Jim Balsillie
Innovation
Technologies

Pour Jim Balsillie, la capacité d’innovation du Canada n’a pas de limites

L’ancien cochef de la direction de RIM estime que les entrepreneurs canadiens ont un talent exceptionnel, mais que le pays doit se doter de politiques porteuses.

Jim Balsillie Jim Balsillie croit que les CPA peuvent jouer un rôle bien plus important au chapitre de l’innovation au Canada. (Photo fournie par le Centre for International Governance Innovation)

Le CPA Jim Balsillie, ancien président et cochef de la direction de Research in Motion (RIM) aux côtés de Mike Lazaridis – et ainsi connu comme l’entrepreneur derrière le BlackBerry –, occupe le devant de la scène canadienne de l’innovation depuis plus de 20 ans.

Dans cet entretien, il se prononce sur certains enjeux économiques, notamment sur l’état de la concurrence et de l’innovation au Canada dans un contexte mondial hautement compétitif.

CPA CANADA : Vous avez fondé ou cofondé plusieurs organisations, dont le Conseil de gouvernance numérique, l’Institute for New Economic Thinking, la Balsillie School of International Affairs, l’Arctic Research Foundation, le Centre for Digital Rights, le Centre for International Governance Innovation et le Conseil canadien des innovateurs (CCI). Quel est le mandat de ce dernier?
JIM BALSILLIE (JB) : Le CCI est un conseil commercial ayant pour mission d’aider les entreprises exportatrices qui, dans l’économie du savoir actuelle, doivent faire face à une concurrence planétaire. Au moment où nous l’avons fondé, en 2015, il n’existait aucun forum permettant aux chefs de la direction du secteur des technologies de se faire entendre de façon organisée, de réseauter et de discuter de bonnes pratiques. Jusque-là, les politiques canadiennes étaient essentiellement guidées par les perspectives de dirigeants étrangers du secteur des technologies, ou encore de chefs d’entreprise sur les marchés des produits de base et des services traditionnels.

Au départ, nous comptions 18 chefs de la direction dans nos rangs; aujourd’hui, nous avons 150 membres.

CPA CANADA : Étant donné votre expérience à titre de président et cochef de la direction de la grande entreprise du secteur des technologies qu’est RIM, quelle est votre perception de l’innovation canadienne sur la scène mondiale?
JB : J’ai toujours été d’avis que la capacité d’innovation du Canada n’a pas de limites et que nos entrepreneurs peuvent aspirer au même succès international que ceux des États-Unis et d’ailleurs.

Par exemple, en 2009, RIM était l’entreprise qui connaissait la plus grande croissance au monde; en 2011, nous avons porté notre chiffre d’affaires à 20 G$.

Mais j’ai aussi constaté que les politiques canadiennes ne tenaient pas réellement compte de la réalité des entrepreneurs du secteur des technologies et ne leur étaient pas d’un grand soutien. Depuis plus de 20 ans, je milite auprès du gouvernement pour que les entreprises puissent trouver dans les politiques non pas un obstacle, comme c’est souvent le cas, mais bien un tremplin.

Dans le cadre de mes fonctions au CCI, j’ai l’occasion de rencontrer régulièrement les entrepreneurs qui se démarquent ici. Je le vois bien : ils sont aussi brillants et ambitieux que ceux de l’étranger.

CPA CANADA : Au chapitre de la concurrence et de l’innovation, on dit généralement du Canada qu’il tire de l’arrière. Cette perception est-elle juste et, dans l’affirmative, qu’est-ce qui explique cet état de fait?
JB : Oui, c’est juste. Depuis 1976, le Canada affiche les niveaux de productivité les plus bas de tous les pays de l’OCDE, ce qui fait en sorte que les salaires réels n’ont pas beaucoup bougé. Quarante ans après l’avènement de l’économie du savoir, le déficit du Canada au chapitre des paiements et des rentrées en ce qui a trait à la propriété intellectuelle se creuse à un rythme alarmant; la situation n’est guère meilleure, en fait, que celle dans les économies en développement. Et ce déficit serait considérablement plus élevé s’il reflétait la valeur des flux de données nets.

Selon les prévisions de l’OCDE, le Canada demeurera en dernière position pendant encore plusieurs décennies.

Il en est ainsi parce qu’au Canada, les décideurs politiques n’ont pas su opérer le virage d’une économie traditionnelle, reposant sur la production, vers une économie du savoir. Ils n’ont donc pas su élaborer des stratégies qui auraient permis à nos entreprises de s’imposer davantage dans les chaînes de valeur mondiales. Nous contribuons à la création d’actifs intangibles sans avoir une juste part de leur propriété et de leur exploitation économique.


Depuis 1976, le Canada affiche les niveaux de productivité les plus bas de tous les pays de l’OCDE.


CPA CANADA : Vous avez siégé au Council on Competitiveness des États-Unis. Quelles similitudes ou différences avez-vous remarquées entre ici et là-bas en ce qui concerne la posture générale en matière de compétitivité et d’innovation?
JB : La culture du dialogue aux États-Unis est diamétralement opposée à celle que l’on peut observer à Ottawa. Les décideurs américains sont incroyablement avertis, entretiennent une communication étroite avec le milieu des affaires et ont le souci de faire avancer leurs objectifs géopolitiques en outillant les acteurs commerciaux. Là-bas, la situation est donc avantageuse pour le gouvernement comme pour les entreprises.

Au Canada, il nous a fallu 15 ans pour convaincre nos décideurs de commencer à accepter le fait que l’économie s’était transformée et que la prospérité du pays devait passer par la collaboration avec les créateurs de richesses d’ici.

CPA CANADA : Quelle est la mission du Centre for International Governance Innovation (CIGI), que vous avez cofondé? À votre avis, dans quelle mesure le Canada jouera-t-il un rôle prépondérant dans l’élaboration de pratiques d’excellence internationales en matière de gouvernance?
JB : Le CIGI est un groupe de réflexion établi pour mener des recherches et des analyses de calibre mondial et pour proposer des politiques adaptées à l’ère numérique. De longue date, les moyennes puissances jouent un rôle pivot dans les affaires internationales, et à mon avis, le Canada peut, et doit, être un intervenant constructif dans l’édification et la modernisation des institutions, des normes et des cadres de gouvernance à l’échelle mondiale.

S’il y parvient, le Canada aura contribué à un monde meilleur tout en assurant la promotion de ses propres intérêts.

Jim Balsillie au podiumJim Balsillie pense que sa trajectoire professionnelle n’aurait pas été la même sans son titre de CPA. (Photo fournie par le Centre for International Governance Innovation)

CPA CANADA : En quoi le fait d’avoir le titre de CPA a-t-il influencé votre carrière, vous qui avez touché à tant de volets du milieu des affaires et de la société en général?
JB : Ma trajectoire professionnelle n’aurait pas été la même sans mon titre de CPA. La formation qui mène au titre permet d’acquérir les notions fondamentales nécessaires pour déchiffrer ce que nous disent, et ne nous disent pas, les états financiers, ainsi que pour comprendre la structuration d’entreprises, la gestion des capitaux et les contrôles organisationnels.

Grâce à cette formation, j’ai également pu comprendre certains enjeux qui relèvent des politiques, comme les structures juridiques d’appropriation économique quant aux deux aspects clés de l’économie des actifs intangibles : la propriété intellectuelle et les données. L’optimisation de ces actifs en vue de la maximisation des retombées économiques s’apparente à l’optimisation de stratégies fiscales. C’est pourquoi je crois que les CPA peuvent jouer un rôle important à cet égard.

CPA CANADA : Comment les CPA canadiens peuvent-ils contribuer à stimuler l’innovation au cours des 10 prochaines années?
JB : Les CPA ont un rôle beaucoup plus important à jouer dans cette sphère au Canada, j’en suis convaincu.

Pour commercialiser à grande échelle des idées, il faut d’une part assurer une gestion rigoureuse – de fait, un excellent contrôle – d’aspects juridiques tels que les normes, la propriété intellectuelle, les licences, la gouvernance des données, l’intelligence artificielle, les politiques applicables à l’emploi et les ententes de non-divulgation, et d’autre part pouvoir influencer la multitude de politiques publiques qui sous-tendent ces droits et obligations.

Au Canada, le milieu des affaires et les décideurs politiques n’ont pas réussi à bâtir une expertise permettant de comprendre l’importance de ces aspects et d’élaborer des stratégies de mise en œuvre. Or, grâce à leur formation, les CPA disposent d’une assise solide, qu’ils peuvent enrichir, pour venir remédier à la situation, en particulier les jeunes CPA ambitieux.

CAP SUR L’INNOVATION

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