Kayak au coucher du soleil sur la mer de Salish
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Les savoirs autochtones, essentiels à la gestion des facteurs ESG

Selon Scott Munro, CPA, certaines réponses aux problèmes d’aujourd’hui se trouvent dans des pratiques traditionnelles du passé, qu’on se réapproprie peu à peu.

Kayak au coucher du soleil sur la mer de SalishAu lieu de chercher à régir l’environnement naturel, les Autochtones vivent en symbiose avec lui. (Getty Images/ Sawaya Photography)

Scott Munro, CPA, chef de la direction adjoint du Conseil de gestion financière des Premières Nations à Vancouver, espère voir davantage d’Autochtones faire preuve de leadership et contribuer à régler d’importants problèmes qui affectent notre pays.

Profitant de sa présence à l’édition 2023 du Symposium sur les facteurs ESG de CPA Canada, nous nous sommes entretenus avec lui sur les avantages pour les entreprises canadiennes d’intégrer le leadership, les pratiques et les valeurs des Autochtones à leurs activités liées aux facteurs ESG.

CPA CANADA : On entend souvent parler de la pensée ou du principe des sept générations. Que signifie ce principe et comment s’inscrit-il dans la culture autochtone?
SCOTT MUNRO (SM) : La pensée des sept générations témoigne du fait que nous, les Autochtones, avons toujours vécu en symbiose avec le monde naturel. Nous faisons corps avec la terre. Nous sommes liés à l’environnement naturel.

Nos modes de vie traditionnels reposent sur la connaissance et les traditions transmises par nos aînés et nos ancêtres, qui nous ont appris, par exemple, qu’il y a des limites à exploiter les ressources naturelles.

La pensée des sept générations porte sur l’incidence des mesures et des décisions d’aujourd’hui sur nos modes de vie et la nécessité de comprendre les répercussions à long terme pour nos descendants et les générations à venir.

Scott Munro, CPA, espère voir davantage d’Autochtones faire preuve de leadership et contribuer à régler d’importants problèmes qui affectent notre pays. (Photo fournie)

CPA CANADA : Comment les peuples autochtones vivent-ils en harmonie avec l’environnement naturel et les différents types de biodiversité?
SM : Bien qu’ils ne représentent que 6 % de la population mondiale, les peuples autochtones sont les gardiens de 80 % de la biodiversité de la planète. Voilà une statistique qui en dit long.

Au lieu de chercher à régir l’environnement naturel, les Autochtones vivent en symbiose avec lui. En Colombie-Britannique, par exemple, les Salishs de la Côte récoltent avec respect de l’écorce de cèdre pour fabriquer et tisser des vêtements ou à des fins rituelles, en prenant grand soin de n’en prélever qu’une petite quantité, pour ne pas nuire aux arbres.

Nous rendons grâce à la terre pour sa générosité et ne prenons que l’essentiel.


« Les peuples autochtones vivent dans l’environnement en toutes saisons. C’est ainsi qu’ils ont su déceler les signes et les effets des changements climatiques bien avant les scientifiques d’Occident. »


CPA CANADA : Peut-on harmoniser ces enseignements des générations passées avec l’actuelle évolution rapide, axée sur les technologies?
SM : Tout dépend de la disposition des décideurs, des autorités de réglementation et des normalisateurs à consulter les Autochtones et à en faire une priorité. Nous tenons à ce qu’on respecte nos points de vue et nos savoirs.

Certaines réponses aux problèmes d’aujourd’hui se trouvent dans des pratiques traditionnelles du passé qu’on se réapproprie peu à peu.

Par exemple, nos pratiques agricoles traditionnelles, très fructueuses, ont été interdites et éliminées à la suite de la colonisation. Le retour à ces pratiques agricoles régénératrices s’accompagne de plusieurs avantages, dont un rendement équilibré, moins dépendant de l’importation d’engrais chimiques qui réduit du même coup la perte de biodiversité.

CPA CANADA : Quelles pratiques exemplaires en usage dans la culture et le mode de vie autochtones les entreprises devraient-elles adopter pour attirer les investisseurs socialement responsables?
SM : Pour les Autochtones, la valeur actionnariale ne se limite pas aux résultats financiers ou au critère d’importance relative, mais englobe aussi les répercussions des activités des entreprises sur l’environnement naturel et sur la société.

Dans un pays comme le Canada en particulier, où l’économie dépend fortement de l’extraction de ressources, de vastes projets énergétiques et de l’aménagement d’emprises, l’absence d’Autochtones au conseil d’administration et à la haute direction expose les grandes entreprises de ces secteurs à des risques accrus.

CPA CANADA : Comment les grandes entreprises peuvent-elles intégrer la pensée des sept générations à leurs efforts pour améliorer leurs pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), voire réduire les effets nuisibles des changements climatiques?
SM : La pensée des sept générations peut aider les entreprises à mettre en œuvre de saines pratiques ESG dans la mesure où elles visent des objectifs à long terme, plutôt que les résultats à court terme généralement privilégiés par les marchés financiers.

Les peuples autochtones vivent dans l’environnement en toutes saisons. C’est ainsi qu’ils ont su déceler les signes et les effets des changements climatiques bien avant les scientifiques d’Occident. Nous voyons les répercussions sur la flore et la faune.

De nombreuses communautés des Premières Nations passent rapidement à l’énergie solaire et à d’autres formes d’énergie renouvelable. Je crois qu’elles sont disposées à collaborer avec les producteurs d’énergie renouvelable afin de conférer à leurs projets un effet d’atténuation sur les changements climatiques.

CPA CANADA : Comment les communautés autochtones peuvent-elles aider les CPA à évaluer la valeur financière du monde naturel, et l’incidence des activités industrielles et commerciales sur ces évaluations?
SM : À l’heure actuelle, il y a très peu de CPA autochtones. Il importe donc, à court terme, de recruter davantage d’Autochtones dans la profession comptable, afin qu’ils puissent aider les entreprises à réduire les risques et à repérer plus tôt les possibilités.

Quant à l’évaluation financière du monde naturel, à titre de gardiens reconnus des terres, nous avons accumulé sur des milliers d’années des connaissances traditionnelles sur leur évolution, leur biodiversité et leurs systèmes naturels très complexes. Nous pouvons aider les entreprises à évaluer, de manière quantifiable, l’incidence de leurs activités sur l’environnement.


« Bien qu’ils ne représentent que 6 % de la population mondiale, les peuples autochtones sont les gardiens de 80 % de la biodiversité de la planète. »


CPA CANADA : Croyez-vous que certaines régions du monde devancent le Canada et l’Amérique du Nord au chapitre des pratiques et des lois en matière de durabilité?
SM : Oui, effectivement. Par exemple, le Groupe consultatif européen sur l’information financière établit des normes d’information sur la durabilité depuis une vingtaine d’années. L’Europe semble aussi plus disposée que l’Amérique du Nord à adopter le concept de la double importance relative.

En Nouvelle-Zélande, l’External Reporting Board, qui rédige et publie des normes d’information sur la comptabilité, l’audit, la certification et le climat, mène un projet d’information sur les questions autochtones axé sur la durabilité du point de vue des affaires.

CPA CANADA : Que doit faire le Canada pour rejoindre les autres pays en matière de pratiques exemplaires de durabilité?
SM : Je ne crois pas nécessaire de rejoindre les autres pays. Nous sommes en position de jouer un rôle de chef de file, d’œuvrer de manière constructive, d’accélérer la réflexion et peut-être d’aider à repousser les limites.

On observe des signes de changement. Le Canada a créé le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CSSB). Le CSSB doit travailler avec le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (International Sustainability Standards Board – ISSB), mais aussi adapter certaines exigences au marché canadien.

Par exemple, un émetteur assujetti du Canada devrait, à terme, publier de l’information sur sa conformité à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) et sur les mesures prises en réponse à l’appel à l’action 92 du rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation.

CPA CANADA : Avez-vous quelques exemples où les peuples autochtones mènent des efforts d’amélioration de la durabilité et des pratiques ESG des entreprises au Canada?
SM : Oui. La National Aboriginal Trust Officers Association (NATOA) représente diverses fiducies que possèdent et exploitent des gouvernements ou titulaires de droits autochtones. Elle établit, à l’intention des investisseurs, des attentes fondées sur les principes énoncés dans la DNUDPA.

Le Conseil de gestion financière des Premières Nations (CGFPN) a aussi répondu aux propositions de consultation et aux exposés-sondages des autorités de réglementation et des normalisateurs sur les facteurs ESG et la durabilité. Nous invitons les titulaires de droits, notamment des Premières Nations, à participer en grand nombre à cette réflexion.

En ma qualité de vice-président, je présente les points de vue des Autochtones au Conseil sur la comptabilité dans le secteur public et j’essaie d’accélérer l’adoption de politiques qui favoriseront leur inclusion dans le secteur public et le monde des affaires.

Nous avons déjà réalisé de grands progrès, et nous espérons voir se multiplier les initiatives de ce genre.

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LA CULTURE ET LES VALEURS AUTOCHTONES

Scott Munro évoque l’attention croissante accordée aux questions sociales liées aux Autochtones au cours des derniers mois. Apprenez à mieux connaître l’histoire des Autochtones, et renseignez-vous sur le cours Introduction à la culture des peuples autochtones de CPA Canada et sur le Programme de mentorat Martin / CPA Canada pour les élèves autochtones du secondaire.