Terry Goodtrack et Elizabeth Richards, présidente de Ngā Kaitatau Māori o Aotearoa, lors d'un événement de l'AFOA
Affaires et économie

Tendre la main aux peuples autochtones grâce à la littératie financière

Depuis plus de 25 ans, AFOA Canada (anciennement : l’Association des agents financiers autochtones) contribue au comblement des lacunes de connaissances afin que les Autochtones occupent une juste place dans le milieu des affaires

Shannon Haizimsque n’aurait manqué ses cours pour rien au monde, pas même lorsque dame Nature semblait en avoir décidé autrement. 

En novembre 2021, la chef de l’exploitation de Yinka Dene Economic Development, l’organe commercial de la Première Nation Wet’suwet’en, roulait en direction de Vancouver. Titulaire d’un diplôme en administration des affaires, elle prévoyait ajouter une corde à son arc avec l’obtention d’un certificat en gestion financière autochtone offert grâce à un partenariat entre le Langara College et AFOA Colombie-Britannique, organisation ayant pour mission d’améliorer les pratiques et les compétences des communautés et des organisations autochtones en gestion, en finance et en gouvernance. 

Or, durant ce déplacement du centre de la Colombie-Britannique vers la métropole, de violentes tempêtes ont emporté des tronçons de l’autoroute Coquihalla. Peu de temps après son départ, l’autoroute était inondée. Elle a ensuite été ralentie par des éboulements dans le district de Hope. 

« Les administrateurs du programme ne s’attendaient pas à nous voir arriver! », explique Shannon Haizimsque. 

Mais elle est bel et bien parvenue à destination. Il ne pouvait tout simplement pas en être autrement : l’enjeu était trop grand. Au fil des ans, elle avait vu les agents financiers se succéder l’un après l’autre à Yinka Dene, ce qui entravait la réalisation des projets. Pour assurer la continuité nécessaire au progrès, Shannon Haizimsque se disait qu’elle devait en apprendre plus sur ce domaine qu’elle avait déjà relégué dans l’oubli de par sa différence totale avec son expérience en ressources humaines. 

Les objectifs de cette spécialiste en gestion financière autochtone reflètent ceux d’AFOA, qui célèbre cette année son 25ᵉ anniversaire.  

« Notre vision consiste à avoir des gens qualifiés dans toutes les communautés et organisations autochtones du Canada », affirme Terry Goodtrack, CPA, président et chef de la direction de l’association sans but lucratif établie à Ottawa. « La véritable transformation commence là. » 

Et cette transformation – le genre de changement qui sous-tend la croissance réelle de toute organisation – découle d’une compréhension approfondie de la comptabilité, ce « langage des affaires » universel, comme la décrit le chef de la direction. Il faut toutefois aller au-delà du commis comptable. « Il faut quelqu’un qui donnera des conseils stratégiques, notamment en ce qui concerne les occasions d’affaires, les cadres de gestion des risques, la reddition de comptes, les données et la gestion des TI », précise Terry Goodtrack. 

Les programmes de certification et les ateliers d’AFOA Canada visent justement à outiller les professionnels autochtones à cet égard. Des certificats sont offerts dans quatre volets, soit les ressources humaines, le leadership, l’administration et la gestion financière (qui pourraient mener au programme d’agrément CPA). Un autre programme, offert à la Harvard Business School, traite de la gestion des placements et de la durabilité des communautés. 

Pamela Ouart-McNabb, vice-présidente, Sensibilisation et formation, souligne que, même si les établissements d’enseignement traditionnels couvrent les aspects fondamentaux, le contenu est rarement adapté aux réalités autochtones. 

Conçus en consultation avec les communautés, « nos programmes comblent des lacunes importantes », explique-t-elle. Par exemple, les cours d’AFOA portent sur l’histoire, la culture et l’apport des aînés.  

Ils tiennent aussi compte des obstacles que les établissements postsecondaires traditionnels commencent tout juste à reconnaître. « Il y a de nombreux aspects sous-jacents. L’histoire entre en jeu », explique Terry Goodtrack. « Les traumatismes aussi. Puis il y a le facteur géographique, par exemple le fait de devoir déménager d’une zone rurale à une zone urbaine. » 

Shannon Haizimsque a pu constater qu’AFOA et Langara aidaient les étudiantes à franchir des obstacles moins évidents que ceux qui s’étaient présentés à elle en direction de Vancouver. En effet, certains membres de la cohorte, composée exclusivement de femmes, n’avaient jamais fait d’études postsecondaires, précise-t-elle. L’une d’entre elles n’avait même jamais quitté sa communauté. De plus, toutes avaient des responsabilités familiales et culturelles, et ce, tout au long du programme qui s’échelonnait sur 18 mois, en personne et en ligne. 

Après avoir obtenu son diplôme l’automne dernier, Shannon Haizimsque recommande déjà les programmes d’AFOA aux nouveaux employés de Yinka Dene. Elle n’a plus à attendre qu’un fournisseur de services possiblement absent résolve les problèmes et elle peut compter sur un réseau d’anciens camarades de classe prêts à offrir conseils et soutien. Elle estime que ces avantages sont d’une grande portée. 

« La finance est le pôle de notre administration, de nos entreprises », affirme Shannon Haizimsque. Elle est essentielle au succès de Yinka Dene et a un impact direct sur la Première nation Wet'suwet'en.  

« Tout en découle », ajoute-t-elle. « Tout est relié... nous sommes en mesure de prendre de meilleures décisions d’affaires, des décisions éclairées. Cela fait partie de notre cheminement vers l’autodétermination. » 

Et pour Shannon Haizimsque, les études vont se poursuivre. Constatant sa force en comptabilité, les professeurs ont encouragé celle qui a eu l’honneur de prononcer le discours d’adieu de sa cohorte à aller chercher le titre de CPA. Elle jongle d’ailleurs avec cette idée et celle d’un MBA. Pour elle, la certification est un « tremplin ». 

Terry Goodtrack pourrait voir là un signe du succès de son organisation. En fait, il croit que ce succès n’est pas seulement attribuable aux leaders, mais aussi « aux professionnels des finances et de la gestion qui réalisent la vision de l’association ». Il veut que ces professionnels se voient comme faisant partie Intégrante du développement d’AFAO. 

« Mon souhait est que, peu importe ce que nous faisons », conclut Terry Goodtrack, « cela contribue à repousser les frontières de ce qu’ils croient possible ».

Légende : Terry Goodtrack et Elizabeth Richards, présidente de Ngā Kaitatau Māori o Aotearoa, lors d’un événement organisé par l’AFOA.