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Couverture du livre Le Système TikTok
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TikTok, un authentique miroir sans tain fabriqué en Chine

Dans son essai Le système TikTok, la journaliste française Océane Herrero analyse comment la plateforme chinoise est en train de redéfinir nos existences.

Couverture du livre Le Système TikTok  TikTok hypnotise ses utilisateurs en leur proposant avec une acuité inégalée des contenus susceptibles de correspondre à leurs opinions. (image fournie)

Qui n’a pas TikTok pourrait penser que l’application s’apparente aux autres réseaux sociaux. Or, comme l’explique Océane Herrero dans son essai Le Système TikTok. Comment la plateforme chinoise modèle nos vies (Éditions du Rocher, 200 pages), rien n’est moins vrai.

Le divertissement avant tout

Côté pile, TikTok permet de créer et de partager de courtes vidéos accompagnées de musique, d’effets visuels, de filtres et de textes. Présentées dans un format immersif, ces vidéos qu’on fait défiler en balayant du pouce vers le haut se veulent divertissantes et touchent à la danse, à la musique, à l’humour, aux voyages, à la cuisine...

Côté face, c’est un algorithme de recommandation extrêmement poussé qui traque le moindre geste des utilisateurs pour les rendre accros. Contrairement à Facebook ou à Twitter, qui proposent du contenu selon les centres d’intérêt exprimés par les utilisateurs (comme les abonnements), TikTok ajuste le contenu en fonction des vidéos regardées, des likes éventuels et surtout de la durée de visionnage. C’est « l’information » qui le trouve. Les utilisateurs sont plutôt passifs, un peu comme devant la télé.

« TikTok n’est pas un réseau social, ni une plateforme de vidéo à la demande puisque l’intérêt même de l’algorithme est de précéder cette demande, explique Océane Herrero. TikTok est une plateforme avant la demande, si efficace qu’elle semble même anticiper nos désirs. » Comme si on se mettait à nu devant un miroir sans tain, sans réaliser que l’image renvoyée est modifiée par ceux qui se cachent derrière.

Cette immersion n’est pas sans danger car « TikTok parvient à plonger ses utilisateurs dans des “rabbit holes”, littéralement des “trous de lapins” à l’image de celui dans lequel plonge Alice vers un univers parallèle. Ainsi, un compte paramétré pour être intéressé par la santé mentale a été inondé de vidéos de ce type, la plupart propres à entretenir un état dépressif ».

Cet enfermement algorithmique appelé bulle de filtre, rappelle la journaliste, vise à nous garder « hameçonnés aussi longtemps que possible », en nous proposant avec une acuité inégalée des contenus susceptibles de correspondre à nos opinions. « Chaque utilisateur peut ainsi développer un fil Pour toi très distinct et se retrouver dans des niches de contenu qui semble improbable pour le commun des mortels. » Improbable mais d’autant plus intime, même si « la relation que noue l’utilisateur avec l’application est avant tout une transaction [...] L’individu transmet ses données en masse et en échange reçoit des vidéos personnalisées. Cela permet à l’entreprise de constituer des groupes qui intéresseront les annonceurs. C’est là la froide réalité de l’économie de l’attention ».

« Made in China »

Malgré les risques qu’elle semble présenter, la formule a fait mouche puisque la plateforme, lancée en 2017 et propulsée sur la scène internationale pendant la pandémie, compte à présent 1,7 milliard d’utilisateurs mensuels dans le monde. Aux États-Unis, les adultes y passent près d’une heure par jour selon le cabinet Insider Intelligence. Les 13-18 ans? 1 heure 47.

De quoi réjouir Zhang Yiming, le PDG de ByteDance, l’entreprise derrière TikTok. Âgé de 40 ans, l’ingénieur de formation a du flair. En 2017, il a eu la bonne idée de racheter le concurrent chinois de TikTok, Musical.ly, lequel s’inspirait déjà d’une appli française nommée Mindie. Craignant la censure, Zhang Yiming a aussi eu l’idée de développer une application vidéo propre à la Chine, Douyin, et de réserver TikTok à l’international. Mais cette séparation n’a pas suffi à rassurer les Occidentaux, notamment en ce qui a trait à la confidentialité des données – d’où le fait qu’Ottawa et Québec ont banni TikTok de manière préventive des téléphones des fonctionnaires. L’enjeu géopolitique est tel que l’Inde a purement et simplement interdit l’application sur son territoire. Mais sans preuve flagrante, les soupçons d’espionnage et de propagande pour le compte de Pékin ne suffisent pas.

De toute façon, TikTok a d’autres chats à fouetter, souvent accusée d’abrutir les jeunes, de monter en épingle des microtendances ou d’amplifier des phénomènes sociaux. La plateforme est aussi considérée selon des études comme étant la moins vigilante en matière de désinformation. Or qui irait interrompre son scrolling pour aller vérifier une information? Les modérateurs de contenu y dénoncent aussi des cadences de travail infernales, avec plus de mille vidéos à valider par jour, ce que déplorent à leur tour les créateurs et les médias, qui espèrent tous attirer l’attention des utilisateurs.

Néanmoins, la dépendance est là – un spécialiste en IA a déjà qualifié TikTok de « crack numérique ». Et Océane Herrero d’ajouter : « L’application a un fonctionnement proche de celui d’un casino : à chaque fois que l’on passe à la vidéo suivante, c’est la même surprise. L’utilisateur ressent la même incertitude et la même excitation qu’en actionnant une machine à sous. »

Bonnes feuilles

Plongez dans cet essai captivant sur la nouvelle guerre froide menée par les États-Unis contre la Chine. Voyez comment une entreprise peut agir comme levier social pour changer le monde et pourquoi notre obsession pour la croissance est un frein au progrès social. Enfin, découvrez les tenants et les aboutissants de notre dépendance aux hydrocarbures.