Vous avez bien dit « comptable environnemental »?
Dans le sillage des progrès réalisés pour une meilleure prise de conscience des changements climatiques et une mobilisation accrue envers la durabilité, un nouveau type de CPA fait désormais son entrée sur le marché : le comptable environnemental. Spécialiste des enjeux de durabilité, ce professionnel joue un rôle crucial dans l’évaluation des possibilités et des risques associés aux changements climatiques, et accompagne les entreprises dans leurs démarches de comptabilisation du carbone et la prise en compte des grandes considérations ESG.
« Nous sommes des traducteurs, en quelque sorte. Nous aidons les entreprises à déchiffrer les notions ESG, et à les intégrer dans leurs activités », explique Katie Blum, CPA canadienne et directrice de projets à Holtara, un cabinet-conseil en enjeux ESG situé à New York.
Celle qui se décrit aujourd’hui comme une comptable environnementale avait pourtant amorcé sa carrière dans un parcours plus classique. C’était en 2017, à Deloitte. Alors conseillère principale établie à Toronto, Katie Blum se concentrait plutôt sur la modernisation de la fonction finance et l’amélioration des processus. « À l’époque, le terme “comptable environnemental” (climate accountant en anglais) n’existait tout simplement pas, se rappelle-t-elle. J’étais très engagée dans les initiatives ESG de Deloitte, mais j’ai toujours eu l’impression qu’il s’agissait d’activités secondaires, de petits extras auxquels on s’adonnait surtout par intérêt, et non d’un travail à part entière. »
Le monde des affaires commençait toutefois à prêter davantage attention aux changements climatiques et aux actions concrètes que pouvaient poser les entreprises pour en atténuer les effets. Cette prise de conscience s’est amplifiée après la signature historique en 2015 de l’Accord de Paris, où près de 200 parties se sont engagées à maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2oC au-dessus des niveaux préindustriels.
C’est en 2019, alors qu’elle représentait Deloitte au 10e sommet One Young World, à Londres, que Katie Blum a pris davantage la mesure du défi de taille qui attendait les entreprises. L’événement réunissait quelque 1500 jeunes leaders désireux de s’attaquer aux problèmes les plus pressants pour la planète, et les changements climatiques étaient au cœur des débats. « Tous étaient d’avis qu’il incombait aux entreprises et aux marchés privés de retrousser leurs manches et d’insuffler un élan de changement pour veiller à la viabilité de notre écosystème, souligne-t-elle. Le sommet m’a ouvert les yeux : j’envisageais soudain les affaires au-delà des profits, et les transformations que j’opérais dans mon rôle actuel ne me satisfaisaient plus. »
En 2020, curieuse d’explorer de nouvelles avenues, Katie Blum s’est jointe au cabinet torontois Manifest Climate, dont elle a aidé à façonner les services-conseils en durabilité à titre de stratège environnementale. L’année suivante, le Canada s’engageait avec plus de 120 pays à atteindre de la carboneutralité d’ici 2050. Conséquemment, au cours des trois dernières années, de nouveaux organismes de réglementation ont vu le jour pour répondre au besoin urgent de normes d’information visant à garantir le respect de cet engagement.
C’est ainsi que le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (International Sustainability Standards Board – ISSB), mis sur pied en 2021 par l’International Financial Reporting Standards (IFRS) Foundation, a publié en juin 2023 ses deux premières normes d’information sur la durabilité : IFRS S1 et IFRS S2. Peu après, le nouveau Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité amorçait déjà le travail en vue de favoriser l’adoption de ces normes au pays.
« Plusieurs grosses entreprises se sont engagées publiquement à atteindre des cibles ESG ambitieuses, dont la carboneutralité, ajoute Katie Blum. Néanmoins, on n’en fait toujours pas assez pour rendre des comptes sur ces cibles et donner suite aux promesses faites. S’engager n’est que la première étape, encore faut-il passer à l’acte. »
Pour la CPA, ce manquement représente une excellente occasion de mettre à profit l’expertise de la profession afin d’aider les entreprises à intégrer les nouveaux indicateurs de durabilité, et à offrir une meilleure reddition de comptes. C’est d’ailleurs ce qui l’occupe à Holtara, où elle guide les clients du cabinet dans l’optimisation de leurs efforts ESG et de durabilité tout au long du cycle d’investissement, de l’acquisition initiale à l’établissement de stratégies de sortie ou aux premiers appels publics à l’épargne.
En 2020, aux débuts de Katie Blum dans le domaine, la comptabilité environnementale se limitait surtout à des activités de moindre importance associées à la responsabilité sociale de l’entreprise. De nos jours, elle fait partie intégrante des processus, amenant de nombreuses entreprises à mettre la durabilité et les enjeux ESG au cœur même de leurs fonctions financières. Cela dit, il reste encore beaucoup à faire. Une enquête sur la durabilité menée par Deloitte en 2022 a d’ailleurs révélé que 68 % des professionnels de la finance sont actuellement touchés par une pénurie de compétences en finances durables au sein de leur organisation.
« Depuis deux ans, la comptabilité environnementale a certainement le vent dans les voiles, mais elle est encore loin d’être un marché aussi établi que la comptabilité traditionnelle, soutient Katie Blum. Ultimement, l’objectif est d’en arriver à ce que les données ESG et celles relatives aux changements climatiques soient traitées avec le même niveau de rigueur et d’intégrité que les données financières classiques. Le chemin devant nous s’annonce tortueux, et nos repères manquent encore de précision et de clarté, mais une aventure passionnante s’offre à nous : l’occasion pour les CPA d’intervenir en amont du changement. »
Légende : Katie Blum, CPA canadienne, est directrice de projets à Holtara, un cabinet de services-conseils en enjeux ESG situé à New York.