L'édifice historique de la Banque du Canada, flanqué des nouvelles tours de bureaux en verre de la Banque du Canada à Ottawa
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Quand l’inflation gruge les résultats : le dilemme des banques centrales

À l’heure où les banques centrales peinent à juguler l’inflation, de judicieuses stratégies de gouvernance s’imposent pour affermir la confiance.

L'édifice historique de la Banque du Canada, flanqué des nouvelles tours de bureaux en verre de la Banque du Canada à OttawaDevant l’évolution accélérée de la conjoncture interne et externe, les banques centrales affinent leurs cadres de gestion des risques financiers et opérationnels. (Shutterstock/ Worldstock)

En réaction à la montée rapide de l’inflation l’an dernier, les banques centrales, décisives, ont fortement relevé les taux d’intérêt en quelques mois, ce qui a entraîné des non-concordances dans leur bilan et, par conséquent, d’importantes pertes, qui se reporteront au fil des ans.

Vu les inconvénients à comptabiliser les pertes à titre de capitaux propres négatifs ou d’actifs différés, la restructuration des réserves semble être la piste à suivre pour gérer le risque inhérent à un bilan en expansion, dans les prochaines années. Vigueur, indépendance, reddition de comptes et transparence, le relèvement des réserves fera figure d’atout.

Bilan élargi

Pendant la pandémie, les banques centrales ont fait appel, selon leur politique monétaire, à l’assouplissement quantitatif pour desserrer l’étau et stimuler la reprise. Elles ont donc acquis de larges volumes d’obligations d’État à long terme, détenues par des institutions financières, ce qui a fait gonfler leur bilan.

Les fonds consacrés à l’acquisition de ces obligations ont été placés dans les comptes de dépôt des institutions financières auprès des banques centrales, ce qui a accru considérablement le total du passif-dépôts portant intérêt.

Compte tenu de la forte hausse des taux d’intérêt, décrétée pour combattre l’inflation, les banques centrales ont donc versé sur ces dépôts des intérêts nettement supérieurs aux intérêts perçus sur leur propre portefeuille d’obligations, d’où des pertes notables, qui se poursuivront dans un avenir prévisible.

Pertes en vue

Habituellement, la banque centrale remet une partie de son résultat net à l’État. Toutefois, dans le contexte des récentes pertes enregistrées, la pratique a été graduellement abandonnée, voire entièrement éliminée dans bien des cas.

Dans une conjoncture hautement inflationniste, les pertes qu’occasionne l’assouplissement quantitatif se poursuivront, et leur cumul pourrait être considérable. La banque centrale doit les estimer en fonction de différents taux d’intérêt pour mieux chiffrer les répercussions sur ses réserves et sur les finances publiques. L’information sur les pertes cumulatives prévues devrait être publiée dans les états financiers audités et dans le rapport annuel.

L’apport en capital versé par l’État, consenti pour aider la banque centrale à éponger ses pertes, prend sans doute figure de solution optimale pour absorber et comptabiliser les moins-values à l’horizon. Le renflouement des réserves tient compte sans délai des coûts réels de l’assouplissement quantitatif, portés aux états financiers de la banque centrale et inscrits aux comptes publics. Le maintien de réserves suffisantes respecte le resserrement des exigences internationales quant aux fonds propres dont doivent disposer toutes les banques. Enfin, une structure financière renforcée favorise la reddition de comptes et la transparence de la banque centrale, dans un contexte où son rôle de leader s’avère primordial.

Capital à la hauteur

À l’issue de la crise de 2007-2008, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, composé de banques centrales et d’autorités de réglementation, a défini le cadre Bâle III, un dispositif international qui vient étoffer la réglementation, l’encadrement et la gestion des risques dans le secteur bancaire.

Les réformes énoncent des exigences minimales en matière de fonds propres et de réserves anticycliques pour donner aux institutions financières les moyens de mieux absorber les tensions et, aussi, pour renforcer la transparence ainsi que la communication d’informations.

Cela dit, il manque aux banques centrales un cadre commun pour délimiter les exigences d’adéquation du capital par rapport aux risques. Un cadre international adossé à des principes, semblable à celui de Bâle III, fruit d’une collaboration entre les banques centrales et d’autres parties prenantes, pourrait permettre à chaque banque centrale d’évaluer ses exigences minimales de fonds propres et de réserve anticyclique, en situation défavorable.

Risques soupesés

Devant l’évolution accélérée de la conjoncture interne et externe, les banques centrales affinent leurs cadres de gestion des risques financiers et opérationnels, désormais renforcés et prospectifs.

De tels cadres serviront à repérer les risques émergents à faible probabilité, mais assortis de contrecoups d’envergure moyenne à notable, qui pourraient déboucher sur de graves répercussions financières, opérationnelles ou réputationnelles.

L’analyse de scénarios représente un outil précieux pour faire ressortir diverses éventualités qui recèlent des risques cachés ou imprévus. Elle porte surtout ses fruits quand on la confie à un éventail de professionnels chevronnés, forts d’un bagage étoffé, à même d’esquisser les divers cas de figure et corollaires possibles.

Au chapitre de la gouvernance, les risques financiers émergents pour chaque activité de base des banques centrales doivent être présentés dans les rapports sur la gestion des risques opérationnels. Ces risques seront abordés avec la haute direction, ainsi qu’avec le comité des finances et d’audit et le comité de gestion des risques.

Pendant des décennies, les banques centrales ont su atteindre leurs objectifs stratégiques, qui ont contribué à l’expansion économique, à l’optimisation des systèmes financiers et à la confiance qu’inspire la monnaie. Récemment, la montée de l’inflation, la hausse des taux d’intérêt, l’ampleur des pertes et l’incertitude tant économique que financière se sont conjuguées. Dès lors, on a remis en question la capacité des banques centrales à piloter la politique monétaire, à faire preuve d’indépendance, et à assurer la reddition de comptes dans la transparence. Pour prendre acte des critiques qui s’élèvent et rectifier le tir, la clarté et la cohérence des communications se feront essentielles, afin de protéger la réputation de l’institution et de raffermir la confiance du public.

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