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Tareq Hadhad
Articles de fond
Magazine Pivot

« C’est notre tour de tendre la main aux autres. »

Après avoir fui la Syrie, le chocolatier Tareq Hadhad a donné un second souffle à son entreprise familiale.*

Tareq HadhadTareq Hadhad, entrepreneur et PDG, Peace by Chocolate, l’un des principaux chocolatiers des Provinces de l’Atlantique. (Photographie de Timothy Richard)

* D’abord publié sur le site CPACanada.ca en juin 2020 et dans le magazine Pivot en juillet 2020, cet article a été mis à jour et nous vous le présentons à nouveau, avec l’accord de la personne interviewée.

Ce jour est resté gravé dans sa mémoire. Le 18 décembre 2015, Tareq Hadhad, accompagné de sa famille, foulait enfin le sol du Canada, trois ans après avoir fui la Syrie déchirée par la guerre pour s’exiler au Liban dans un camp de réfugiés. Les Hadhad avaient tout perdu, surtout la chocolaterie créée par le père de Tareq à Damas, en 1986. Mais aujourd’hui, Tareq dirige Peace By Chocolate, l’un des principaux chocolatiers des Provinces de l’Atlantique, et siège au conseil d’administration du fonds d’investissement de la Nouvelle-Écosse, Invest Nova Scotia.

En 2020, quatre ans après avoir vu le jour dans la cuisine familiale, l’entreprise comptait entre 45 et 55 employés – y compris des saisonniers – et, en période de pointe, fabriquait des dizaines de milliers de chocolats par jour. Des délices que distribuaient des chaînes comme Sobeys, Safeway et Foodland, mais aussi des douzaines d’établissements spécialisés, dans diverses provinces.

Bercé par les vidéoclips de MTV, le jeune Tareq rêvait de s’installer dans une métropole : MTV, pour lui, c’était aussi Montréal, Toronto, Vancouver. Il aurait été bien étonné d’apprendre qu’il élirait domicile à Antigonish, au cœur de la Nouvelle-Écosse. Il avoue qu’il a eu des hésitations : « Qui irait acheter du chocolat à Antigonish? Qui ferait des heures de route pour s’y rendre? Mais nous vivons dans un village mondial, et les chocolats confectionnés à Antigonish se retrouvent à Vancouver en trois ou quatre jours. »

PIVOT : Racontez-nous vos premiers pas.
Tareq Hadhad (TQ) : Dans une petite ville, les emplois sont rares. Nous avons donc choisi de retrousser nos manches et de fabriquer des chocolats artisanaux, emballés à la main, dans notre cuisine. C’était un vrai plaisir, on en vendait aux marchés, à des foires, à des expositions provinciales et même nationales. Bien vite, les commandes personnalisées ont afflué.

Deux mois après avoir installé l’atelier de confection dans le sous-sol pour enfin libérer la cuisine, nous avons demandé à la municipalité l’autorisation de construire un atelier qui jouxterait la maison. Nous avons expliqué aux responsables que dans notre culture, le prêt à intérêt est interdit. Impossible de souscrire un emprunt à la banque. De fil en aiguille, on nous a offert un prêt sans intérêt, et ensuite, tout s’est enchaîné, les achats de matériel, les travaux : tempéreuse pour faire fondre le chocolat, vitrines, conception des emballages, transformation du cabanon attenant à la maison en chocolaterie… tout le monde a mis la main à la pâte.

PIVOT : Et donc, vous avez décidé de vous enraciner à Antigonish, d’y développer l’entreprise?
TQ : Oui. Nous avions le devoir de nous investir dans la collectivité qui s’était mobilisée pour nous donner un coup de main. En 2017, nous avons dû installer l’atelier sur Bay Street à Antigonish. J’avoue que c’est drôle de se retrouver sur Bay Street à Antigonish et non à Toronto, la ville où je rêvais de vivre. Mais l’entreprise n’a cessé de se développer depuis, et nous venons d’ouvrir un centre de production à cinq minutes de l’endroit où l’aventure a commencé.

Tareq Hadhad et sa famille à l’ouverture de l’usine d’Antigonish en 2017Tareq Hadhad, accompagné de sa famille, à l’ouverture du centre de production d’Antigonish, en 2017. (Photographie de John David)

PIVOT : L’entreprise fait aussi acte de solidarité. Expliquez-nous.
TQ : Quand des incendies ont dévasté Fort McMurray en 2016, nous avons décidé de créer une association, Peace on Earth. Tant de familles avaient tout perdu, y compris leur maison. Nous avions vécu la même chose, après la guerre, alors nous avons voulu faire des gestes concrets. Le chocolat, quoi de mieux pour récolter des fonds? Nous avons conclu un partenariat avec l’Association canadienne pour la santé mentale et nous collaborons avec The Refugee Hub de l’Université d’Ottawa, qui offre divers services aux immigrants et les aide à s’installer. En 2018, nous avons aussi lancé la barre de chocolat Nitap (c’est-à-dire « ami » en micmac, langue amérindienne), pour appuyer les causes autochtones. Dernièrement, en 2019, nous avons habillé aux couleurs de la fierté notre barre de chocolat Peace, pour soutenir la communauté LGBTQ. Les bénéfices sont versés à Phoenix, organisme d’Halifax qui vient en aide aux jeunes.

PIVOT : Donc vous appuyez diverses causes. Les interrelations et l’inclusion figurent au cœur de vos valeurs.
TQ : L’une de nos valeurs fondamentales, c’est de nous investir à notre tour dans le milieu, et de défendre le multiculturalisme, l’inclusion et la diversité pour en faire autant de forces. Hier, on nous a porté secours, aujourd’hui, c’est notre tour de tendre la main aux autres.

PIVOT : Quelles leçons tirez-vous de votre vécu? Quel constat ressort?
TQ : En toute franchise, j’étais désabusé. La guerre en Syrie m’avait fait perdre ma foi en l’humanité. Mais à mon arrivée à Antigonish, j’ai vu que le bien existait toujours. On s’entraide et il suffit d’un geste de compassion pour changer la vie des autres. L’association SAFE (Syria-Antigonish Families Embrace) en témoigne : ses fondateurs ont influé sur le destin de centaines de nouveaux arrivants syriens. Et, par ses actions, SAFE a fait évoluer les points de vue, ici et ailleurs.

PIVOT : Quels sont vos buts, vos horizons, vos rêves?
TQ : Pour ce qui est du développement de l’entreprise, nous en avons plusieurs. Mais je me prends à rêver et j’espère que ma famille, d’ici 2040, ou 2050, remportera le prix Nobel de la paix. Il faut voir grand! Et continuer à évoluer. Les erreurs sont pour nous autant de leçons, et chaque échec devient une occasion d’apprendre.

PIVOT : On le constate, vous intégrez l’aspect humain à toutes vos réalisations. Serait-ce la clé de la réussite aujourd’hui?
TQ : Les grandes entreprises devraient cesser de voir le monde sous l’angle des profits pour plutôt adopter l’optique de la solidarité. Le temps est venu de changer de cap. C’est fini, le chacun pour soi. Serrons-nous les coudes, à l’heure où l’univers évolue en accéléré. Prenez le coronavirus, fléau inconnu il y a quelques mois. On ne sait jamais ce que la vie nous réserve et il n’y a pas que l’argent qui compte. Investissons-nous dans la collectivité en partageant les richesses, et les savoirs aussi. Quand on s’entraide, tout le monde en sort gagnant.

À RETENIR

Tareq Hadhad sera l’un des conférenciers d’honneur au Congrès national L’UNIQUE qui aura lieu les 12 et 13 septembre à Halifax.