Symbole d’oiseau Twitter brisé en morceaux
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Fini, les gazouillis? Et après, à qui le tour?

Une page se tourne. Que nous réserve le nouveau chapitre de l’histoire d’Internet?

Symbole d’oiseau Twitter brisé en morceauxIl règne autour de Twitter un chaos emblématique de l’état actuel des médias sociaux. (Illustration Adam Cholewa)

Cet été, plusieurs ont eu la surprise de voir le petit oiseau bleu, emblème du géant Twitter, être remplacé, après plus de 10 ans, par un énigmatique « X » blanc sur fond noir. Il n’en fallait pas plus pour faire dégringoler l’appli dans les palmarès des téléchargements. Et ce n’était là que le dernier coup de théâtre dans la twittosphère. Depuis son acquisition par Elon Musk en 2022, la plateforme accumule les déboires : poursuites, licenciements médiatisés, controverses autour de la réhabilitation de désinformateurs et de trolls.

Il règne autour de Twitter un chaos emblématique de l’état actuel des médias sociaux. Autrefois présentés comme des espaces où échanger, tisser des liens et fraterniser, Twitter, Facebook et Instagram se résument désormais à une enfilade de vidéos republiées, de messages d’autopromotion et de publicités. Les trolls et autres importuns se multiplient, et le harcèlement peut se transposer dans le monde réel… non sans risquer de culminer dans un dénouement funeste.

En 2019, un politicien allemand prônant l’ouverture des frontières aux réfugiés a été traqué dans les médias sociaux avant d’être assassiné par un sympathisant néonazi devant son domicile. Un exemple certes extrême, mais qui n’en est pas moins représentatif de la transformation des médias sociaux en terrains fertiles pour, justement, l’extrémisme, les discours haineux et la désinformation. Autre fléau : les publicités. Parce qu’il faut bien l’avouer, au côté utile ou divertissant de ces plateformes font contrepoids des visées foncièrement lucratives.

Et quoi encore? Les cryptomonnaies.

Vous avez bien lu. On ne parle pas ici du système financier volatil fondé sur des jetons numériques, mais bien du principe de la décentralisation et des technologies connexes.

« Depuis les débuts d’Internet, on oscille essentiellement entre centralisation et décentralisation », note Dylan Reibling, qui travaille sur un documentaire intitulé The End of The Internet. « Le Web est vu comme un Far West décentralisé où la communication peut se faire sans hiérarchie, mais c’est une idée théorique basée sur ce qui avait cours à l’origine. Dans les faits, notre navigation au quotidien est hautement contrôlée et centralisée par les Meta, Google et Twitter de ce monde. »

Le cinéaste explique que la structure d’Internet favorise la mainmise des grandes sociétés sur nos informations et identités en ligne. Rappelons-nous qu’au lancement de Threads, Meta a simplement transféré ses masses de données utilisateur (donc nos identités numériques) d’Instagram vers la nouvelle appli, sans même nous consulter.

« Cette nouvelle vague de décentralisation s’inspire du Bitcoin et des chaînes de blocs, l’idée étant de leur trouver de nouveaux usages. » L’un de ces usages, c’est la formation de communautés décentralisées. « On préférera peut-être à Twitter, où tout le monde communique avec tout le monde, des espaces virtuels intimes, des sortes de petites forêts sombres. »

Cette théorie de la forêt sombre nous vient de Yancey Strickler, cofondateur de Kickstarter, qui décrit ces communautés émergentes comme des espaces propices à la libre discussion, où il n’y a aucun mécanisme d’indexation, d’optimisation et de ludification. Il y régnerait une culture semblable à ce qu’on retrouve dans le monde physique.

Les formes varient : infolettres, balados, canaux Slack, babillards sur invitation, groupes Telegram, etc. « Quand je pense aux médias sociaux de demain, je pense à Discord, explique Dylan Reibling. L’internaute peut y laisser s’exprimer les différentes facettes de sa personnalité, fréquenter de petits espaces comme d’autres ont leur clavardage de groupe. On peut alterner entre les espaces pour parler de sports, de sciences, ainsi de suite. »

Le documentariste voit des avantages et des inconvénients au fait de délaisser les plateformes comme Twitter au profit de ces espaces circonscrits : « Je crois que moins il y a de gens, plus il est facile de bâtir une communauté solide. » Il cite à cet égard le serveur Discord privé Friends With Benefits (FWB), où les initiés étudient soigneusement les candidatures.

« Ce modèle peut servir aux chapitres Black Lives Matter, par exemple. On peut former un groupe soudé autour de valeurs communes quand on se sent à l’abri des regards indiscrets, que ce soit les trolls, les forces de l’ordre ou les agents du renseignement. »

Mais il y a un hic. Ne devient pas membre de FWB qui veut : pour faire partie de cette coopérative numérique, on doit payer 75 unités de sa cryptomonnaie, soit une somme qui, en 2022, a déjà atteint pas moins de 3 400 $ US. On risque également d’assister à la naissance de foyers de racisme et de misogynie. Vive la centralisation, à bas la décentralisation? Dylan Reibling se refuse à pareille simplification.

« On tend naturellement vers la centralisation, qui génère des économies d’échelle et s’avère donc très payante. Les plateformes décentralisées sont souvent l’œuvre de gens réellement investis dans des projets intéressants, mais les bénéfices potentiels n’atteindront jamais ceux d’un monopole. C’est un mouvement qui s’oppose à la logique d’expansion, de monopolisme et de rentabilité. Opter pour la décentralisation, c’est ramer à contre-courant. »

Et c’est sans doute, aussi, renoncer à la gratuité.

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