Couverture de Fool Me Once: Scams, Stories and Secrets from the Trillion-Dollar Fraud Industry
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À livre ouvert : la criminalité en col blanc et les dégâts qu’elle cause

La juricomptable Kelly Richmond Pope scrute quelques fraudes notoires et met en lumière les signaux d’alarme passés sous silence.

Couverture de Fool Me Once: Scams, Stories and Secrets from the Trillion-Dollar Fraud IndustryDans Fool Me Once, Kelly Richmond Pope démontre que la fraude n’est jamais sans victime et au contraire, qu’elle peut même tuer dans certains cas. (image fournie)

Professeure de juricomptabilité, spécialiste des crimes en col blanc, Kelly Richmond Pope sort du lot dans un milieu plutôt feutré. Sa notoriété a explosé en 2017 avec la sortie du documentaire All the Queen’s Horses, qui raconte la plus spectaculaire de toutes les fraudes municipales commises aux États-Unis. Alors contrôleuse à Dixon, en Illinois, Rita Crundwell a extorqué 53,7 M$ US à la Ville entre 1990 et 2012, soit 37 000 $ par jour, comme l’explique la juricomptable dans sa nouvelle enquête Fool Me Once: Scams, Stories and Secrets from the Trillion-Dollar Fraud Industry.

Les signaux d’alarme, flagrants, étaient pourtant nombreux. Rita Crundwell, employée de rang intermédiaire, diplômée de l’école secondaire, sans fortune familiale, s’offrait des congés sans solde de quatre mois pour se consacrer à l’élevage équin, une passion qui lui coûtait des millions de dollars, financée par les deniers publics. Argent disparu des coffres, train de vie extravagant, des fonctionnaires aux auditeurs, nul n’a sourcillé, nul n’a assemblé les pièces du casse-tête.

Kelly Richmond Pope résume ses recherches sur les crimes économiques, décrypte leurs causes et conséquences, et s’appuie sur des entretiens avec des escrocs, des victimes et des lanceurs d’alerte, invités à s’exprimer dans ses cours à la DePaul University, à Chicago. Elle examine les rouages de différents stratagèmes, mais le cœur de son enquête porte sur les motifs et les réflexions des fraudeurs ou de leur entourage, qui ferme les yeux.

Kelly Richmond Pope souhaite que l’on prenne conscience de ce fléau. Selon l’Association of Certified Fraud Examiners, les pertes pour escroquerie s’élevaient, en 2019, à 3 700 G$ US, à l’échelle mondiale. Récemment, les fausses collectes de fonds dans le sillage de la COVID-19 ont fait grimper la somme à près de 5 000 G$ US. Et c’est sans compter les tricheries anodines du quotidien.

Pharmacien spécialisé, Robert Courtney a commencé, dès les années 1990, à diluer les ingrédients actifs de certaines préparations pour arrondir ses fins de mois. Si ses patients cancéreux ne souffraient guère des effets secondaires notoires de leur traitement, comme la perte de cheveux et la nausée, leur état de santé ne s’améliorait pas non plus. Il aura tout de même fallu dix ans pour l’arrêter. C’est en 2002 que le pharmacien a plaidé coupable. Il avait réduit des deux tiers la dose d’ingrédients actifs de 98 000 traitements, destinés à 4 200 patients, dont bon nombre ont perdu la vie.

De quoi illustrer les trois assises de la fraude : l’occasion, la contrainte, la justification. Le pharmacien, qui travaillait sans surveillance, a saisi une occasion pour échapper à la contrainte (il avait à ses trousses l’IRS, qui lui réclamait 600 000 $ d’impôts) et a évoqué une justification à l’appui de ses agissements (les patients étaient condamnés). Il avait aussi mûrement planifié ses crimes, contrairement à ceux qui commettent une fraude accidentelle et qui s’enthousiasment, après coup, d’être passés sous le radar. L’autrice raconte l’histoire d’une dénommée Diann qui a utilisé, par mégarde, la carte de crédit de son employeur pour payer un voyage personnel. Personne n’ayant relevé sa bévue, Diann, agente aux finances, ne s’est plus gênée. Elle a porté davantage de dépenses au compte de l’entreprise et s’est même octroyé une juteuse augmentation de salaire. La facture? Un demi-million de dollars.

La latitude laissée aux escrocs pour sévir en toute impunité, même quand les indices sautent aux yeux, caractérise ce type de crime. Rappelons-nous que Rita Crundwell étalait au grand jour un train de vie princier. Deux principes expliqueraient l’inertie de l’entourage. D’une part, l’effet du spectateur, amené à minimiser les signaux d’alarme flagrants (si quelque chose clochait, quelqu’un interviendrait). D’autre part, le dilemme du lanceur d’alerte. Faut-il oser dénoncer les gestes illicites ou rester solidaire de l’équipe? Kelly Richmond Pope raconte que certains étudiants (en juricomptabilité, rien de moins) ont exprimé du mépris à l’égard d’une lanceuse d’alerte, qualifiée de délatrice. Un mot qui déplaît à la juricomptable.

Bref, le portrait n’a rien de réjouissant. Pour revenir aux trois assises de la fraude, la contrainte et la rationalisation seront toujours ancrées dans l’être humain. En revanche, on peut intervenir pour éviter de laisser les occasions d’agir se présenter impunément. Récompenser les lanceurs d’alerte, ouvrir des lignes d’assistance téléphonique en éthique, repenser la culture organisationnelle sont aussi des pistes. Les remises en question doivent être informelles, fréquentes et, surtout, banalisées. Alors, pour tenir les tricheurs en échec, redoublons de vigilance et osons réagir.

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