Bien comprendre la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés
Peu avant l’adoption de la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés (TLSU), le fédéral avait résumé ainsi son objectif dans l’énoncé économique de l’automne 2020 : « Le gouvernement prendra des mesures cette année pour mettre en œuvre une mesure fiscale nationale visant l’usage improductif des logements au Canada appartenant à des non-résidents et non-Canadiens, pratique qui soustrait ces biens de l’offre de logements à l’échelle nationale. »
La nouvelle taxe de 1 %, inspirée des mesures adoptées par la Colombie-Britannique et la Ville de Toronto, ciblait aussi un problème de plus en plus préoccupant : la spéculation immobilière d’investisseurs étrangers. En réponse aux graves pénuries de logements d’un océan à l’autre, le fédéral souhaitait exercer une pression fiscale en vue de la remise sur le marché des biens sous-utilisés appartenant à des étrangers.
Généralement, les mesures fiscales visent soit à générer des recettes, soit à stimuler certaines activités, soit à en décourager d’autres. Mais il arrive que de telles solutions se soldent par un échec, si leurs coûts excèdent les rentrées attendues, ou si elles n’ont pas l’effet escompté. La question se pose : la TLSU pourra-t-elle accroître l’offre de logements au Canada et décourager la sous-utilisation de propriétés appartenant à des étrangers? Et si c’est le cas, entraînera-t-elle dans son sillage des conséquences non voulues ou des coûts importants?
Selon le ministère des Finances, le Canada compte environ 16,5 millions de logements, dont 422 000 appartiennent à des non-résidents. De ce nombre, en s’appuyant sur les données de Statistique Canada et celles de la Colombie-Britannique, le Ministère estime que 45 000 sont vacants ou sous-utilisés, et que la TLSU s’appliquerait à 30 000 d’entre eux. Cette taxe devrait engendrer des recettes brutes de 600 M$ sur cinq ans, d’après les estimations du Directeur parlementaire du budget. Mais comme ces calculs ne tiennent pas compte des coûts administratifs, difficile de savoir quelles seront les retombées réelles de la mesure sur les finances publiques.
Et ce n’est pas le seul hic. Si le système vise expressément les propriétaires étrangers, il impose de la paperasserie indue aux Canadiens qui possèdent un immeuble par l’entremise d’une fiducie, d’une société de personnes ou d’une personne morale, pourtant explicitement exonérés du paiement de la taxe. Bien souvent, cette obligation de déclaration représenterait en effet un fardeau extrêmement lourd. Par exemple, une société canadienne qui construit un complexe résidentiel et qui n’a encore vendu aucune unité pourrait devoir préparer une déclaration pour chacune. Des CPA expliquent aussi avoir des clients qui doivent en produire des centaines par chantier.
Rappelons qu’en instaurant la TLSU, le gouvernement fédéral comptait cibler les non-Canadiens et les non-résidents. Dans les faits, bon nombre de déclarations proviennent de Canadiens qui sont propriétaires par l’entremise d’une personne morale, d’une société de personnes ou d’une fiducie.
En plus de se traduire par des frais inutiles pour les déclarants exonérés, la mesure entraîne des coûts d’opportunité pour le système fiscal. Devant le vaste train de nouvelles mesures, l’ARC connaît des difficultés opérationnelles qui se doublent de contraintes budgétaires. Ainsi, l’obligation de produire ces déclarations s’accompagne d’un fardeau administratif à l’interne également, car elle accapare des ressources qui pourraient être mobilisées à meilleur escient. Les décideurs doivent garder à l’esprit que l’ARC ne dispose pas de ressources illimitées à affecter à cette solution qui, par ailleurs, risque de rater sa cible.
Le Canada n’est pas la seule puissance économique aux prises avec une crise du logement, ni la première administration à exercer ses pouvoirs fiscaux dans l’espoir d’intégrer des logements vacants à son parc résidentiel. Une mesure analogue existe en Irlande; en Australie, l’État du Victoria prélève une taxe supplémentaire sur les terrains résidentiels vacants, également pour en encourager l’utilisation; et la Nouvelle-Zélande étudie la pertinence d’instaurer une telle taxe. Est-ce que la mesure viendra bel et bien pallier le manque de logements? Jusqu’ici, les données s’avèrent peu convaincantes. Même si la TLSU permettait de mettre sur le marché la totalité des 30 000 logements vacants qu’elle vise, le parc immobilier augmenterait de moins d’un cinquième d’un point de pourcentage. À titre de comparaison, selon les projections de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, pour que l’offre de logements abordables suive la croissance démographique, le Canada aura besoin, d’ici 2030, de 3,5 millions de logements supplémentaires et de 22 millions de logements au total, ce qui supposerait d’en ajouter de 40 000 à 50 000… par mois. Le gouvernement a certes le mérite de vouloir s’attaquer à la crise du logement. Il semble toutefois difficile de défendre une stratégie qui coûte cher, et qui rapporte peu.
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Légende : Selon le ministère des Finances, 422 000 des 16,5 millions de logements au Canada appartiennent à des non-résidents. (Freepick)