Une maison modèle posée au sommet d’une pile de pièces de monnaie
Affaires et économie

La crise du logement amplifie l’écart de richesse entre locataires et propriétaires

L’enrichissement des Canadiens a toujours reposé sur l’accès à la propriété, mais que se passe-t-il quand devenir propriétaire devient impossible?

L’accession à la propriété est depuis longtemps la principale méthode d’accumulation de richesse au Canada, favorisée par divers mécanismes de soutien comme le régime d’accession à la propriété (RAP), le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) ou l’assurance prêt de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). 

Si on a souvent argué que les locataires bénéficiaient de plus de souplesse, la crise actuelle change la donne, car les logements se font rares et donc chers. En 1999, les locataires canadiens consacraient en moyenne 25 % de leur salaire net aux coûts de logement, contre 23 % pour les propriétaires. Or, en 2022, ce poids atteignait respectivement 29 % et 21 %. 

Conséquence indirecte : si les propriétaires ont vu leur valeur nette passer de 9 fois leur revenu disponible à 13 fois depuis 2010, celle des locataires est seulement passée de 3 à 3,5 fois au cours de la même période. Selon l’Observatoire québécois des inégalités, les familles qui sont propriétaires disposent d’un patrimoine 20 fois plus élevé que celles qui sont locataires. Dans pareil contexte, est-il devenu utopiste de penser que locataires et propriétaires disposent des mêmes chances de s’enrichir?  

Remettre les choses en contexte 

David Truong, CPA et planificateur financier, président, Banque Nationale Planification et Avantages sociaux, met en garde : « Devenir propriétaire ne garantit pas de s’enrichir systématiquement, car il est difficile de faire des projections des rendements – par exemple, l’emplacement est déterminant, et le passé n’est pas garant du futur. En plus, cela immobilise l’essentiel de nos ressources financières, surtout les premières années, passées à payer beaucoup d’intérêts et très peu de capital ». 

Et le CPA poursuit : « Un locataire paie théoriquement moins en loyer et peut épargner davantage, mais cela implique une grande discipline, puisqu’il faudrait investir systématiquement la différence entre notre loyer et tout ce que nous coûterait une propriété ». Et là encore, cela dépend des placements choisis. « Entre des obligations qui génèrent un rendement moyen de 3 % sur 15 ans et un portefeuille d’actions qui génère entre 6 % et 7 %, cela fait une grosse différence, sans parler des frais de gestion. Rien que passer de 2 % à 1 % améliore nettement le résultat final. » 

Encore faut-il pouvoir épargner, tempère David-Alexandre Brassard, économiste en chef à CPA Canada. « Si les paiements hypothécaires des propriétaires sont relativement stables et amenés à diminuer avec la baisse du taux directeur, les loyers, eux, augmentent. Depuis neuf mois, ils ont connu un taux de croissance annuel de 8 %. » 

Déterminer les obstacles 

Face à un tel défi, les deux experts relèvent différents problèmes, comme les limites cumulatives du CELIAPP (40 000 $) et du RAP (qui va atteindre 60 000 $). « Cela veut dire qu’un couple pourra retirer 200 000 $ de son épargne? Soit, mais quelle jeune famille dispose de ça? », questionne David Truong. 

Pour David-Alexandre Brassard, ces plafonds viennent aider des gens aisés qui vivent dans des villes où les prix sont très élevés, comme Toronto et Vancouver, alors que le problème repose en grande partie sur la croissance actuelle de la population

Devant la pénurie de logements – la SCHL estimait l’automne passé qu’il fallait construire 3,5 millions de logements au pays d’ici 2030 –, de nombreux locataires vulnérables doivent juste espérer conserver leur logement. C’est d’ailleurs pour les protéger, qu’au Québec, la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a fait adopter un moratoire de trois ans sur les évictions (le projet de loi no 65). 

La pénurie de logements combinée aux taux hypothécaires actuels affecte également les propriétaires qui voudraient acheter un logement plus grand – un premier logement est souvent plus petit, car plus abordable. Or, s’ils ne déménagent pas, ce sont autant de locataires qui devront attendre pour devenir propriétaires

Explorer des pistes de solutions 

L’écart entre locataires et propriétaires ne se résorbera pas de sitôt. Il faut donc une approche globale, qui commence, pour David-Alexandre Brassard, par le maintien de coûts d’éducation faibles partout au pays, comme c’est le cas au Québec, afin que tous puissent espérer décrocher de meilleurs salaires. 

Il exhorte aussi à élever le niveau de littératie financière et à se pencher sur la structure du conseil financier au Canada. « Les institutions financières ne font pas payer les conseils qu’elles donnent, mais elles les donnent à ceux qui achètent des produits d’investissement. Sans produits, pas de conseils; or, ce n’est pas toujours facile, ni bon marché, d’obtenir des conseils financiers indépendants, facturés à l’heure. » 

D’où la nécessité d’être accompagné, notamment par un CPA, insiste David Truong. « Un CPA peut faire bien plus que des déclarations de revenus. Si on n’a pas assez épargné pour une mise de fonds, il peut expliquer comment aider à y parvenir, à diminuer les impôts et à optimiser son remboursement d’impôts pour que celui-ci soit pleinement mis à profit. » 

Selon David-Alexandre Brassard, « le Canada est mûr pour une réflexion globale, amorcée avec le Plan du Canada, car les mesures actuelles ne changent rien et ne réduisent pas les inégalités ». L’endettement, le plus élevé des pays du G7, y est constitué à 75 % de prêts hypothécaires, et les logements sociaux et communautaires ne représentent que 3,7 % du parc immobilier, quand la moyenne est de 7 % dans les pays de l’OCDE, et que ce chiffre atteint 34 % aux Pays-Bas

« Comme Nord-Américains, nous sommes très attachés à la possession, qui revient à assumer tout, tout seul, mais qui est hors de prix. Miser sur le collectif, sur des projets alliant espaces privés et ressources partagées, permettrait à davantage de personnes d’accéder à une propriété, et de rééquilibrer un peu les choses », fait valoir l’économiste en chef de CPA Canada.