« Personne n’avait anticipé que ce contexte inflationniste durerait si longtemps »
Les propriétaires seront affectés par les hausses du taux directeur de la Banque du Canada lorsque leur prêt hypothécaire devra être renouvelé ou qu’ils tenteront de vendre leur propriété. (Getty Images/ljubaphoto)
Commencée en pleine cinquième vague de pandémie de COVID-19, tout laisse penser que l’année 2022 pourrait se terminer par une entrée en récession.
David-Alexandre Brassard, économiste en chef à CPA Canada, revient sur les événements qui ont affecté notre économie dans les derniers mois et sur ce que cela laisse présager pour l’année à venir.
CPA Canada : La pandémie et la guerre en Ukraine ont fait la une dans le monde cette année. Qu’en est-il au Canada?
D.-A. Brassard : La pandémie est plus ou moins derrière nous. La situation actuelle n’a rien à voir avec celle de janvier 2022, alors que le variant Omicron sévissait (200 000 pertes d’emplois temporaires et un taux d’absentéisme de 10 %). De nombreux travailleurs ont changé de secteur d’activité au cours des premières vagues de la pandémie, ce qui a provoqué une pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs comme la restauration et l’hébergement. Dorénavant, l’absentéisme causé par le virus demeurera limité.
À l’heure actuelle, la guerre en Ukraine fait peser la plus grande incertitude au niveau mondial, surtout si l’on considère, par exemple, qu’en 2021, environ 45 % des 400 milliards de mètres cubes de gaz naturel consommés en Europe provenaient de Russie.
Par ailleurs, les prix du blé et du pétrole ont respectivement doublé et triplé par rapport à leurs niveaux prépandémiques. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose pour le Canada puisque plusieurs provinces (comme l’Alberta, la Saskatchewan ou Terre-Neuve-et-Labrador) en sont productrices. Elles pourraient ainsi bénéficier d’une forme de protection en cas de ralentissement économique généralisé.
CPA Canada : Dans quelle mesure la guerre est-elle derrière l’inflation que nous connaissons actuellement au Canada?
D.-A. Brassard : Elle l’est en partie seulement. La pandémie avait déjà mis la table aux niveaux d’aujourd’hui. Pendant l’été et l’automne 2021, l’inflation dépassait déjà les 3 % et frôlait même les 5 % en début d’année 2022. Par contre, personne n’avait anticipé que ce contexte inflationniste durerait si longtemps.
Entre juin 2021 et juin 2022, les prix de l’énergie et des biens de consommation ont connu une hausse marquée qui a porté l’inflation à 8,1 % au Canada, un sommet depuis 40 ans. Malgré une récente diminution, les prix continuent de monter trop vite et les hausses sont généralisées : les prix des biens (logement, transport, biens durables, etc.) excluant l’énergie ont augmenté de plus de 6 % sur un an. La hausse des prix des denrées alimentaires (plus de 10 % sur un an) est particulièrement inquiétante.
CPA Canada : Dans ce contexte, à quoi faut-il s’attendre dans les prochains mois?
D.-A. Brassard : Le taux directeur a connu une hausse significative en 2022, passant de 0,25 % à 3,75 %. Cela faisait près de 15 ans qu’il n’avait pas été si haut. Même s’il ne devrait plus beaucoup monter, il restera clairement élevé en 2023. Il faut du temps pour que les hausses du taux directeur fassent leur effet et on peut s’attendre à ce qu’il en faille encore davantage pour revenir à un niveau d’inflation acceptable.
Évidemment, une des conséquences directes est un coût d’emprunt plus élevé pour les entreprises et pour les particuliers. Le hic, c’est que les prix des logements, par exemple, n’ont cessé d’augmenter pendant la pandémie – particulièrement en Colombie-Britannique et en Ontario.
Puisque seulement une partie des propriétaires renouvellent leur prêt hypothécaire chaque année, nombre n’ont pas encore été affectés. Ils le seront pourtant au moment de leur renouvellement ou quand ils tenteront de vendre leur bien dans un marché où les acheteurs ont une capacité d’emprunt moindre.
CPA Canada : Comment se porte le marché immobilier canadien en ce moment?
D.-A. Brassard : Les prix au Canada ont atteint un sommet en mars 2022 après avoir augmenté de près de 50 % parfois durant la pandémie. Depuis, ils ont baissé de 10 à 15 % en moyenne et devraient continuer de descendre au fur et à mesure que la hausse du taux directeur se fera sentir. Ils devraient se stabiliser quelque part en 2023. Les secteurs en surchauffe réagissent plus vite aux hausses de taux et voient les prix chuter plus rapidement, ce qui ne s’est pas autant produit, ou pas aussi vite, dans les marchés plus abordables.
Bref, le marché immobilier reste problématique au Canada. Le secteur a beau avoir attiré de nombreux investissements, on n’a toujours pas assez de logements pour répondre à nos besoins.
CPA Canada : Ce ralentissement de la croissance économique est-il forcément annonciateur de récession?
D.-A. Brassard : Pour le moment, notre PIB croît encore et le marché de l’emploi est stable, mais les prévisions semblent indiquer que 2023 débutera par un ralentissement économique qui pourrait s’échelonner sur une demi-année. Or, techniquement, une récession se caractérise par une contraction économique de deux trimestres consécutifs. Donc, oui, on pourrait effectivement entrer en récession si la hausse du taux directeur (dont le but est de ramener l’inflation à un niveau soutenable) fonctionne mieux que prévu.
Mais si récession il y a, ça n’aura rien à voir avec celle connue au tout début de la pandémie. On estime que le taux de chômage pourrait passer de 5 % à 6,5 %. Les services professionnels capables d’attirer les télétravailleurs devraient s’en sortir correctement, tout comme les provinces ou villes qui comptent de nombreux emplois publics (administration, santé, éducation…).
En revanche, les services non essentiels dans des marchés où les prix immobiliers sont élevés font partie de ceux qui risquent de souffrir. On peut imaginer le cas d’un resto chic loin du centre de Montréal ou de Toronto…
CPA Canada : Peut-on faire quelque chose pour se préparer individuellement?
D.-A. Brassard : Les Canadiens devraient remettre les dépenses importantes à plus tard et avoir recours au crédit le moins possible. Ils devraient aussi actualiser leurs compétences, pour une meilleure employabilité, pour pouvoir réagir au cas où.
C’est toujours inquiétant de parler de récession, mais pour l’instant, on estime que cela devrait être relativement court.
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