L’importance de la reddition de comptes dans la finance durable et la transition vers la carboneutralité
Il peut être très problématique pour une organisation de ne pas s’acquitter de son obligation de rendre des comptes. (Getty Images/Thomas Barwick)
La transition vers une économie à faibles émissions de carbone est devenue une priorité pour les gouvernements, les organisations et les investisseurs à l’échelle mondiale. Cette transition est toutefois complexe sur bien des plans, comme peuvent le constater tous ceux qui sont engagés dans le processus.
Lors du Sommet sur la croissance du Canada du Forum des politiques publiques, un congrès sur la politique économique qui s’est déroulé à Toronto en avril, Gord Beal, FCPA et vice-président, Recherche, orientation et soutien à CPA Canada et chef d’équipe de l’initiative Voir demain, a parlé de ses idées sur le rôle de la finance durable en vue de l’atteinte de la carboneutralité. Voici quelques faits saillants de la discussion.*
Q : Nous comprenons que l’argent et la façon dont il est géré jouent un rôle important dans la gestion de la crise climatique, mais pouvez-vous expliquer ce qu’est la finance durable et son importance?
GORD BEAL (GB) : La finance durable consiste à répartir efficacement le financement ou la prise de décisions financières dans un contexte de durabilité. Par durabilité, nous entendons les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), dont les changements climatiques et la transition vers la carboneutralité. La finance durable est la façon dont on déplace et utilise le capital en vue de l’atteinte de certains objectifs dans ce contexte.
Lorsqu’il est question de transition vers la carboneutralité, on constate que les gouvernements, les sociétés et les dirigeants d’entreprises formulent de nombreux engagements. Les estimations du coût futur de la transition au cours de la prochaine décennie sont larges, s’échelonnant entre moins de 2 billions et plus de 9 billions de dollars par année.
Avec autant de capitaux à mobiliser, les gouvernements de partout dans le monde ne seront pas la seule source de financement, d’où l’importance de l’investissement privé.
Q : Comment pouvons-nous trouver un équilibre entre la nécessité de réduire drastiquement les émissions et la dépendance des consommateurs, des travailleurs et de notre économie aux combustibles fossiles?
GB : On parle beaucoup du E des ESG, soit le côté environnemental, mais le S, l’aspect social, est tout aussi important.
Les combustibles fossiles sont une source d’énergie fiable et relativement peu coûteuse. Il serait non seulement irréaliste, mais carrément impossible de cesser toute exploitation dans ce secteur, compte tenu du nombre de personnes qui en subiraient les conséquences.
Nous devons trouver une approche équilibrée et affronter le problème de manière globale. C’est ici que la notion de transition « juste » entre en ligne de compte : nous devons penser à la façon dont les travailleurs seront reformés et requalifiés, et intégrer ces considérations dans les investissements nécessaires pour nous assurer que ces personnes auront leur place dans cette transition, peu importe vers quoi elle va les mener.
Q : Il existe des craintes et des allégations d’écoblanchiment en raison d’un manque de cohérence dans les normes de présentation de l’information. Quels sont les outils de reddition de comptes qui existent à l’heure actuelle?
GB : Les instruments de placement peuvent être étiquetés finance durable, mais il est difficile à l’heure actuelle de faire une distinction entre les divers instruments.
Au bout du compte, c’est une question de notions de base comme le langage et les messages ou la taxonomie de ces instruments. Le langage utilisé est-il cohérent? La reddition de comptes est essentielle dans ce processus.
Il y a du travail à faire au Canada et à l’international, mais il n’est pas facile de mettre au point un langage commun pour une notion si complexe. Une étape importante au niveau international est la création d’un Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (International Sustainability Standards Board – ISSB), dont le mandat sera d’établir des normes internationales permettant une comparabilité de l’information liée au climat. Ces outils seront utiles dans le processus, mais en définitive, il faudra vérifier l’utilisation que font les organisations de ces instruments, la perception qu’en ont les investisseurs et le fait que ces instruments permettent vraiment ou non d’atteindre leur objectif.
Q : Il existe un centre de l’ISSB au Canada, à Montréal. En quoi ce centre aide-t-il le Canada à faire entendre ses besoins économiques distincts sur la scène internationale en ce qui concerne la taxonomie de la transition?
GB : La présence d’un centre de l’ISSB au Canada est une grande victoire pour nous.
Partout au pays et dans divers secteurs, institutions financières, administrations publiques, villes et sociétés, un grand nombre de dirigeants nous disent que le Canada peut peser dans la balance dans ce domaine.
Notre économie est unique et repose largement sur les ressources naturelles. Notre secteur extractif, notamment les industries pétrogazière et minière, est un chef de file en matière de pratiques commerciales responsables, et nous pouvons être un modèle pour d’autres pays. Nous avons également des connaissances en ce qui concerne les questions autochtones, dont nous faisons une priorité. De par notre spécificité, nous pouvons contribuer grandement à l’élaboration de ces normes.
Q : Comment les acteurs du secteur privé peuvent-ils se préparer au passage d’un système facultatif de présentation de l’information sur les risques climatiques à un système obligatoire?
GB : Une réglementation sera bientôt mise en place. Ce qui est aujourd’hui facultatif deviendra obligatoire. Les organisations doivent savoir ce qui s’en vient et se renseigner.
Pour en revenir à la question de l’écoblanchiment, les efforts ne doivent pas se résumer à une simple activité de relations publiques. Les organisations devront fournir de l’information sur les risques et les réalités auxquels elles sont confrontées et apporter des changements à leurs processus internes de collecte de l’information. Elles ne pourront pas simplement prendre des engagements sans les respecter. L’incapacité à rendre des comptes pourrait être très problématique.
Q : Comment les sociétés à capital fermé qui pourraient ou non être ciblées par des réglementations ou des normes, devraient-elles aborder cette transition?
GB : À mesure que les grandes sociétés ouvertes revoient l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement et modifient leurs modèles d’entreprise, de nouvelles attentes commenceront à poindre pour les sociétés à capital fermé avec lesquelles elles font affaire. Cela signifie que les sociétés à capital fermé auront un rôle à jouer dans cette transition, même si elles se joindront aux efforts un peu plus tard. Mais je vois aussi plusieurs sociétés à capital fermé faire preuve de leadership dans ce domaine et sensibiliser la population à la valeur de la carboneutralité. Ces sociétés seront un modèle à suivre pour les autres organisations.
POURSUIVONS LA CONVERSATION
Il est difficile de s’y retrouver dans le marché des instruments d’emprunt durables, tant pour les investisseurs et les émetteurs que pour les organisations. CPA Canada et la Fédération internationale des comptables (FIC) ont apporté conjointement des éclaircissements dans Marché des instruments d’emprunt durables : rapport.
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*Cette entrevue a été modifiée à des fins de concision et de clarté.