Couverture du livre Once upon a prime
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Une mathématicienne dévoile la face cachée des nombres en littérature

Sarah Hart se penche sur la signification cachée des nombres inscrits dans les classiques de la littérature à travers l’histoire.

Couverture du livre Once upon a primeDans son livre, Sarah Hart détaille met au jour l’omniprésence des chiffres dans de grandes œuvres littéraires. (image fournie)

Mathématicienne accomplie, Sarah Hart a l’honneur d’être la première femme à occuper la vénérable chaire de géométrie du Collège Gresham de Londres. Non moins de 32 confrères l’y ont précédée. Le poste a été créé en 1597, dans le respect des dernières volontés de Sir Thomas Gresham, grand argentier élisabéthain à qui l’on doit une loi éponyme, « la mauvaise monnaie chasse la bonne », formulée à l’époque où les pièces d’argent, paradoxalement, supplantaient les pièces d’or. Non contente d’évoquer théorèmes et théories en tout genre pour un lectorat d’initiés dans les hautes sphères, Sarah Hart signe aussi des articles destinés au commun des mortels, et a ainsi fait le point sur la logique des chiffres dans Moby Dick. Elle dévore les ouvrages en lice pour le prix Booker (l’équivalent anglais du prix Goncourt) et serait fort capable d’accomplir « six choses impossibles avant le petit-déjeuner », pour reprendre le mot du mathématicien Lewis Carroll, auteur d’Alice au pays des merveilles.

Dans Once Upon a Prime: The Wondrous Connections Between Mathematics and Literature, Sarah Hart détaille sa preuve et met au jour l’omniprésence des chiffres, tenon et mortaise des récits de jadis et de naguère. Ce sont trois vœux que le génie accorde à Aladin, et quarante voleurs qu’affronte Ali Baba. Arrivent ensuite en scène le professeur Moriarty, mathématicien, ennemi juré de Sherlock Holmes, et, récemment, le jeune Pi Patel, héros de L’Histoire de Pi de Yann Martel. L’essai, rodé comme un théorème, érudit, renseigne le lecteur sans l’égarer. Surtout, il est un bel éloge de la beauté de la structure. Y plonger vous donnera envie de creuser la question, avertit l’autrice.

Selon elle, l’être humain se met volontiers en quête de structures, de modèles et de rythmes décelés dans la nature, lui qui, depuis la nuit des temps, élabore des récits, poétiques et autres. En attestent d’immémoriales réflexions qu’aurait signées Enheduanna, grande prêtresse du dieu-lune, qui officiait à Ur, en Mésopotamie, voilà 40 siècles. Ses hymnes du temple regorgent d’allusions à la géométrie et aux nombres, comme en témoigne un passage où une sage aînée mesure les cieux jusqu’à en étirer son ruban. Cachées sous les rimes, les mathématiques émergent strophe après strophe, et la poésie s’inscrit dans la continuité des mathématiques, fait valoir Sarah Hart.

Côté structure et côté contenu, les mathématiques se sont invitées dans le roman d’hier à aujourd’hui. Preuve à l’appui, l’autrice dissèque le prix Booker de 2013, Les Luminaires d’Eleanor Catton. Elle explique pourquoi chacun des 12 chapitres est deux fois plus court que le précédent, pourquoi l’un des ressorts de l’intrigue porte sur le vol d’une somme chiffrée à 4 096 £, et pourquoi le long récit fait écho à « la gyre toujours plus large », métaphore du faucon dans l’un des poèmes de langue anglaise les plus cités du XXe siècle, La seconde venue, de l’Irlandais William Butler Yeats.

Sarah Hart se lance dans une exploration du temps et de l’espace, et passe des Voyages de Gulliver aux œuvres de l’ère moderne. Elle précise pourquoi le narrateur de Moby Dick, Ismaël, affectionne les cycloïdes, discute des apparitions de mathématiciens désagréables, tels que le professeur Moriarty, la hantise de Sherlock Holmes, et souligne que Pi Patel est parti à la dérive (en compagnie d’un tigre du Bengale) pendant 227 jours, 227 c’est-à-dire 22 septièmes (22/7), soit environ 3,14 (pi). L’autrice rappelle aussi que la littérature recèle maints nombres magiques tels 5, 7, 9, 12, 40 et 3.

Les trichotomies, séries de trois éléments, l’un plus grand, plus petit ou de même taille que l’autre, trouvent un écho dans le psychisme. Elles s’avèrent omniprésentes dans les mathématiques. Par exemple, un angle est dit aigu (inférieur à 90°), droit (90°) ou obtus (supérieur à 90°). Les trichotomies surgissent dans la pensée, souvent composées de deux éléments ponctuels qui bornent un élément continu, puisqu’à la naissance, la vie et la mort s’ajoutent l’aube, le jour et le crépuscule. Il y a aussi le premier coup de feu, la guerre de Cent Ans et le dernier coup de feu, et tout a un début, un milieu et une fin.

Pour revenir aux tribulations d’Alice au pays des merveilles que les mathématiques entraînent dans le terrier du lapin, Lewis Carroll manifeste une obsession notoire pour le chiffre 42, présent dans ses écrits, en surface et en profondeur. Rien n’échappe au regard aiguisé de l’autrice. La Reine Blanche déclare avoir exactement 101 ans, 5 mois, 1 jour, ce qui fait 37 044 jours, calcule Sarah Hart, qui suppose que la Reine Rouge (du même échiquier) a le même âge, pour une somme de 74 088, autrement dit, 42 × 42 × 42.

Nul n’a trouvé d’explication convaincante qui nous dirait pourquoi Lewis Carrol avait une certaine prédilection pour le chiffre 42. D’ailleurs, peut-être que l’auteur anglais Douglas Adams a voulu lui rendre hommage dans Le Guide du voyageur galactique, où l’on apprend que 42 est la réponse à la grande question sur la vie, l’Univers et le reste. Pour l’autrice, une passionnée des nombres qui sait les faire parler, miser sur le 42, c’est une affaire de goût, tout simplement.

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