabilisés et les autres activités de création de valeur d’une entité est importante pour les utilisateurs, car elle donne des indications sur la capacité de cette entité à dégager des bénéfices et des liquidités dans l’avenir.
« La bonne nouvelle, c’est que les cadres d’évaluation utilisés pour mesurer les actifs incorporels commencent à recueillir un plus large consensus, fait observer M. Polson. Ça nous permettra d’uniformiser la façon dont nous analysons et évaluons les actifs incorporels, et d’accroître notre capacité à les comparer d’une entreprise à l’autre. »
Les CPA doivent se tenir au fait de l’évolution de ce secteur pour tracer la voie à suivre, souligne M. McLean. Il ajoute que même lorsque la comptabilisation du coût des actifs incorporels d’origine interne dans les bilans se sera beaucoup améliorée, la question stratégique de savoir comment réaliser tout leur potentiel de création de valeur à long terme demeurera.
« Au moment où on commence à viser des courbes de réduction des GES sur 30 ans, on doit s’habituer à envisager un horizon de 30 ans ou plus et à déterminer comment optimiser les courbes de valeur pour l’organisation et toutes ses parties prenantes. À mon avis, cela représente un défi de taille et une occasion en or pour les CPA, conclut Rob McLean. »
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES ACTIFS INCORPORELS
Apprenez-en davantage sur la façon de cerner et d’évaluer les chaînes de valeur associées aux actifs incorporels grâce au document Introduction au projet Création de valeur : de la mesure à la décision. Et déterminez quelles données ont de la valeur pour votre organisation en consultant le rapport intitulé Quelle est la valeur de vos données? Points de vue pour les CPA. Enfin, participez à une discussion en ligne sur la création de valeur et d’autres sujets qui auront une profonde incidence sur l’avenir de la profession comptable.