Intelligence artificielle : occasion à saisir ou source d’inquiétude?
En 2023, l’intelligence artificielle (IA) a été au cœur de l’actualité. Elle a été à l’origine d’une fièvre acheteuse sur les marchés boursiers, et le nombre de recherches du terme a quadruplé sur Google. L’IA a-t-elle atteint son zénith? Est-elle plutôt le catalyseur de la cinquième révolution industrielle? Son potentiel est énorme, et les dangers qu’elle implique, tout aussi immenses.
Le marché du travail n’en est pas à ses premières perturbations : 60 % des emplois de 2018 n’existaient pas en 1940. Assistera-t-on cette fois à une mutation plus rapide? Je m’attends à de profonds impacts à court terme, car si on peut supprimer des emplois désuets en peu de temps, on ne peut pas en dire autant de la réaffectation des travailleurs touchés. Et cette tendance sera généralisée. Selon Goldman Sachs, l’IA pourrait abattre le quart de notre travail actuel.
Et puis l’IA menace un groupe jusqu’ici épargné. Alors que l’automatisation industrielle touchait les cols bleus, avec l’IA et ses algorithmes, c’est cette fois le rôle des cols blancs qui est en jeu. Les travailleurs de bureau seront-ils remplacés ou verront-ils leurs responsabilités changer? Leur sort demeure incertain, mais on peut d’ores et déjà présumer que l’IA s’appropriera les tâches d’interprétation de données et de prise de décisions à faible risque.
Nos grands pôles technologiques, tels Mila (Montréal), l’Institut Vector (Toronto) et Amii (Edmonton), confèrent au Canada une longueur d’avance en recherche et développement. Nous pouvons certes nous démarquer dans ce domaine, mais pour ce qui est de donner vie à nos innovations sur le terrain, c’est une autre histoire. Ce ne serait pas la première fois que notre élan serait freiné de la sorte. Cela dit, nous ne pouvons qu’encourager la recherche de productivité, dont la croissance est au point mort depuis huit ans. Car le Canada fait bonne figure en ce qui concerne le transfert des gains de productivité à la rémunération (transférés aux deux tiers depuis 1980, contre 45 % aux États-Unis), une tendance qui atténue le risque d’accroître les inégalités.
Par ailleurs, le vieillissement de la population engendre des contraintes de main-d’œuvre, considérées comme les principales entraves à la croissance des ventes et de la production. Sur ce plan, l’effet de l’IA sera sans doute plus systémique que direct. D’après leurs taux de postes vacants moindres, les secteurs très exposés à l’IA (services professionnels, finance, information et culture, etc.) souffrent moins de la pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, leurs travailleurs – des cols blancs, plus enclins à la requalification – se réorienteraient vers les secteurs en manque d’effectifs s’ils venaient à être remplacés par l’IA.
Mais, sans nul doute, il y aura bien assez de postes à pourvoir. Pensons seulement aux besoins en santé, avec nos aînés à soigner, et en construction, avec la pénurie de logements.
Les aléas de la réglementation
La réglementation de l’IA pose tout un défi : qui réglementera quoi, de quelle manière et dans quelle mesure? Maîtres d’œuvre, chercheurs et décideurs ne s’entendent pas. À trop réglementer, on risque d’étouffer l’innovation, mais le contraire pourrait avoir de graves conséquences. La lettre ouverte réclamant une pause dans la recherche en IA a fait mouche auprès des autorités de réglementation, mais reste sans écho du côté des laboratoires d’IA, qui poursuivent allègrement leurs travaux.
Au Canada, la réglementation de l’IA se résume à une section dans le projet de loi sur la protection de la vie privée (C-27). En réaction, divers acteurs, dont CPA Canada, se sont demandé si la question avait été dûment étudiée et examinée, au regard de son incidence potentielle sur tous les pans de la société. Dans l’intervalle, le gouvernement a publié le Code de conduite volontaire visant un développement et une gestion responsables des systèmes d’IA générative avancés. L’adhésion à ce code demeure toutefois partielle, autre signe que le dossier divise le milieu.
La présence de géants des technos dont la capitalisation boursière dépasse le PIB de certains États et dont les modèles d’IA traversent les frontières complexifie encore les choses. Conscients de la nécessité d’une réglementation de portée internationale, 28 pays ont signé la déclaration de Bletchley à l’AI Safety Summit du Royaume-Uni. Celle-ci prône une gestion collective des risques liés à l’IA. Le rôle du Canada, comme petite économie ouverte, reste à définir. Tobias Lütke, PDG de Shopify, a publié un avis intéressant sur X [traduction] : « Le Canada a bien assez de juges. Il lui faut des bâtisseurs. Laissons la réglementation aux autres et invitons plutôt [les bâtisseurs] à venir bâtir chez nous. » Voilà qui tranche avec nos cadres juridiques et réglementaires robustes et rigoureux. Aux États-Unis, un pays traditionnellement peu interventionniste à l’égard de son titanesque secteur des technologies, la récente adoption d’un décret présidentiel pour encadrer l’IA symbolise un virage majeur.
La machine est lancée : partout dans le monde, on se penche sur la réglementation de l’IA. Toutefois, les efforts manquent de concertation et de constance. Qui sait où nous en serons dans 12 mois, dans 12 ans? Et si nous choisissons la voie du laxisme, accepterons-nous de placer notre confiance dans la capacité d’autoréglementation des géants des technologies?
PLONGÉE DANS L’IA ET PLUS ENCORE
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Légende : Les travailleurs des secteurs très exposés à l’IA sont plus enclins à la requalification et pourraient se réorienter vers des secteurs en manque d’effectifs, comme ceux de la santé ou de la construction. (Getty Images)