Transferts d’entreprises familiales : un nouveau régime fiscal dès janvier
Les CPA doivent connaître les dispositions concernant l’imposition des transferts d’entreprises à la prochaine génération qui entreront en vigueur en janvier 2024. (Getty Images/ Westend61)
Dans son budget de 2023, le gouvernement fédéral a instauré de nouvelles règles fiscales pour les propriétaires qui transfèrent leur entreprise à la prochaine génération ou à des employés. Ces règles entrent en vigueur le 1er janvier 2024. Un projet de loi modifiant les propositions relatives aux transferts intrafamiliaux et aux fiducies collectives des employés (FCE) a été publié en août 2023. Nous avons discuté les dernières modifications législatives et les éléments dont les CPA devront tenir compte avec John Oakey, CPA, vice-président, Fiscalité, à CPA Canada.
Transferts intergénérationnels d’entreprises
CPA CANADA : Pourquoi des modifications aux règles sur les transferts intergénérationnels d’entreprises étaient-elles nécessaires?
John Oakey (JO) : Le 29 juin 2021, le projet de loi C-208 émanant d’un député a été adopté afin de permettre aux contribuables de transférer une entreprise à leurs enfants ou petits-enfants de façon plus efficace sur le plan fiscal. Auparavant, le traitement fiscal des transferts intergénérationnels de sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) différait de celui des ventes de SPCC à des parties sans lien de dépendance; il était par conséquent moins avantageux de garder l’entreprise dans la famille. Les dispositions proposées dans le cadre du projet de loi C-208 visaient à uniformiser les règles applicables.
Le projet de loi ne prévoyait cependant pas de véritables mesures permettant d’assurer le transfert des activités de l’entreprise. Un propriétaire pouvait donc transférer officiellement les actions sans que ses enfants prennent le contrôle de l’entreprise. C’est pourquoi des modifications visant à empêcher de telles situations ont été annoncées dans le budget de 2023. Ainsi, pour résumer très brièvement, les contribuables sont passés d’un vide juridique à un projet de loi qui comportait des mesures de vérification minimales, puis à un régime détaillé où seuls les transferts véritables seront admis.
CPA CANADA : Quels sont les points saillants des modifications proposées pour les transferts intergénérationnels?
JO : Pour bénéficier des règles proposées, il faut remplir certaines conditions. La première concerne le transfert des intérêts économiques dans l’entreprise; la deuxième, le transfert du contrôle (qui doit relever des enfants); la troisième, le transfert de la pleine gestion (au moins un des enfants doit y participer activement); et la quatrième, l’obligation d’exploitation active de l’entreprise. Si une de ces quatre conditions n’est pas respectée, le propriétaire touchera un dividende plutôt qu’un gain en capital, ce qui augmentera son fardeau fiscal d’environ 20 % en moyenne. Comme les quatre critères relèvent de dispositions législatives complexes, il faudra effectuer une analyse rigoureuse pour s’assurer qu’ils sont respectés.
CPA CANADA : Quelles options sont prévues pour les transferts intergénérationnels?
JO : Deux types de transferts intergénérationnels sont prévus dans les propositions : le transfert immédiat, qui doit être effectué dans les 36 mois, et le transfert progressif, dont certains aspects peuvent se dérouler sur une période allant jusqu’à 10 ans. Dans les deux cas, des critères doivent être remplis à différentes étapes : avant la vente, au moment de celle-ci, immédiatement après, et au cours de la période applicable. Nous avons publié un résumé détaillé des échéances et des conditions à respecter.
CPA CANADA : Quelles seront les incidences de ces mesures législatives sur les transferts d’entreprises familiales?
JO : Premièrement, les contribuables pourront désormais réaliser des transferts intergénérationnels efficients sur le plan fiscal. Les CPA pourront les aider à comprendre et à appliquer les nombreuses règles pointues. Ces règles ne reflètent cependant pas tous les scénarios possibles.
Les CPA fiscalistes doivent donc maîtriser tous les aspects de ces règles, pour s’assurer que la situation du contribuable correspond bien aux critères énoncés. Ils devront miser sur une bonne planification et des communications claires avec le contribuable et ses enfants au sujet des règles afin de s’assurer que les critères d’un véritable transfert sont respectés à toutes les étapes du processus.
CPA CANADA : En quoi consistent les modifications apportées en août?
JO : Deux changements sont à noter dans les révisions publiées en août. Premièrement, aux termes d’une nouvelle disposition, un contribuable ne peut bénéficier de ces modalités préférentielles pour un transfert efficient sur le plan fiscal qu’une seule fois. Dans les propositions initiales introduites dans le budget fédéral de 2023, le nombre de fois où un propriétaire pouvait se prévaloir des règles de transfert intergénérationnel n’était pas limité. Le ministère des Finances semble avoir introduit cette restriction pour que les transferts intergénérationnels entre des parties ayant un lien de dépendance s’apparentent à des transferts sans lien de dépendance. Le Comité mixte sur la fiscalité de l’Association du Barreau canadien et de CPA Canada a exposé les conséquences négatives de cette restriction au Ministère.
Le second changement d’importance concerne l’introduction de deux dispositions d’allégement supplémentaires pour tenir compte de deux scénarios où certaines conditions ne peuvent être satisfaites :
- l’entreprise cesse d’être exploitée en raison de la disposition de tous les éléments d’actif en vue du remboursement des créanciers;
- l’entreprise a été vendue à un autre enfant.
Fiducies collectives des employés
CPA CANADA : Quelle importance l’instauration des fiducies collectives des employés par le gouvernement revêt-elle?
JO : La portée de cette décision reste à déterminer. C’est la première fois que les propriétaires pourraient se tourner vers une fiducie collective des employés au Canada. L’option existe au Royaume-Uni et aux États-Unis depuis un certain temps. Le recours à une FCE est un autre moyen d’assurer la relève, particulièrement lorsqu’il est difficile de trouver un acquéreur.
L’attrait de cette solution repose sur le partage élargi de la propriété d’une entreprise et sur la répartition des richesses qui en découle. Un obstacle considérable demeure, cependant : dans son état actuel, le cadre législatif proposé offre peu d’incitatifs fiscaux au propriétaire pour qu’il choisisse une FCE, hormis la prolongation de la provision pour gains en capital.
Or, l’absence d’incitatifs fiscaux pour les propriétaires freine de tels transferts, comme le montre l’évolution de la situation au Royaume-Uni. En effet, le recours aux FCE y était rare lorsque les incitatifs fiscaux étaient minimes; il est devenu plus courant après l’ajout d’une exonération des gains en capital pour le propriétaire. Le Canada analysera-t-il la fréquence du recours aux FCE au pays, et modifiera-t-il son régime comme l’a fait le Royaume-Uni? Nous verrons.
CPA CANADA : D’autres options s’offrent-elles aux propriétaires qui souhaitent transférer leur entreprise à leurs employés?
JO : Les propriétaires peuvent toujours confier leur entreprise à une société de portefeuille détenue par les employés. Ce choix ne procurera pas certains avantages d’une FCE, mais il s’agit d’une solution bien établie qui peut s’avérer très efficace grâce à un modèle de gouvernance adapté.
CPA CANADA : Quelles sont les prochaines étapes pour les CPA?
JO : Les règles proposées au chapitre des transferts intergénérationnels s’avèrent très complexes et ne seront pas adaptées à tous les cas de figure. Les CPA doivent faire preuve d’une grande prudence lorsqu’ils conseillent les contribuables. Une connaissance détaillée des règles et une bonne communication avec les clients seront essentielles pour éviter des problèmes.
Quant au régime proposé pour les fiducies collectives des employés, il n’est pas particulièrement complexe, mais comprend des critères bien précis à respecter. Les CPA doivent examiner les règles détaillées très attentivement pour s’assurer du respect des critères, et tenir compte des exigences de conformité et des incidences fiscales afin de déterminer si une FCE constitue la bonne structure pour leurs clients.
Autres ressources
CPA Canada a publié sur son blogue un billet détaillé sur la question intitulé Relève d’entreprise : règles fiscales applicables aux transferts d’entreprises familiales.