Craig Reynolds est assis dans le vestiaire des Roughriders de la Saskatchewan.
La profession

Un CPA a refait le plan de match de la Ligue canadienne de football

La pandémie a forcé la LCF à annuler tous ses matchs. Alors, planifions bien le prochain botté d’envoi, s’est dit Craig Reynolds, soucieux de faire évoluer la ligue.

Craig Reynolds est assis dans le vestiaire des Roughriders de la Saskatchewan.Craig Reynolds est président et chef de la direction des Roughriders, et un fan de l’équipe de très longue date. (Photo Tandem X Visuals)

Recruté comme chef des finances par les Roughriders de la Saskatchewan il y a 13 ans, Craig Reynolds, 46 ans, a fini par devenir président et chef de la direction de l’équipe. Il en a fait l’une des franchises les plus solides de la Ligue canadienne de football (LCF), après des décennies de difficultés. La COVID, qui a forcé l’annulation de la saison 2020, a durement frappé les neuf équipes de la ligue. Mais les Roughriders sont dans une classe à part.

Comme les Blue Bombers de Winnipeg et les Elks d’Edmonton, l’équipe appartient à tout le monde. Plutôt qu’un groupe de propriétaires, ses actionnaires sont ses supporteurs, qui achètent ses actions et participent à l’élection du conseil d’administration. Ce modèle, rare dans le sport professionnel (les Packers de Green Bay de la LNF sont le seul autre exemple du genre en Amérique du Nord), explique en grande partie le lien si fort qui unit les partisans et l’équipe. Toutefois, ce régime de propriété collective a aussi suscité de l’incertitude quand le club s’est retrouvé privé de rentrées pendant la pandémie, sans un propriétaire bien nanti aux commandes, capable d’assurer la continuité les années de vache maigre.

La saison ratée de 2020 a entraîné une hémorragie record de 7,5 M$ pour les Roughriders. « L’équipe n’avait jamais traversé une telle crise, explique Craig Reynolds. Ce qui n’est pas peu dire quand on connaît l’histoire de la franchise. »

Le reste des équipes n’a pas fait mieux, et on estime que la LCF a perdu 80 M$ la première année de la pandémie. D’autres ligues majeures, maintenues à flot par des contrats de télédiffusion et des partenariats qui leur apportaient des milliards de dollars, ont pu poursuivre leurs activités malgré les tribunes désertes. Pas la LCF, dont la rentabilité dépend largement des ventes de billets. (La National Basketball Association, qui présentait ses matchs sans spectateurs, a vu ses recettes chuter de 10 %, mais a tout de même réussi à récolter 8,5 G$ US.) Le déferlement de la COVID aurait pu sonner le glas d’une ligue qui peinait déjà à élargir son auditoire, en quête de nouveaux adeptes.

Devant cette catastrophe annoncée, Craig Reynolds, qui siège aussi au conseil des gouverneurs de la LCF, a élaboré un plan stratégique pour assurer la survie de son équipe et aussi pour aider la ligue à sortir encore plus forte de l’épreuve.

« Craig et moi en avons souvent parlé, une occasion s’offrait à nous », précise Randy Ambrosie, commissaire de la LCF. Un échec évité de justesse, porteur de renouveau?

Nous sommes le 26 novembre 1989. Il reste deux secondes à la finale de la 77e Coupe Grey. Les Tiger Cats de Hamilton et les Roughriders de la Saskatchewan sont à égalité à 40-40. Devant les 55 000 spectateurs réunis au SkyDome de Toronto, Dave Ridgway des Roughriders, à la ligne de 28 verges, se prépare au plus important botté de sa carrière. Voilà 11 ans que les Roughriders n’avaient pas participé aux séries. La seule et unique Coupe Grey remportée par le club remonte à 23 ans. L’équipe est à deux doigts de remporter l’une des victoires les plus improbables de l’histoire de la LCF.

À 2 500 km de là, à Foam Lake, en Saskatchewan, toute la famille Reynolds est rassemblée au sous-sol, rivée au téléviseur. Dave Ridgway s’élance et réussit un puissant botté. De sa position, le jeune Craig Reynolds, qui n’a que 13 ans, croit que le botté a dépassé la zone des buts. Une autre défaite crève-cœur pour les Riders! Mais quand des cris de joie remplissent la pièce un instant plus tard, l’adolescent comprend que le botté était bon et que ses

Roughriders ont gagné, un moment qui restera gravé dans sa mémoire. L’heure est aux réjouissances, et le jeune Craig endosse le rôle de disc-jockey : il fera tourner les platines jusqu’à l’aube. Ce ne sera pas la dernière fois qu’il sera aux premières loges pour célébrer les hauts faits de son équipe.

Comme beaucoup d’enfants des Prairies, Craig Reynolds a grandi dans l’amour pour les Riders. Ce mordu de football – il se passionne pour la stratégie et l’analyse du jeu – supplie son père, détenteur de billets de saison, de l’emmener aussi souvent que possible aux matchs. Au bout d’un trajet de deux heures et demie, de Foam Lake à Regina, après avoir traversé d’immenses champs de blé et de canola, ils voyaient se profiler à l’horizon le Taylor Field – l’actuel stade Mosaic. « À l’époque, les matchs n’étaient pas tous télédiffusés, alors c’était vraiment un privilège de pouvoir y assister », explique Craig Reynolds.

Stade plein de partisans qui regardent les Saskatchewan Roughriders jouer au football.Le plus gros projet de l’équipe avant la pandémie a été la construction du stade Mosaic : 38 000 places au coût de 278 M$. (Photo Tandem X Visuals)

Après six défaites d’affilée comme quart-arrière de l’équipe de l’école secondaire de Foam Lake, il abandonne tout espoir de revêtir un jour l’uniforme vert et blanc. Le jeune homme se tourne vers l’univers des finances et des banques. Il obtient en 1999 une maîtrise en sciences comptables de l’Université de la Saskatchewan, puis devient comptable professionnel.

« À l’époque où je préparais l’EFU, je me disais que l’examen m’ouvrirait des débouchés. Une fois le titre en poche, les perspectives me semblaient illimitées. »

Craig Reynolds décroche un emploi chez KPMG à Saskatoon, mais sa soif d’aventure le pousse à explorer les affectations à l’international. Hélas, les attentats du World Trade Centre en 2001 interrompent les détachements à l’étranger, et seul le bureau du Luxembourg accepte encore les professionnels mutés. Notre homme saute sur l’occasion, ravi à l’idée de pouvoir parcourir l’Europe. En 2003, il s’installe à Londres pour travailler comme comptable principal à l’exploitation chez Thomson Scientific, avant de revenir au Canada deux ans plus tard. Il devient directeur principal chez Suncor, à Calgary, ville où plusieurs CPA de la Saskatchewan travaillent dans le secteur de l’énergie. Il déménage ensuite à Fort McMurray, où il sera directeur de projet au programme de gestion des coûts des sables bitumineux de Suncor.

En 2009, quand il apprend que les Roughriders cherchent un grand argentier, il pose sa candidature. « Aucun doute, il avait le bagage souhaité », précise le PDG de l’époque, Jim Hopson, qui est né en Saskatchewan et a joué dans l’équipe du championnat de 1976 des Roughriders. « Ce qui me plaisait aussi, c’était qu’il venait de la campagne. À ses solides compétences en comptabilité s’ajoutait sa passion pour les Riders. Il rêvait de décrocher le poste, alors, on a vu en lui un atout de plus. »

La franchise était en pleine expansion. Après une longue période de transition, la petite organisation menée par des bénévoles s’était transformée en une entreprise rentable. Les partisans des Roughriders remplissaient régulièrement leur stade, et les téléspectateurs de la province étaient les plus fidèles de la LCF. Toutefois, en l’absence d’une structure traditionnelle dotée d’un ou de plusieurs propriétaires dirigeants, les profits n’avaient pas forcément été au rendez-vous. Pour Craig Reynolds, l’équipe au gouvernail était bien placée pour orienter l’organisation dans la bonne direction. Mais le club a traversé des moments difficiles.

« Certains présument que la situation a toujours été au beau fixe chez les Riders, mais ce n’est pas le cas. Je le sais, j’étais là », ajoute Randy Ambrosie, qui a joué dans la LCF de 1985 à 1993. Dans les années 1980, malgré l’appui d’un noyau d’inconditionnels, les Roughriders se retrouvaient souvent au bord de la faillite. En 1987, à peine deux ans avant sa victoire à la Coupe Grey, le club a même organisé un téléthon pour se remettre à flot. « Durant ma première année, nous avons dégagé un bénéfice de 400 $ », précise Jim Hopson, devenu président de l’équipe en 2005.

Cependant, sur le terrain, des réussites éclatantes se préparaient. Les triomphes de 2007 et de 2013 à la Coupe Grey coïncidaient avec un boom économique dans la province. Tandis que le chiffre d’affaires atteignait des niveaux record (en 2014, l’équipe enregistrait un bénéfice de 10,4 M$, contre 2,2 M$ cinq ans plus tôt), l’organisation déployait des efforts concertés pour étendre son rayonnement. Sous la gouverne de Craig Reynolds, devenu vice-président principal, l’équipe a renforcé les processus aux Finances, actualisé ses modèles de développement des revenus et réinvesti les gains pour, notamment, remettre les installations au goût du jour.

Quand Jim Hopson a annoncé sa retraite en 2014, l’équipe avait accumulé un fonds de réserve de 40 M$. Impressionné par la rigueur et la prévoyance de Craig Reynolds, il a encouragé ce dernier à briguer le poste de PDG. « Je me suis revu à 13 ans pendant la Coupe Grey de 1989. Impossible de refuser. Je voulais diriger le club, que j’aimais depuis l’enfance », ajoute Craig Reynolds.

Il garde un œil sur tous les engrenages de la mécanique : vente des billets de saison, gestion des installations, embauche, expansion, présence dans la communauté, Craig Reynolds est l’un des visages familiers de l’organisation. Un des avantages à souligner? Il a le plaisir de rencontrer les membres de l’équipe championne de 1989, les héros de son enfance. Des joueurs, dont Dave Ridgway, aujourd’hui devenu un de ses amis qui, tout comme d’autres étoiles d’hier, assistent aux matchs à domicile et tissent des liens étroits avec l’équipe et ses fidèles partisans.

Avant l’irruption de la COVID, comme principal projet entrepris par Reynolds et les Roughriders, on pense surtout à la construction du stade Mosaic de 38 000 places, ouvert il y a cinq ans, qui a coûté 278 M$. Pour le réaliser, de la planche à dessin à la mise en service, il a fallu dix ans. Les partisans ont prêté main-forte à l’organisation, tout comme les trois ordres de gouvernement. L’équipe a créé un modèle économique partagé, fondé sur un financement municipal assorti d’une subvention de 80 M$ et d’un prêt de 100 M$ de la province, à rembourser en 30 ans, grâce à des droits de 12 $ intégrés au prix du billet. « En définitive, ce sont les fans qui ont financé en grande partie le stade. »

Craig Reynolds a joué un rôle clé dans la conception de la nouvelle plateforme, qui vise une meilleure répartition des bénéfices entre les équipes.

Après une résurgence de la COVID et un autre report de la saison 2021, au Canada, le football professionnel reprenait enfin le 5 août 2021, après un hiatus d’un an. Les équipes, qui se préparaient depuis des mois, avaient élaboré des protocoles au préalable, dans le respect des consignes de santé publique, après consultation de médecins. Le calendrier de 18 matchs a été réduit à 14 rencontres, mais l’équipe a connu une saison hors norme : elle a accueilli un match éliminatoire (une opération rentable, selon Craig Reynolds) et s’est hissée aux demi-finales. Pour la LCF, c’était un pas dans la bonne direction. De quoi entrevoir avec optimisme la campagne de 2022.

« Depuis deux ans, nous reconstruisons l’infrastructure de la ligue », explique Randy Ambrosie, qui évoque le plan de stabilisation des équipes, délaissé depuis 40 ans, mais récemment adopté par la LCF. C’est un modèle de répartition des bénéfices, choisi par certaines ligues sportives. Les équipes rentables (comme les Roughriders) laissent une part du gâteau aux clubs qui traversent des difficultés, afin de renforcer les neuf franchises, solidaires. D’après Randy Ambrosie, Craig Reynolds a joué un rôle clé dans l’élaboration de la plateforme. « Il s’est demandé comment bâtir une ligue solide, tous ensemble. Son jugement sûr, sa modération, sa logique sont des ressources inestimables pour le conseil de la ligue. »

« Pendant la pandémie, j’ai eu des problèmes à résoudre, et j’ai fait appel à mes talents de CPA, poursuit Craig Reynolds. Dans mon travail, je devais faire de la modélisation financière, pour prévoir et analyser les flux de trésorerie. Grâce à mes compétences de CPA, j’ai su poser des questions et aller au fond des choses. Je mets en œuvre jour après jour mes acquis dans la profession. »

Pour la saison 2022, la LCF a misé sur les partenariats stratégiques. En décembre 2021, elle a annoncé un coup de maître, une entente avec Genius Sports, plateforme britannique spécialisée en données et technologies sportives, qui a passé des contrats avec la NFL, la PGA et l’English Premier League. Football, golf et soccer, un beau terrain de jeu. La LCF compte exploiter toutes les armes de Genius, qui décline un portefeuille de technologies, de paris sportifs et de programmes de diffusion numérique pour élargir son rayonnement. Elle entend mobiliser les spectateurs fidèles et en attirer d’autres, au Canada et ailleurs.

Rejoint à Regina, Craig Reynolds, modeste, souligne que si l’équipe a survécu à sa traversée du désert pendant les confinements, c’est surtout grâce à ses fervents partisans. « Ils ont continué d’acheter des billets de saison, de nous alimenter en liquidités. C’était notre planche de salut. »

« J’y mets du cœur, jour après jour, parce que je sais tout ce que l’équipe représente pour nos fans et pour la province. Comment je le sais? C’est pareil pour moi. »

Il se souvient d’une journée compliquée, traversée au début de son mandat. Lassé, il s’était confié à Jim Hopson. « C’est complètement fou. La moindre décision est scrutée à la loupe! », avait-il soupiré.

« Justement! C’est le plus bel atout des Riders », lui avait rétorqué son patron. « Tout le monde y croit à fond. »

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