Même quand l’orage survient, les banques canadiennes tiennent bon
Les détracteurs qui jugeaient le système bancaire guindé, frileux, reconnaissent désormais le bien-fondé des pratiques de prêt prudentes. (Illustration Matthew Billington)
En mars dernier, un choc secoue le secteur bancaire aux États-Unis. Les autorités se retrouvent obligées de prendre le contrôle de la Silicon Valley Bank (SVB), aux abois, alors qu’elle était au 16e rang du palmarès des banques du pays et forte de 209 G$ US en actifs. Une faillite record, qui passera à l’histoire.
Deux jours plus tard, la Signature Bank de New York, autre institution de taille (110 G$ US en actifs) en déroute, est mise sous tutelle par la Federal Deposit Insurance Corporation. Une autre débâcle à inscrire dans les annales.
Jamais deux sans trois? Le 1er mai 2023, une autre géante, la First Republic Bank de San Francisco (229 G$ US en actifs) s’effondre à son tour, rachetée in extremis par JPMorgan Chase & Co., en tête des banques américaines.
Dans le contexte d’une telle onde de choc, quinze ans après la crise de 2008 et la disparition de quelque 560 banques américaines depuis 2000, aucune banque canadienne n’a subi le même sort au XXIe siècle. Déjà pendant la Grande Dépression des années 1930, où 9 000 banques américaines avaient déposé leur bilan, aucune n’avait mordu la poussière au Canada.
À l’aune du PIB, les États-Unis dominent 24,6 % de l’économie mondiale. Et pourtant, le système bancaire du Canada, un pays qui ne représente que 2,2 % de l’économie mondiale, a tenu le coup, à l’abri du ressac qu’apportent les crises déclenchées ailleurs.
« Les marchés bancaires américain et canadien sont bien différents », explique Shilpa Mishra, CPA, MBA, associée, directrice générale et chef des Services-conseils en mobilisation de capitaux à BDO Canada.
Tout le monde semble penser que le gouvernement soutiendrait nos banques en cas de réels problèmes.
Le principal facteur de différenciation? Si le système américain englobe des milliers de banques, pour la plupart régionales, le nôtre est dominé par six poids lourds : la Banque Royale, la Banque TD, la Banque de Montréal, la CIBC, la Banque Scotia et la Banque Nationale, au service des particuliers et des entreprises.
Chacune paraît bien trop puissante, bien trop solide pour faire naufrage. Au pire, l’administration fédérale interviendrait assurément pour les tirer d’affaire, selon Alfred Lehar, professeur à la Haskayne School of Business de l’Université de Calgary : « Une conviction qui les rend moins sensibles aux crises. »
« La vigueur et la stabilité du secteur bancaire ainsi que la diversification et la capitalisation suffisantes des banques représentent la meilleure protection contre un échec comme celui de la SVB », d’après Mathieu Labrèche, directeur, Stratégie médiatique et Communications, à l’Association des banquiers canadiens. « Voilà pourquoi aucune grande banque canadienne n’a fait faillite en cent ans. »
« Les détracteurs qui jugeaient le système bancaire guindé, frileux, reconnaissent désormais le bien-fondé des pratiques de prêt prudentes, d’une surveillance gouvernementale diligente et d’une réglementation sensée, axée sur deux piliers, la sécurité et la solidité. »
Des qualités qui sont aussi valorisées à l’étranger. Ainsi, le Forum économique mondial classe régulièrement nos banques parmi les plus stables, a constaté Mathieu Labrèche.
« Plus concentré, moins compétitif, tel est notre système bancaire », précise Ing-Haw Cheng, qui enseigne la finance à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto. « Nous bénéficions d’une culture moins portée sur le risque, donc à l’abri des faillites. Par exemple, nos banques misent davantage sur les dépôts que sur le financement de gros, facteur clé de la crise de 2008. »
L’effondrement de 2008 a été déclenché par le lourd fardeau des prêts hypothécaires à risque, certaines banques américaines imprudentes ayant prêté avec largesse à des consommateurs à risque élevé. Vu la multitude de prêteurs, la concurrence s’intensifiait, et chacun se disputait la faveur des clients. Bon nombre de banques, surchargées, ont cédé au surendettement.
Au Canada, les modalités de crédit hypothécaire sont mieux encadrées.
En outre, les consommateurs assument en partie le risque de fluctuation du taux d’intérêt, alors qu’aux États-Unis, le risque est plus lourd pour la banque que pour l’emprunteur. Les clients canadiens favorisent également la rentabilité des banques en payant davantage pour leurs services que les clients américains, signale Ing-Haw Cheng. Enfin, la concentration de la réglementation expliquerait aussi la stabilité des institutions bancaires du Canada.
Toutes nos banques relèvent du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), l’autorité nationale qui les chapeaute, et de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC), qui encadre les services aux consommateurs et les marchés. Par conséquent, « les attentes réglementaires sont limpides », fait remarquer Alex Ciappara, vice-président et économiste en chef à l’Association des banquiers canadiens.
De surcroît, des examens législatifs sont conduits régulièrement, environ tous les sept ans. L’État et les acteurs du secteur examinent les fondements législatifs du système et s’interrogent sur les modifications à apporter comme assise de la pérennité, poursuit Alex Ciappara.
En revanche, aux États-Unis, la réglementation reste « plutôt fragmentée », a observé Ing-Haw Cheng. Par exemple, même au niveau fédéral, il existe différentes autorités, à savoir la Réserve fédérale américaine (la Fed), la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) et l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC).
Avant l’effondrement de 2008, « les institutions financières choisissaient de quelle autorité elles entendaient relever. Quand une banque s’insurgeait contre les contraintes réglementaires d’une autorité donnée, elle passait à une autre », nous apprend Alex Ciappara.
En outre, les institutions financières américaines de moindre ampleur sont exemptées de certains règlements, rappelle Rajesh Vijayaraghavan, spécialiste des systèmes de comptabilité et d’information qui enseigne à la Sauder School of Business de l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver.
Par exemple, pour les banques qui détiennent entre 50 G$ US et 250 G$ US, les exigences de fonds propres et de liquidité sont passablement moins strictes que pour leurs concurrentes dont les actifs dépassent 250 G$ US, explique-t-il. Shilpa Mishra se souvient qu’avant sa chute, la SVB avait fait pression sur le gouvernement pour ne pas être tenue d’effectuer des simulations de crise et d’examiner régulièrement son ratio de couverture des liquidités.
Selon Shilpa Mishra, trois facteurs clés ont protégé les banques canadiennes des crises et faillites qui ont déferlé aux États-Unis en 2008 et 2023.
Plus de 560 faillites bancaires ont eu lieu aux États-Unis depuis la crise de 2008. Au Canada? Aucune. (Getty Images)
D’abord, les acteurs du régime réglementaire, prudents, passent à la loupe les risques afférents au taux d’intérêt, au bilan et aux liquidités. « De nombreuses faillites de banques américaines s’expliquent par deux paramètres : la tolérance au risque de fluctuation du taux d’intérêt, et l’acceptation du risque d’insuffisance des liquidités, deux volets étroitement réglementés au Canada », précise Shilpa Mishra.
Ensuite, les exigences de fonds propres des banques canadiennes sont bien plus rigides qu’ailleurs. Même quand la valeur des actifs est mise à rude épreuve, les institutions disposent d’une marge de précaution pour se prémunir contre toute perte.
Enfin, au Canada, le portefeuille de dépôts et de prêts repose sur une pluralité de secteurs, alors que la Silicon Valley Bank, par exemple, misait essentiellement sur des clients des TI.
Alex Ciappara ajoute qu’avant les fâcheux événements de 2008, à l’égard du ratio de levier, les institutions financières canadiennes se trouvaient en bien meilleure posture que leurs pendants étrangers. Le Canada avait fixé le plafond réglementaire à un ratio actif/capitaux propres de 20 pour 1, si bien que nos grandes banques s’appuyaient en 2008 sur un ratio moyen d’environ 18, contre un ratio chiffré à 25, voire à 30 pour une foule de banques américaines et européennes.
« Par suite des réformes déclenchées par la crise, les autorités de réglementation mondiales se sont vues contraintes d’instituer un plafond réglementaire pour baliser le ratio de levier, comme le BSIF l’avait fait avant la débâcle », souligne Alex Ciappara.
« Nous disposons de solides réserves de capitaux propres, et nos banques dépassent même le minimum établi par le BSIF. C’était le cas au seuil de la crise, et c’est encore vrai. »
Shilpa Mishra estime que la succession rapide de faillites bancaires aux États-Unis pourrait donner lieu à une refonte de la réglementation et des dispositifs d’encadrement. Une réévaluation qui pourrait se traduire par un resserrement des exigences à l’égard des capitaux propres et des risques de liquidité, et par un remaniement des cadres de surveillance.
Shilpa Mishra prévoit aussi que les autorités américaines insisteront davantage sur les simulations de crise (analyse des dépôts et des comportements des clients) de même que sur la correspondance entre les portefeuilles de titres et les caractéristiques des dépôts.
Dans la semaine qui a suivi la chute de la SVB, puis l’effondrement de la Signature Bank, les 25 principales banques nationales américaines ont enregistré des rentrées de 120 G$ US en dépôts, contre des sorties de fonds de 108 G$ US pour les banques nationales de moindre envergure.
Mais depuis, nous montrent les statistiques de la Fed, toutes les banques ont subi des décaissements. À noter, ce sont les joueurs des ligues mineures qui accusent la baisse la plus marquée.
Entre février et avril 2023, les dépôts désaisonnalisés auprès de toutes les banques nationales ont reflué de 402,7 G$ US. Les 25 premières de la liste ont vu leurs dépôts s’effondrer de 168,3 G$ US (-41,8 %), et les dépôts auprès des autres institutions nationales ont chuté de 234,4 G$ US (-58,2 %).
Côté réglementation, les attentes à l’égard des banques canadiennes sont limpides.
Il serait malaisé pour nos voisins du Sud d’adopter notre structure systémique, car leur marché est tout autre, vu la présence d’une multitude de comtés au sein des différents États, selon Rajesh Vijayaraghavan : « De grandes banques américaines brillent par leur absence dans de nombreux comtés, ce qui oblige certains ménages à faire affaire avec une institution de petite taille. »
Pour sa part, Alex Ciappara fait valoir que dans un écosystème où l’on dénombre 4 000 banques, même en contexte de resserrement réglementaire, les États-Unis ne sont pas près d’adopter un système comme le nôtre, où investisseurs et déposants misent au premier chef sur les grandes banques.
Les institutions financières canadiennes, elles, jouissent d’un haut degré de confiance et de reconnaissance de la marque, un atout qui pèse lourd quand le tumulte règne. Les déposants font confiance à leur institution, et n’iront pas soudain vider leurs comptes, pris de panique, affirme Alex Ciappara.
« Inébranlables, les banques d’ici ont fait leurs preuves et résisté aux coups de boutoir : crise de 2008, COVID-19, incertitude économique, elles tiennent le coup. La confiance éprouvée, c’est le blason qu’elles arborent », de conclure Mathieu Labrèche.
« Exemplaire, la fiabilité du système bancaire canadien? Je dirais que oui », ajoute-t-il.
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