Un drone en action
Articles de fond
Magazine Pivot

Des drones pour lutter contre les inégalités dont sont victimes les Premières nations

La livraison par drones, un moyen pour l’entreprise Indigenous Aerospace d’aider les communautés autochtones éloignées à prendre la place qui leur revient dans le milieu des affaires et des technologies.

Un drone en actionUn drone en action (Avec l’autorisation de Indigenous Aerospace)

En 2016 s’amorce, pour Norman Shewaybick, un périple à pied de 17 jours, au mépris du froid mordant, bonbonne d’oxygène à la traîne, en direction de la Première Nation de Webequie, à plus de 500 kilomètres au nord de Thunder Bay, en Ontario.

Un geste de protestation pour l’homme devenu veuf, quelques mois auparavant, en raison d’une pénurie d’oxygène à la clinique de sa communauté. Lui et sa femme célébraient alors leur 26e anniversaire de mariage. À son chevet, il lui a fait la promesse que plus personne n’aurait à subir un tel sort.

La réserve d’oxygène la plus proche était, « à vol d’oiseau », à 70 kilomètres, confiait récemment à la CBC le PDG d’Indigenous Aerospace, Jacob Taylor. Et la nuit étant tombée, le voyage par hélicoptère était impossible.

Un tragique incident qui fut l’ultime étincelle qu’il fallait à Jacob Taylor pour fonder l’entreprise. Fort de ses études en sciences de la santé, de son expérience en développement économique et de sa connaissance de la réalité autochtone, il pouvait, se disait-il, s’attaquer au problème.

« Un drone aurait pu transporter une nouvelle bonbonne en moins d’une heure », déplore l’homme.

Mais selon lui, les communautés autochtones, tout en bénéficiant des systèmes d’aéronefs télépilotés (SATP), doivent s’imposer comme forces vives de ce secteur.

Sa vision : faire des membres des Premières Nations les responsables de bout en bout des SATP dans leur région pour favoriser la formation, l’emploi et l’autosuffisance, et pour les poser en précurseurs dans cette industrie émergente, révolutionnaire et axée sur la technologie.

Jacob Taylor, PDG de Indigenous AerospaceJacob Taylor, qui a pour nom spirituel Wasa Nabin Nini, est le PDG de Indigenous Aerospace. (Avec l’autorisation de Indigenous Aerospace)

Membre de la bande de Curve Lake, Jacob Taylor a pour nom spirituel Wasa Nabin Nini, qui signifie « l’homme qui voit très loin devant ». Baccalauréat et maîtrise en sciences de la santé et en politiques autochtones en poche, il lance en 2014 le groupe Pontiac, un cabinet-conseil en développement économique visant la synergie entre valeurs autochtones et occasions d’affaires.

Guidé par des leaders autochtones de partout au pays, Jacob Taylor fait sien l’intérêt de l’Assemblée des Premières Nations pour la réconciliation économique, « pour nous faire participer à la société capitaliste canadienne, mais dans le respect des droits qui nous sont conférés par traité, dans le respect de notre histoire ».

Le groupe Pontiac établit des partenariats dans le marché du cannabis médicinal avant sa légalisation à des fins récréatives. Jacob Taylor se voit ensuite confier un mandat de sensibilisation sur le sujet dans les Premières Nations du nord de l’Ontario.

Le Canada étant un vaste pays parsemé de localités isolées, parfois accessibles uniquement par avion, l’homme constate de visu la dure réalité de ces populations : les fournitures médicales se font rares, et le prix des denrées est faramineux.

« Quand les chefs pour lesquels je travaillais m’ont montré le reportage sur Norman Shewaybick, ils m’ont supplié de les aider. »

Peu après, Jacob Taylor tombe sur une chronique de BNN au sujet des drones. « C’est l’univers qui m’envoyait un message », raconte-t-il. Il prend alors contact avec un acteur de l’industrie sur LinkedIn. Moins d’une semaine plus tard, ils se rencontrent.

Groupe de personnes vêtues de chemises oranges devant un grand écusson portant le nom de Sioux Valley Dakota NationUne équipe spéciale a été formée à utiliser la technologie LiDar (détection et télémétrie par la lumière) installée sur les drones afin d’aider à la localisation des tombes anonymes sur le terrain du pensionnat de Brandon. (Avec l’autorisation de Indigenous Aerospace)

Indigenous Aerospace voit ainsi le jour en 2021, avec pour mandat de promouvoir les SATP. Et l’entreprise peut compter sur Volatus Aerospace pour le savoir-faire, l’équipement et la formation.

« Le bagage varié que j’ai pu acquérir, les enseignements tirés sur le terrain, les travaux de recherche menés : tout pointe vers le principe d’autodétermination, donc vers notre capacité de subvenir à nos besoins. »

Des secteurs imposants – construction, infrastructures, énergie, services publics, agriculture, ressources naturelles, immobilier, police, armée – utilisent déjà les SATP, et on n’a pas fini de mettre au jour tout leur potentiel.

Selon Insider Intelligence, le marché mondial des drones pourrait atteindre 63,6 G$ d’ici 2025. La technologie et la réglementation évoluent rapidement. « Rien n’est joué dans ce secteur où les protagonistes restent encore à définir », continue Jacob Taylor.

Groupe sautant en l'air devant un tipiLe groupe de femmes chargées de protéger les cours d’eaux utilise des drones pour surveiller ceux-ci. (Avec l’autorisation de Indigenous Aerospace)

Dans les communautés autochtones, les applications des SATP sont multiples : mines, foresterie et déversements; recherche et sauvetage de chasseurs et de pêcheurs; surveillance des niveaux d’eau et des migrations fauniques; transport d’échantillons d’eau pour essais rapides; amélioration logistique de la chaîne d’approvisionnement. Durant la pandémie, Jacob Taylor s’est d’ailleurs servi de drones pour transporter vaccins et échantillons entre des collectivités insulaires et le continent.

Mais surtout, d’après lui, les SATP contribuent à enrichir les communautés. Création d’emplois, engouement des jeunes pour les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) ainsi que frein à l’exode des talents sont au nombre des avantages.

« Nous voyons un champ d’application tellement vaste. Il y en a qui visent un certain créneau, et ce n’est pas mauvais en soi. Mais il s’agit, ici, de voir plus grand, de permettre aux communautés autochtones de concevoir leur propre solution et de l’intégrer en vue de répondre au mieux à leurs besoins. Développement communautaire, retombées économiques, promotion des STIM chez les jeunes : les bénéfices se feraient véritablement sentir partout. »

Indigenous Aerospace accompagne ses clients dans la création d’un service de drones en leur fournissant équipement et formation, et au besoin, en les aidant pour le financement. L’entreprise en est à établir ses façons de faire dans les communautés ontariennes avant d’étendre son rayon d’activité. Les drones à capacité arctique sont aussi dans sa mire.

Jacob Taylor est un homme fort occupé. Doctorant en sciences de la santé autochtones, il préside aussi le comité autochtone de l’Association pour l’évolution aérienne du Canada, comité qu’il a d’ailleurs formé.

Ce comité est le premier de l’OSBL à représenter les valeurs et les intérêts des Premières Nations, qui ont maintenant voix au chapitre en ce qui concerne les SATP – porteurs, pour elles, d’un fort potentiel transformateur, voire salvateur.

« Je suis fier de chaque étape franchie », souligne l’entrepreneur. « Si des communautés prenaient les commandes d’Indigenous Aerospace et bâtissaient quelque chose de plus grand encore, je pourrais dire : mission accomplie. »

EN SAVOIR PLUS

Découvrez pourquoi les drones joueront entre autres un rôle de plus en plus important dans les livraisons. Lisez le récit de trois CPA autochtones qui s’ouvrent sur leur carrière et consultez l’introduction de CPA Canada à la culture des peuples autochtones.