Un CPA derrière le sauvetage de la plus grande entreprise canadienne de jouets
Benoît Gadbois, président et chef de l’exploitation de Spin Master (Photo de Daniel Ehrenworth)
Une incursion au siège social de Spin Master en met plein la vue. Depuis juin dernier, l’entreprise occupe sept étages d’une tour du centre-ville de Toronto. Les murs bleu ciel sont décorés d’immenses illustrations des jouets du fabricant, et partout trônent des joujoux – sur les cloisons des cubicules, dans des vitrines ou dans la salle Toy Box, véritable caverne d’Ali Baba. Dans cette pièce, on peut faire un câlin aux peluches géantes des adorables chiots de la Pat’ Patrouille, ou serrer la pince à un imposant robot Meccanoid. Dans la chic cafétéria, des ingénieurs en t-shirt côtoient des pros du marketing tirés à quatre épingles. Impossible de manquer l’immense murale colorée reproduisant le mot PLAY, composé de centaines de milliers de Bunchems aux vives couleurs. Les Bunchems, ce sont de petites bouboules à assembler, comme des Lego, mais à l’allure échevelée; on les colle les unes aux autres, sur le principe du velcro. Les bouts de chou en redemandent.
L’un des rares recoins à ne pas être saturé de jouets est le bureau au décor dépouillé de Benoît Gadbois, chef de l’exploitation. Un homme élégant, sérieux, mais rieur : de fréquents sourires illuminent son visage. On parle de jouets, tout de même.
Lorsque M. Gadbois, CPA, y est entré en 2012, Spin Master traversait une mauvaise passe. Pourtant, cinq ans plus tôt, elle avait lancé les Bakugan, une gamme de jouets du genre Transformer. Un succès fracassant. Au contact d’une surface magnétique, ces sphères en plastique s’ouvrent pour déployer des créatures telles que Drago, un dragon rouge affublé d’une corne de narval. Codéveloppés par Spin Master et la japonaise Sega Toys, ces gadgets de génie avaient enflammé les passions. Les bras et jambes à ressort des personnages et leurs loquets cachés les rendaient aussi captivants qu’un casse-tête chinois. Parmi les produits dérivés, un jeu de cartes de collection illustrées des personnages Bakugan, mais, surtout, une série télévisée d’animation (coproduite), qui avait fait briller la marque partout dans le monde. Dans l’industrie des jouets, la gamme Bakugan s’était détachée du lot, suscitant un engouement spectaculaire en 2008-2009. En 2010, en grande partie grâce à ce succès monstre, Spin Master affichait un chiffre d’affaires brut qui frisait le milliard de dollars – quasiment le double des ventes de 2007.
Puis la folie s’estompe. Les amateurs ont grandi. Ils trouvent le jeu de cartes simpliste. La série télé s’essouffle après quatre saisons et, dans les magasins, la poussière s’accumule sur les figurines en plastique. L’incidence sur le bilan de Spin Master est considérable. En 2012, les ventes fléchissent. Adieu, frénésie Bakugan. Mais l’effectif et l’infrastructure mondiale n’avaient pas été réduits à l’avenant. Faute de relève dans les produits en cours d’élaboration, difficile d’égaler le dernier coup d’éclat. Le mandat immédiat de Benoît Gadbois, appelé en renfort? Redresser la situation et redynamiser Spin Master.
Pat’ Patrouille : cette marque créée par Spin Master comprend des émissions de télé, un spectacle et des jouets. C’est une des franchises de jeux les plus populaires dans le monde. (Avec l’autorisation de Spin Master)
On peut dire « Mission accomplie ». Même si Spin Master évolue dans une arène où dominent les géants nord-américains Mattel et Hasbro (dont le chiffre d’affaires annuel dépasse régulièrement les 5 G$ US), l’entreprise affiche un bel essor. Ces sept dernières années, elle a redoublé d’efforts pour accoucher de concepts originaux et brevetables. Une décision qui l’a amenée à produire des jouets dérivés des séries télévisées à grande diffusion dont elle détient les droits. Couronnement de cette stratégie : La Pat’ Patrouille (PAW Patrol), une série télé mettant en vedette de jolis chiots héroïques. Les enfants adorent. Spin Master a élaboré le concept à l’interne, avec l’éclairage de Keith Chapman, créateur indépendant d’émissions jeunesse, puis a produit la série en partenariat avec Nickelodeon. En 2017, les jouets PAW Patrol se taillaient la part du lion dans le segment du préscolaire aux États-Unis, selon la firme NPD.
Les coffres pleins de liquidités – du fait de son entrée réussie en Bourse, en 2015 –, Spin Master s’est lancée dans une vague d’expansion, notamment en ouvrant des centres de distribution en Pologne et en Russie. Sa portée mondiale lui vaut aussi de conclure d’importants contrats de licence, un vrai pactole. En 2018, Spin Master y va d’un coup de maître en signant un accord avec Warner Bros. pour produire un certain nombre de jouets inspirés des personnages de DC Comics – les droits étaient auparavant détenus par Mattel.
Spin Master, inlassable, a même commencé à glaner d’autres « morceaux de robots » ici et là. Par exemple, en 2013, elle a acheté Meccano, ce qui lui donne une tête de pont dans l’univers toujours lucratif des jouets de construction. Au nombre des acquisitions récentes : GUND, la marque de peluches plus que centenaire, achetée à Enesco pour 79,1 M$ US.
En 2017, le chiffre d’affaires brut de Spin Master culmine, à 1,74 G$ US. Trois ans après son entrée en Bourse, son bénéfice net avait presque quadruplé pour atteindre quelque 161 M$ US. Avec l’aide de Benoît Gadbois (« Ben » tout court, pour les intimes), Spin Master s’est elle-même métamorphosée en Bakugan : d’entreprise montante, connue pour un succès feu de paille, elle s’est muée en hydre redoutable, qui tient tête à Mattel et Hasbro. Son portefeuille diversifié de marques connues saura générer de solides rendements dans les années à venir. En adoptant une vision sur la durée et en bichonnant ses gammes de produits, source d’encaissements à long terme – des stratégies chères à M. Gadbois –, Spin Master se protège au mieux contre les déconvenues, vu le jeu de serpents et d’échelles qui fait la loi dans l’industrie des jouets.
À la bonne heure! Mais que penser de l’avenir? Eh bien, M. Gadbois s’apprête à jouer gros jeu. Spin Master entend relancer les Bakugan, les figurines qui ont fait fureur avant d’être jetées aux oubliettes, au point de torpiller la rentabilité de l’entreprise. Vu tout ce que M. Gadbois et l’équipe ont dû faire pour rebondir, leur nouveau projet peut sembler déroutant. Pourtant, bientôt, les enfants du monde entier seront initiés aux nouveaux Bakugan et se verront proposer une série télé repensée. Avec M. Gadbois comme maître d’équipage, le vaisseau Spin Master sera-t-il propulsé vers de nouveaux sommets?
Remettre l’entreprise sur la voie de la croissance n’était pas un jeu d’enfant.
Le marché des jouets se distingue par une demande remarquablement stable. L’opinion courante parmi les analystes et les dirigeants, c’est que même quand l’économie ralentit, les achats de jouets se maintiennent, à défaut de progresser. On constate aussi que les jeux vidéo, qui se taillent d’enviables succès – Sony a lancé sa PlayStation en 1994, année de fondation de Spin Master –, n’ont pas éclipsé pour autant les jouets classiques. « Je dirais que les parents vont se serrer la ceinture avant de lésiner sur les jouets, surtout en haute saison », affirme Joan Ramsay, analyste en divertissements, de la firme NPD, qui chiffre les ventes mondiales totales à 40 G$. « Aucun marché n’est à l’abri d’une récession, mais les jouets ne seront pas les premiers à tomber au combat. »
Si l’on examine ses moindres soubresauts, toutefois, l’industrie peut se révéler hautement imprévisible. Bienheureux est le jouet dont le succès ne se dément pas, année après année, fort d’un bassin d’adeptes renouvelé en continu. Les gros canons du domaine ont leurs vaches à lait, ancrées dans la culture, qu’ils font d’ailleurs évoluer au gré des goûts et tendances de l’heure. On pense ici aux classiques Barbie et Hot Wheels de Mattel. Des jouets qui n’ont pas à être réinventés, mais actualisés – nouvelle carrière pour Barbie, qui n’a pas pris une ride; nouveau look d’enfer pour les Hot Wheels, qui roulent toujours à vive allure.
Mais ce sont des exceptions. Tous les fabricants courent le risque d’être évincés du jeu. L’exemple souvent cité? Coleco, légendaire fabricant des poupées P’tits bouts de choux, qui ont trôné au palmarès des jouets qu’on s’arrachait au début des années 1980. En 1988, bredouille, ayant négligé d’ensemencer ses marchés faute de graines de créativité, Coleco n’a pu que constater qu’elle faisait chou blanc.
Quand les petits personnages Bakugan ont commencé à perdre de la vitesse, la boîte de jouets torontoise aurait pu disparaître, victime d’un autre phénomène passager. Mais voilà qu’est apparu un nouveau personnage chez Spin Master.
Bakugan : ces créatures ont dominé le marché du jouet à la fin des années 2000 et permis à Spin Master de presque doubler ses revenus en seulement trois ans. (Avec l’autorisation de Spin Master)
Élevé à Montréal, une fois arrivé à l’adolescence, Benoît Gadbois est parti vivre à Boston avec son père, cadre chez Sico, qui venait d’être muté. « Mon anglais laissait à désirer, alors je me suis dit que ce serait l’occasion d’apprendre la langue et de découvrir les États-Unis. »
Sur les conseils de son père – convaincu qu’une connaissance des fondements de la finance s’impose pour évoluer dans le monde des affaires –, le jeune Gadbois décide d’étudier en comptabilité (il obtiendra son titre en 1995). Sur le marché du travail, il ne tarde pas à gravir les échelons. Il devient chef de mission d’audit chez Arthur Andersen. (« Mais ils m’ont poliment demandé de plier bagage. Je crois que c’était en raison de mon franc-parler. ») Il est nommé auditeur interne chez Black & Decker. Puis, chez Newell Rubbermaid, il devient chef des finances et monte en grade : il est promu président de la division Europe, Moyen-Orient, Afrique et Asie, à seulement 31 ans. En 2012, il accède au rang de président mondial de la division Newell (stylos), dont Sharpie, la marque phare, domine le marché en Amérique du Nord.
« C’est un leader stratégique qui a du cran », lance Krista DiBerardino, qui a côtoyé Benoît Gadbois chez Newell Rubbermaid avant de passer à Spin Master, où elle est vice-présidente directrice, intégration et activation marketing. « Il sait nourrir une vision et instaurer la discipline opérationnelle voulue pour la concrétiser. Un talent rare. »
Avant d’entrer à Spin Master, M. Gadbois envisageait de prendre la tête d’une firme de capital-investissement. « J’étais sur le point de signer quand j’ai reçu un appel d’Anton Rabie, l’un des fondateurs. Il a insisté, alors j’ai fini par sauter dans l’avion pour venir discuter avec lui. » M. Gadbois a alors pu rencontrer Ronnen Harary, un autre des fondateurs, cochef de la direction avec Anton Rabie. « Ça a cliqué tout de suite. »
Retour au pays en août 2012, donc, où l’une des premières tâches du nouveau directeur de l’exploitation a été de piloter une vague de licenciements. Belle façon de se faire de nouveaux amis! Mais une fois passé ce difficile premier acte, l’homme s’est attelé à une autre tâche : remettre l’entreprise sur la voie de la croissance, ce qui n’était pas un jeu d’enfant.
La structure de direction choisie par Spin Master se démarque, pour une société de son envergure. Les trois cofondateurs – MM. Rabie et Harary, tous deux cochefs de la direction, et Ben Varadi, vice-président directeur et chef de la création – sont encore bien présents dans les activités quotidiennes. Anton Rabie est doué en leadership stratégique et en motivation des troupes; Ronnen Harary prend en mains les contrats de licence; Ben Varadi, épris de créativité, a du flair et se concentre sur les nouveaux produits. Seulement voilà : ces trois mousquetaires n’avaient jamais été à la tête d’une entreprise milliardaire.
Leur d’Artagnan, étaient-ils convaincus, allait réorganiser les choses. Mais celui-ci savait que, pour instaurer des changements, il devrait convaincre non seulement le conseil d’administration, mais aussi le triumvirat initial. « Les patrons connaissaient leurs forces, tout en restant conscients qu’il leur manquait parfois des munitions. Il a fallu un peu de temps au début, parce que le coup de barre à donner était plutôt radical. En définitive, ils ont bien vu que, pour façonner l’avenir de l’entreprise, il fallait bouger des pions. »
Benoît Gadbois a remanié la structure de Spin Master pour la répartir en unités opérationnelles, en fonction des divers volets (jouets robotisés, jouets préscolaires, jeux extérieurs, et tutti quanti). À chaque unité son équipe, chargée de son budget. Un nouveau cadre qui procurait aux divers groupes une certaine autonomie créative tout en les tenant pour responsables de leurs résultats. Liberté d’action, oui, mais prise en mains des retombées aussi. Les fonctions communes (marketing, services juridiques) ont été centralisées pour éliminer les dédoublements.
Mais vendre des jouets et vendre des stylos Sharpie font deux. La nature forcément cyclique des objets ludiques signifie que même le plus habile des fabricants peut s’embourber, faute d’avoir innové à tour de bras pour contrer les pertes prévisibles sur les jouets qui se démoderont.
« À nous de comprendre comment créer de la valeur pour l’entreprise, explique Benoît Gadbois. En clair, la plus-value provient des innovations marquantes. Donc, si l’organisation n’a pas de carte majeure en main, son jeu manquera d’éclat. Tout doit tourner autour de la pépinière de projets cultivés à l’interne. » Pour que les idées ne cessent de jaillir, M. Gadbois a mis en place une filière de produits envisagés. Ainsi, le leader de chaque unité a la responsabilité de planifier sur trois ans. Dans les réunions mensuelles avec la haute direction, ces chefs d’équipe prédisent le flux et le reflux des gammes de produits. Leur souci? Redoubler d’ingéniosité, et proposer des vagues de nouveautés qui combleront le vide laissé par un engouement qui, bien souvent, n’aura été que passager.
L’approche prévisionnelle de M. Gadbois trouve son expression concrète dans le cas des Hatchimals, une gamme d’oiseaux-jouets robotisés, cachés dans un œuf qui finit par éclore – l’un des jouets les plus populaires pour les Fêtes de 2016. Au début de la folie Hatchimals, les parents se les arrachaient pour en mettre au pied du sapin. Et sur eBay, ils étaient prêts à payer le double du prix de détail. Une passade qu’on aurait pu croire morte et enterrée un an après. Mais non. Spin Master avait déjà dans ses incubateurs une panoplie de nouveaux volatiles attachants, notamment les Hatchimals CollEGGtibles, des figurines à prix modique qui tiraient parti de la vague des bricoles à collectionner pour tout-petits. Résultat : la marque Hatchimals est désormais établie. Une poule aux œufs d’or qui, il va de soi, est nourrie du meilleur grain – car là réside la formule des prochaines victoires.
Hatchimals : ces drôles d’animaux de compagnie, succès monstre de l’année 2016, se revendaient en ligne deux fois le prix demandé dans les magasins... qui étaient en rupture de stock. (Avec l’autorisation de Spin Master)
À l’inverse, dans un coin discret du siège social, on trouve le « mur des échecs », sorte d’appel à l’humilité, sachant que le succès n’est pas toujours acquis. À preuve, ces quelques spécimens sous vitrine, témoins de défaites retentissantes. On y voit le kit d’artisanat Aqua Dots, qui avait semé la panique : certaines des billes colorées, ingérées en grande quantité, contenaient une substance susceptible d’être métabolisée et transformée en GHB, alias la drogue du viol. (Spin Master a d’elle-même procédé à un rappel de produit, puis a relancé une version revue et corrigée du jouet sous un autre nom.) Le jeu de course automobile Swypeout y est momifié également. On visait à combiner le plaisir des parties en ligne avec un engouement pour des cartes à collectionner, qui servaient de sésame pour gagner des avantages. Hélas, les bolides sont tombés en panne; le jeu a été balayé du paysage un an plus tard. Mais la pierre tombale la plus crève-cœur est celle du jouet robotisé Yoda légendaire, impressionnante réplique grandeur réelle ou presque du maître Jedi. Décidément, la force n’a pas été avec lui. La figurine animée avait été lancée au prix fort de 240 $ en 2015, parallèlement au battage médiatique pour Star Wars : Le Réveil de la Force. Or, dans cet épisode, Yoda ne faisait qu’une figuration vocale. D’où le flop.
L’idée du mur est de faire réfléchir, de tirer des leçons, de souligner à quel point la cible reste mouvante, et la route du succès, parsemée de traquenards. Au tribunal des jouets, le jeune jury est roi et maître. Ou parfois le parent rechigne, quand on lui réclame une somme exorbitante pour faire sourire un gamin. Pire encore, il arrive qu’un jeu d’artisanat tout à fait innocent se transforme – littéralement – en cadeau empoisonné.
Ressortir une gamme de produits ayant eu son heure de gloire, en l’occurrence Bakugan, atténuerait certains de ces risques. D’abord, le produit a une certaine notoriété; il a déjà connu un franc succès avant de sombrer dans l’indifférence. Voilà qui pourrait aider Spin Master à faire une percée chez les grands détaillants, généralement moins frileux face à une marque ressuscitée.
Même si, pour la nouvelle gamme Bakugan, il sera possible d’éviter les écueils évidents, la partie n’est pas gagnée d’avance. Il faudra faire opérer la magie initiale et rallumer la flamme des adeptes inconditionnels d’antan – en espérant que leur enthousiasme soit contagieux et se transmette à une génération pour qui les créatures Bakugan sont inconnues au bataillon. En fait, la gamme devra d’elle-même plaire aux plus jeunes, et piquer leur curiosité; c’est eux qui supplieront leurs parents d’ouvrir leur portefeuille. Autant d’éléments cruciaux dans l’équation. Les lignes des figurines Bakugan ont été retravaillées. On a même conçu une gamme de personnages « ultra », plus grands et plus complexes. À moins de 10 $ l’unité, la tirelire parentale ne souffre pas trop. Par ailleurs, le jeu de cartes à collectionner, jadis boudé pour cause de simplicité, est désormais plus corsé, grâce à la complicité du partenaire Gamer Entertainment, un as en la matière. Enfin, signe des temps, il y a l’appli Bakugan.
Une nouvelle série télé, Bakugan: Battle Planet, déjà en ondes, fera office de locomotive. Réalisée par l’unité Divertissement de Spin Master, en collaboration avec une brochette de partenaires canadiens, américains et asiatiques, elle lance une offensive de séduction tous azimuts. Trame de l’histoire : un groupe d’amis au cœur franc combat d’infâmes personnages avec l’aide d’adorables créatures Bakugan. Sachant que les jeunes ne sont plus rivés à la télé, mais plutôt scotchés à YouTube, chaque épisode se divise en deux récits distincts de 11 minutes, à la manière des vidéos en ligne. Le protagoniste, Dan Kouzo, est un pré-ado aux grands yeux qui vit le rêve de bien des jeunes : influencer ses pairs sur le Net (sur un site fictif appelé ViewTube).
Dans la stratégie marketing du lancement bis de Bakugan, on a tenu compte des réflexions de youtubeurs connus. « C’est une assise de notre stratégie, explique Krista DiBerardino. Côté célébrités, les choses ont changé. Les jeunes sont désormais friands des commentaires de youtubeurs connus. C’est souvent eux, leurs références sur le plan social. »
Le prochain défi lié aux Bakugan? Livrer les gadgets sans surinvestir ni faire fi d’un possible désintérêt.
Ne reculant devant rien, Spin Master a donc offert à une poignée de youtubeurs vedettes un séjour éclair dans ses bureaux de Los Angeles. La plupart ont ensuite passé le mot sur leur chaîne YouTube. L’un d’eux, un jeune de 20 ans qui vit au Colorado (nom de clavier : Negative Legend), crée depuis un an environ des vidéos où entrent en scène les Bakugan. « Ces nouveautés ont dépassé mes attentes en tous points, nous a-t-il confié. On voit que Spin Master y a mis du cœur; ils ont fait le tour des lacunes de la première mouture, et ils ont su corriger le tir. »
Bref, pour la réédition Bakugan, Spin Master applique les leçons de Benoît Gadbois (voir à long terme) afin de favoriser la longévité de la marque. Le plan, cette fois-ci, mise à tout le moins sur un succès à retardement, un peu comme dans le cas d’autres jouets pour garçons. On pense notamment à Beyblade (d’abord lancé par Takara Tomy), ravivé avec brio par Hasbro en 2010. La gamme était encore offerte au détail, malgré des ventes moribondes, puis la demande a repris grâce à la sortie d’une série animée, complétée par une nouvelle série de figurines.
« Nous allons gérer les Bakugan dans une perspective de long terme », a expliqué M. Harary à des analystes dans son commentaire sur les résultats du troisième trimestre 2018. « On va y aller graduellement, avec des innovations apportées à l’éventail de produits, année après année, harmonisées à la série télé et aux autres produits dérivés. » Comme créateur de Bakugan, Spin Master détient les droits de licence sur la gamme de jouets. Si la marque séduit, la concession de sous-licences à des tiers pourrait devenir une mine d’or.
Pour M. Gadbois, le défi sera de livrer à temps aux détaillants les gadgets attendus, sans surinvestir, tout en veillant à contrer le désintérêt potentiel, pour éviter la déroute de la première génération des Bakugan. La présence accrue de l’entreprise, à l’échelle mondiale, lui donnera les moyens de mieux maîtriser la distribution. « La première fois, les ventes se faisaient surtout par l’intermédiaire de tiers distributeurs », a-t-il rappelé aux analystes. « Nous sommes fiers de le dire : cette fois-ci, nous serons aux commandes pour le marketing et les décisions d’investissement dans divers pays. » (La japonaise Takara Tomy se chargera de la distribution dans certains pays d’Asie.)
Spin Master, dotée de meilleurs outils de suivi, est à même de suivre en temps réel les stocks, les livraisons et les ventes, et aussi d’avoir un portrait juste de l’accueil que les jeunes garçons, public cible, réservent à l’univers Bakugan. Que l’engouement se renforce ou décline, M. Gadbois le saura sans tarder.
La série de jouets Bakugan 2.0 sortira-t-elle gagnante? Trop tôt pour se prononcer. Les résultats préliminaires restent à venir. Le murmure d’approbation, sur Internet, va-t-il se transformer en clameur? À court terme, le seul endroit où l’on pourra voir si le succès est au rendez-vous, c’est dans les allées des détaillants.
Voici une scène observée récemment dans un Walmart de Toronto : une mère et son fiston, épuisés par d’interminables négociations, s’étaient affalés sur des chaises près du rayon des figurines. Le petit serrait bien fort contre lui un Bakugan prisonnier de son emballage. Le dénouement, rêvé par les pros du marketing et de la logistique? Le garçon regardait d’un air suppliant sa mère, qui a fini par céder : « C’est bon, tu as gagné, on le prend. »
Nouvelle partie |
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Bakugan n’est pas le premier des jouets d’hier à orchestrer un retour. FURBY 1998 : Les peluches animatroniques Tiger Electronics connaissent un succès fou; à la revente, on se les arrache au double du prix. Hasbro fait patte basse sur Tiger. 2005 : Hasbro lance le Furby « émotronique ». Si attachant, avec ses oreilles souples! Ses entrailles électroniques se complexifient. 2012 : Furby ressort de son terrier. Des yeux encore plus expressifs, affichage à cristaux liquides oblige. 2016 : Naissance d’une nouvelle portée. Le Furby Connect glapit en « furbish » et fait copain-copain en Bluetooth. MA PETITE POULICHE 1983 : Hasbro lance ces adorables ponettes à longue crinière, peigne compris 1997 : Les petites juments reviennent caracoler sur les rayons; les jeunes mères qui en avaient raffolé dans leur enfance se ruent dessus pour les offrir à leur propre fillette. 2003 : Atavisme? La troisième génération ressemble drôlement à la première. 2010 : La lignée se poursuit, et les ventes galopent. La série d’animation Mon Petit Poney fait un tabac sur Internet. POLLY POCKET 1989 : L’anglaise Bluebird Toys lance ces figurines et accessoires dans un boîtier en coquille. 2003 : Mattel s’offre Bluebird. Les minipoupées reprennent du service. Mais leurs costumes interchangeables tiennent par de petits aimants qui, malheur, risquent de se désolidariser et d’être avalés; des millions de Polly sont rappelées au bercail. 2018 : Mattel renouvelle le lancement avec coffrets thématiques : piscine du flamant rose et chalet enneigé. |