Des masques jetés flottent dans une flaque d'eau sale.
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Des masques à la tonne : a-t-on pensé aux déchets?

Certaines entreprises ont pris sur elles de fabriquer des masques réutilisables et performants, pour donner un coup de pouce à l’environnement.

Des masques jetés flottent dans une flaque d'eau sale.En 2020, on utilisait 129 milliards de masques par mois. (Photo iStock)

Qui dit nettoyage des plages et des berges dit bouteilles d’eau, sacs de plastique, contenants jetables. Mais il faut savoir que les masques comptent à présent parmi les déchets omniprésents au bord de l’eau. Fait aussi désolant que prévisible, les masques, si utiles pour se prémunir contre la COVID-19, s’amoncellent ici et là dans l’environnement, sur tous les continents.

Les quantités en jeu? En 2020, on utilisait 129 milliards de masques par mois, lit-on dans un article corédigé par Tony Walker, professeur agrégé à l’école des ressources et des études environnementales de l’Université Dalhousie à Halifax. « Que des masques prennent le chemin des ordures, c’est une chose, mais certains jonchent les stationnements et les abords des routes. On les retrouve partout, jusque dans les fossés et les cours d’eau. »

On sait aussi que des milliers d’animaux s’empêtrent dans les attaches des masques ou en ont ingéré un, et des études récentes montrent que la plupart des couvre-visages se décomposent sous forme de microplastiques. « Comme tous les articles en plastique à usage unique, au lieu de disparaître, ils se fragmentent et se désagrègent. »

On le comprend sans peine, nul n’est prêt à sacrifier sa santé pour protéger l’environnement, surtout à l’ère où émergent de nouveaux variants, qui ont amené de nombreux Canadiens à passer des masques en tissu aux masques N95 jetables.

La levée du port obligatoire du masque fera sans doute chuter la demande, qui, évidemment, ne fléchira pas du côté des soins de santé. Même pour le commun des mortels, le port du masque en public ne sera plus vécu comme une bizarrerie. Les mentalités ont évolué, depuis deux ans, fait valoir David Fisman, professeur d’épidémiologie à l’école de santé publique Dalla-Lana de l’Université de Toronto. « Le port du masque se généralisera en Amérique du Nord, comme en Asie, où le virage a été pris il y a des années. » Le problème des déchets ne disparaîtra pas non plus. « On jette une quantité industrielle de masques, c’est un nouvel enjeu. »

Davinder Valeri, CPA, directrice, Stratégie, risques et gestion de la performance, à CPA Canada, s’attend à une prise de conscience, à l’heure où les questions environnementales sont au cœur des préoccupations. « Le masque nous protège, mais c’est à nous de protéger la planète. »

Un tournant se prépare, comme en témoigne la création d’une nouvelle gamme de N95 réutilisables.

« Je crois qu’une majorité d’utilisateurs s’engagent dans cette voie », de souligner Barry Hunt, président de l’association des fabricants d’équipement de protection individuelle du Canada, la CAPPEM.

« Il faut remplacer les articles à usage unique, comme les tasses, les sacs, les masques, par des équivalents réutilisables. »

Son optimisme n’a rien de surprenant, puisqu’il est aussi chef de la direction de Prescientx, entreprise de Cambridge, en Ontario, qui a commencé à produire deux modèles de N95 réutilisables. Appelé Breathe, le premier, composé d’un plastique qui rappelle le silicone, résiste au moins douze mois et s’accompagne d’un filtre réutilisable à changer tous les six mois. Une nouvelle arme à adopter dans le milieu de la santé, où de strictes normes de protection règnent. Quant au second, le NanoMask, c’est un masque en plastique réutilisable pour usage occasionnel, à garder six mois. Le joint d’étanchéité des deux modèles, en matériau élastique, laisse échapper moins d’air, pour l’utilisateur moyen, que les N95 jetables ordinaires à bordures de papier. À noter que d’autres fabricants travaillent sur des N95 durables, dont Precision ADM, à Winnipeg, et Trebor Rx, à Collingwood, en Ontario.

Choisir ces nouveaux modèles, c’est « réduire la consommation de ressources, à raison d’environ 90 % », explique Barry Hunt, qui évoque aussi, pour l’utilisateur, des économies du même ordre.

Prescientx offre déjà ses produits en ligne aux particuliers. Le NanoMask coûte 20 $, et le Breathe, 50 $. Cela dit, l’entreprise lorgne un autre marché, bien plus porteur, celui de la santé, où sont consommés un nombre phénoménal de masques. Ses produits sont à l’essai dans quelques hôpitaux. Le développement a été financé en partie par le programme NGen, fruit d’un appel à l’action centré sur l’innovation dans la lutte contre la COVID-19 qu’avait lancé le gouvernement fédéral en mars 2020.

Un bémol : les N95 réutilisables sont encore et toujours en plastique, un problème qui perdure, même si on en jette beaucoup moins. Le spécialiste TerraCycle recycle les masques jetables, mais si peu. Pour corriger le tir, Tony Walker souhaite que les autorités facilitent l’adoption des masques durables, comme ceux de Prescientx, par l’instauration de programmes de recyclage spécialisés, entre autres mesures. Le choix du masque réutilisable dans sa forme actuelle, surtout les modèles à filtre insérable, débouche sur une réduction du volume de déchets, confirme Tony Walker. « Il faut remplacer les articles à usage unique, comme les tasses, les sacs, les masques, par des équivalents réutilisables. »

Il espère que cette action s’inscrira dans une démarche de pérennité. « Notre santé doit primer, bien entendu, mais il y a moyen de barrer la route aux virus sans nuire à l’environnement, dont nous dépendons aussi. C’est en conjuguant santé et environnement que nous cheminerons au mieux. »

EFFETS SECONDAIRES

Les masques sont devenus la nouvelle norme pendant la pandémie, tout comme l’épicerie en ligne et le code QR se sont répandus et semblent être là pour de bon.