L’univers du travail se transforme. Le cadre fiscal suivra-t-il au Canada?
Selon Paiements Canada, plus d’un Canadien sur dix participe à l’économie de la pige. (Getty Images/LordHenriVoton) /em>
Sans contredit, l’univers du travail se transforme. Dans le sillage de maints changements sociaux, qui n’ont fait que s’intensifier en deux ans de pandémie, le travail à la pige s’est généralisé. Une hausse fulgurante, qui devrait se poursuivre, notamment pour la main-d’œuvre liée à « l’économie des plateformes », pour reprendre l’appellation qu’emploie l’ARC. On voit surgir une armée d’indépendants, qui gagnent leur vie en ligne et sur les applications mobiles, armée composée pêle-mêle de covoitureurs, de livreurs, d’influenceurs et de créateurs sur Etsy.
« Notre clientèle compte davantage de travailleurs sur plateforme depuis que la pandémie a frappé », fait valoir Andrew Bernstein, CPA et directeur, Fiscalité, chez Shimmerman Penn à Toronto. « Surtout des jeunes. »
D’après Paiements Canada, plus d’un Canadien sur dix participe à l’économie de la pige. D’ici 2025, 85 % des entreprises canadiennes prévoient une remontée de la tendance, selon le cabinet-conseil en RH Randstad Canada.
Comment le cadre fiscal s’adaptera-t-il pour répondre à cette transformation?
L’heure est à la lutte contre le manque à gagner fiscal, qui, d’après les rapports de l’ARC étudiés par l’Institut C.D. Howe, aurait dépassé 22 G$ en 2019-2020.
L’ARC cherche à regagner le terrain perdu. En 2017, face à l’essor de l’économie de la pige, l’Agence a modifié ses lignes directrices sur le covoiturage et a astreint les chauffeurs indépendants aux mêmes obligations que les exploitants de taxi. La TPS/TVH et la TVQ sont désormais perçues et remises sur chaque course, peu importe le total des rentrées annuelles du chauffeur Uber. Et, le 1er juillet 2021, l’ARC a statué que les fournisseurs non résidents de produits ou services numériques, un groupe qui englobe l’hébergement à la Airbnb et le commerce sur la plateforme Amazon, devaient désormais s’inscrire aux fichiers de la TPS/TVH et de la TVQ.
Sans les conseils d’un CPA, comprendre les règles fiscales n’a rien d’aisé. Les participants à l’économie de plateforme, considérés comme des travailleurs indépendants, doivent apprendre à déclarer leurs revenus et savoir classer leurs dépenses. « Ils doivent déterminer quelles charges déduire de leur chiffre d’affaires brut et dans quelle catégorie les ranger. Il est vite fait de s’égarer dans le labyrinthe des complexités fiscales », poursuit Andrew Bernstein.
Le cadre fiscal continuera d’évoluer. « L’économie des plateformes repose sur des technologies qui laissent une empreinte numérique. Je crois que la loi demandera aux exploitants de plateformes de présenter des informations détaillées ou d’administrer le prélèvement et l’acquittement des taxes pour le compte des travailleurs. De fait, ces plateformes sont au nombre des entités que l’ARC peut soumettre à des obligations. »
La CPA Rita Zelikman, de Vaughan, en Ontario, partage cet avis. « Il y a tellement de règles et de dispositions à mettre en place qu’il faudra peut-être des années pour que les autorités fiscales rattrapent le retard accumulé, mais, tôt ou tard, davantage de contribuables seront amenés à déclarer leurs moindres revenus. »
Certaines entités, qui se tournent vers les travailleurs indépendants, ne prélèvent pas de cotisation à l’assurance-emploi et aux régimes de retraite publics. Ces travailleurs seront donc fragilisés s’ils manquent de travail ou s’ils ne sont plus en mesure de travailler, et leur retraite sera compromise, précise Armine Yalnizyan, économiste et titulaire de la bourse de recherche Atkinson sur l’avenir des travailleurs. « Le fardeau fiscal de la prochaine génération s’alourdira pour soutenir ceux qui n’auront pas eu accès à un régime de retraite. »
Le départ à la retraite des baby-boomers se concrétise, et l’automatisation de certaines fonctions ne saurait suffire à combler l’écart. « La pénurie de main-d’œuvre risque de s’aggraver, et les travailleurs auront un pouvoir de négociation accru. Certains voudront privilégier le travail à la demande, pour l’exécution de tâches. » Une constellation de facteurs fera pression sur le monde du travail.
Chose certaine, conclut l’économiste, « un grand virage s’amorce ».
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