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Finances personnelles

Bien préparer sa retraite : une affaire de bon sens

Les experts sont formels : ne faites aucun plan de retraite sans tenir compte des impôts. Et découvrez aussi cinq éléments à prendre en compte pour une planification réussie.

Couple de personnes âgées avec ordinateur portable, payer les factures en ligne dans la salle à mangerPuisque nous vivons de plus en plus longtemps et que notre train de vie à la retraite change moins radicalement que par le passé, planifier vivre avec 70 % de ses revenus (surtout avant impôts) suffit de moins en moins, constatent les experts. (Getty Images/Hero Images)

Quand vient le temps d’établir un objectif de retraite, on trouve toutes sortes d’informations, y compris de nombreuses faussetés. Voici quoi garder en tête.

Tout d’abord, tordons le cou à une règle qui a cours depuis des années : il faudrait disposer à la retraite de 70 % de ses revenus de travailleur pour se la couler douce.

Ce pourcentage date du temps où les régimes à prestations déterminées étaient courants, y compris dans le secteur privé, explique Robin Lévesque, CPA, CMA, avocat au sein du cabinet de services financiers Brassard Goulet Yargeau. On prévoyait alors une rente à vie donnant droit à 2 % par année de service pour chacune des 35 années travaillées. Or, l’espérance de vie ayant augmenté, la retraite est plus longue qu’auparavant; les fonds pourraient donc manquer.

Voilà pourquoi ce type de régime a souvent été éclipsé par les régimes à cotisations déterminées. Une grande partie de la responsabilité de la préparation de la retraite n’incombe plus aux employeurs mais est confiée aux employés. Les employeurs n'ont plus à se soucier d'investir l'argent, d'obtenir un rendement approprié ni de combler d’éventuels déficits. En effet, « le rendement des placements, bon ou mauvais, se reflète directement sur la valeur du compte des participants. Les risques liés aux bons comme aux mauvais rendements sont donc assumés par les participants. L'engagement de l'employeur est limité à la cotisation qu'il est tenu de verser selon les dispositions du régime », rappelle Retraite Québec.

André Lacasse, planificateur financier sur la Rive-Sud (Montréal) et fondateur de Services financiers Lacasse, trouve aussi cette règle dépassée. « Trop de critères l’invalident. Imaginons, par exemple, que vous gagniez 35 000 $ par année. Votre objectif sera-t-il vraiment de vivre avec 70 % de ce montant à la retraite? À l’inverse, si vous gagnez 200 000 $ par année, aurez-vous besoin de 140 000 $ par la suite? »

Surtout que les temps changent. Bien que les contribuables à la retraite ne paient plus certaines cotisations fiscales (assurance emploi, REER, RRQ, etc.), « 70 % des revenus semblent suffire de moins en moins », a constaté M. Lacasse. « Les gens ne changent pas radicalement de mode de vie à 65 ans. Leurs désirs restent les mêmes, leur train de vie aussi, et, de surcroît, a-t-il constaté, de plus en plus de personnes ont encore un emprunt hypothécaire à rembourser à la retraite. »

Robin Lévesque, coauteur d’un texte intitulé La (stupide) règle de 70 % est aussi catégorique : « Bien trop de paramètres interfèrent entre la situation familiale, physique ou professionnelle de chacun, l’actif et le passif, les sources de revenus, la situation fiscale, etc. Ce qui compte, ce sont les dollars vraiment disponibles et effectivement dépensés. Ça semble évident, mais c’est mal compris. » 

Que faire, alors? Voici 5 éléments à prendre en compte pour planifier efficacement. 

1) Budgétez de façon réaliste

« L’idéal, conseille M. Lacasse, est de faire non pas un, mais deux budgets. Le premier permettra de dresser la liste de ses dépenses actuelles, et le deuxième, de faire des projections. Peut-être n’aurez-vous plus d’emprunt hypothécaire à rembourser ni besoin d’une deuxième auto à la retraite? »

Tout dépendra évidemment de votre situation, de vos besoins comme de vos désirs. Il faut apprendre à vous connaître. Si vous aimez voyager, par exemple, budgétez-le. Imaginez votre vie future.

« Les gens n’aiment pas faire de budget, mais comme je le leur conseille, récompensez-vous en premier, dit M. Lacasse. Vous prévoyez dépenser 5 000 $ par année pour un voyage? Parfait, mettez ce montant sur la première ligne de votre budget (415 $ par mois), et voyez ce qu’il reste à la fin, une fois les autres dépenses ajoutées. Peut-être devrez-vous couper dans les restaurants ou d’autres sorties, mais les voyages seront toujours là. »

2) Ne surévaluez pas les rentes des régimes publics

La plupart des Canadiens commettent deux erreurs, selon M. Lacasse : « Ils escomptent recevoir du Régime de rentes (RRQ) ou du Régime de pensions du Canada (RPC) près de 14 000 $ par année. De plus, beaucoup de gens font l’erreur de demander leurs prestations dès l’âge de 60 ans. » [Rappelons que le RPC est destiné aux personnes qui travaillent dans des provinces ou territoires autres que le Québec alors que le RRQ est destiné aux personnes travaillant au Québec.]

Certes, des périodes de faibles revenus ou d’absence de revenus, des périodes consacrées à élever des enfants ou des périodes d’invalidité pourraient être prises en considération dans le calcul de votre pension (ce qui pourrait en faire augmenter le montant). Cela dit, « les Canadiens ne devraient pas tenir pour acquis qu’ils toucheront les prestations fédérales et provinciales maximales, confirme M. Lévesque. C’est vraiment rare. »

Or, si vous réclamez votre rente du RRQ ou du RPC avant votre 65e anniversaire, elle sera généralement réduite de 6 à 7 % par année, selon vos revenus. Si, au contraire, vous attendez à 65 ans ou plus, la rente croîtra de 0,7 % par mois écoulé depuis votre 65e anniversaire, jusqu’à un maximum de 42 % à 70 ans. « Malheureusement, constate Robin Lévesque, ce sont souvent les gens qui gagneraient le plus à reporter leur demande qui ne le font pas, car ils n’ont pas les moyens d’attendre 65 ans. Ce report est une vraie bouffée d’oxygène dans la planification de la retraite. »

Actuellement, le taux est de 25 % d’un salaire admissible maximum de 57 400 $.

Dans les faits, si le montant maximum mensuel du RRQ ou du RPC est établi à 1175,83 $ en 2020, le montant mensuel moyen versé était de seulement 672,87 $ en octobre 2019. C’est la même chose pour la pension de la Sécurité de la vieillesse (613 $ par mois pour ceux qui sont admissibles) et le Supplément de revenu garanti pour les personnes à faibles revenus. Le programme de bonification du RRQ et du RPC mis en place en janvier 2019 permettra à terme aux futurs retraités de toucher une meilleure pension (jusqu’à 21 046 $ pour le RRQ et 24 906 $ pour le CPP); mais cette mesure ne bénéficiera qu’aux travailleurs qui commencent à cotiser aujourd’hui, pas à ceux qui ont déjà des années de cotisation derrière eux. En attendant, Robin Lévesque suggère de ne pas trop tenir compte de ces prestations dans ses prévisions, au risque de se faire des illusions. Vous pouvez aussi consulter vos relevés en ligne pour avoir une idée plus juste des montants auxquels vous devriez avoir droit.

3) Épargnez avec rigueur

La nécessité d’épargner est donc évidente. Viser 10 % de son revenu net, et dès que possible, recommande André Lacasse. « Plus on s’y met jeune, plus les intérêts composés s’accumuleront. » Et si vous voulez savoir en combien de temps votre placement doublera de valeur, utilisez la règle de 72. Il vous suffit de diviser 72 par les taux de rendements de vos placements (disons 6 %) pour avoir la réponse (12 ans dans cet exemple).

Dans tous les cas, il faut voir à long terme et gérer les risques selon notre horizon de placement. « Il est impossible de prévoir l’évolution des marchés ni de battre ceux-ci, rappelle M. Lacasse. Une des meilleures solutions consiste à se bâtir un portefeuille diversifié, dans lequel on ne dépasse pas 20 % par secteur d’investissement. »

M. Lévesque, lui, relativise. « Dans la vingtaine, on devrait plus essayer d’augmenter notre capacité future à épargner qu’épargner à tout prix, surtout que la règle des 10 % ne tient pas toujours compte du train de vie envisagé. »

Il faut aussi varier les produits de placement, dit-il. « 100 000 $ placés dans un CELI et le même montant placé dans un REER n’ont rien à voir : les fonds du premier ont déjà été imposés alors que ceux du deuxième le seront dans l’avenir. Pour tirer 100 000 $ d’un REER, il faudrait plutôt avoir 150 000 $ de côté », si on part du principe que le taux d’imposition est de 33 %.

Mais les impôts et les stratégies de retrait, rappelle M. Lacasse, compliquent les choses. « Avec le fractionnement du revenu, par exemple, il n’est pas toujours pertinent de reporter les retraits du REER. Il faut plutôt les étaler. » Et consulter un spécialiste.

4) Fuyez les chiffres magiques

On entend encore beaucoup parler du fameux million de dollars, qui serait suffisant pour qu’on arrête de travailler. Certains suggèrent de multiplier par 25 le montant dont on veut disposer (60 000 $ x 25 ans = 1 500 000 $), ou de suivre la règle des 4 %, qui détermine quel retrait annuel vous pourrez faire de votre pactole sans en faire baisser le montant. Le problème : aucun rendement n’est jamais garanti, surtout que bien des retraités font des choix de placements plus sécuritaires, histoire de ne pas prendre de risques inutiles.

« Croire qu’on peut vivre sans entamer son capital relève quasiment du fantasme, explique Robin Lévesque. Soit la personne doit disposer d’un patrimoine immense, soit elle doit vivre très chichement. Sauf que l’inflation – sans parler des impôts – fait son petit bonhomme de chemin. »

Un exemple : ce qui vous coûterait 30 000 $ en ce moment, comme une nouvelle auto, vous coûtera 40 376 $ dans 15 ans. Inversement, une rente de 30 000 $ aujourd’hui, si elle n’est pas indexée, ne vaudra plus que 22 290 $ dans 15 ans. « Certains épargnants cristallisent leurs efforts sur un montant fixe à dégager pour chaque année de leur retraite, mais s’ils ne le réévaluent pas, ils perdront en pouvoir d’achat », ajoute le CPA.

La bonne nouvelle pour eux, c’est qu’« on est souvent plus actifs entre 65 et 75 ans (ou 80) qu’après. On n’a donc pas les mêmes besoins ni le même train de vie, qui peut alors diminuer de 10 à 15 %. Mais il faut planifier au-delà de 90 ans », souligne-t-il, sans perdre de vue que certaines dépenses pour demeurer autonome pourraient s’ajouter.

En janvier 2019, la Banque Royale a demandé aux Canadiens quel montant d’épargne était requis, selon eux, pour se bâtir un avenir financier confortable. Les chiffres vont de 427 000 $ au Québec à 1 007 000 $ en Colombie-Britannique, en passant par 872 000 $ en Ontario. Les femmes visent 650 000 $, et les hommes, 942 000 $. La moyenne nationale est de 787 000 $. Le hic : près de la moitié d’entre eux (48 %) n’ont établi aucun plan pour atteindre leur objectif.

5) Ne comptez pas sur l’immobilier

Dans ce contexte, l’immobilier pèse lourd sur les finances des Canadiens et « pourrait nuire à leur capacité d’épargner, ou du moins la transférer dans l’immobilier. Les propriétaires sont souvent dans le déni en ce qui a trait au coût réel d’une propriété. Ça ne veut pas dire que c’est forcément une mauvaise dette, mais ça demeure une façon forcée d’épargner assortie de nombreux frais connexes, impôts, rénovations, frais divers… », ajoute M. Lévesque.

Si la valeur des propriétés a grimpé en flèche dans certaines villes canadiennes, les propriétaires n’en dégageront une plus-value que s’ils s’en séparent et font de bons choix. « Le bénéfice est évident quand on vend une maison 1 000 000 $ pour acheter un condo à 500 000 $, mais ce qu’on voit plus souvent, ce sont des gens qui, sur une quinzaine d’années, dilapident leur plus-value en loyers élevés. »

Et de rappeler : « Dans tous les cas, vendre un bien implique souvent un nouvel achat ou une location. Voilà pourquoi nous suggérons de ne pas voir sa maison comme un bas de laine dans la planification. Vous ne pourrez en tenir compte que si vous êtes vraiment certain de réduire votre train de vie immobilier », ajoute le CPA. 

Pour en savoir plus

Qui ne veut pas savoir comment rattraper le temps perdu dans la préparation de sa retraite? David Trahair vous explique comment vous y prendre dans son livre Retraite en vue : Guide du retardataire. Autres pistes : assister à un webinaire (en anglais) ou demander à un bénévole de CPA Canada de venir animer dans votre région un atelier sur la préparation de la retraite.