Changer la donne
Rose Marcario a rejoint Patagonia en 2008 comme chef des finances avant de devenir chef de l’exploitation, puis chef de la direction. (Brandon Harmon)
Élevée par une mère monoparentale dans les années 1970, Rose Marcario a vécu les difficultés qu’éprouve toute famille à revenu modique. Pas étonnant alors qu’elle se soit tournée vers la finance pour assurer son avenir. Faire carrière dans les affaires, c’était « une question de survie », dit-elle. Elle a su tirer des leçons de son parcours et y adjoindre son vif désir d’apporter des retombées sociales et environnementales. En 2008, Rose Marcario entame son ascension vers les sommets de Patagonia, chef de file des vêtements de plein air. Déterminée, elle y gravit les échelons. Elle y sera successivement chef des finances, chef de l’exploitation et chef de la direction.
Un cheminement qui l’amènera à s’engager davantage en faveur du virage vert. Elle quitte l’entreprise en 2020 pour s’associer aux jeunes pousses Meati, Rivian, SPUN et ReGen Ventures, toutes fondées par des leaders soucieux, tout comme elle, de protéger la planète. Consciente qu’il reste fort à faire, elle affiche un bel optimisme : « Le capitalisme doit évoluer et mettre l’environnement ainsi que l’humanité à l’ordre du jour, pour que la Terre demeure habitable. »
Rose Marcario est persuadée que la responsabilité et la durabilité seront les maîtres mots des marques qui triompheront demain. (Peter Bohler)
Pourquoi avoir choisi Patagonia? Quand vous étiez au gouvernail, l’entreprise s’est-elle réorientée?
Il s’agissait au départ d’une chaîne de vente au détail basée sur un modèle classique, il est vrai, mais qui, par ailleurs, s’était vite placée à l’avant-garde. Par son intérêt pour l’écologie, par sa culture, ses prises de position et son modèle de philanthropie, l’entreprise sortait du lot. Plus j’apprenais à connaître Patagonia, plus j’appréciais sa vision humaniste des choses, et plus je m’y reconnaissais.
J’ai également eu le privilège de travailler avec son fondateur, Yvon Chouinard. C’est lui qui m’a appris à intégrer la philanthropie au modèle d’affaires, ce que nombre d’entreprises, aujourd’hui, ont aussi résolu de faire. Nous avons pris fait et cause pour le mouvement des entreprises à vocation sociale, les « Benefit Corporations », mouvement axé sur le recours aux forces vives des entrepreneurs pour dégager des retombées positives.
Comme PDG, mes buts étaient clairs. Je souhaitais faire progresser Patagonia et choisir des créneaux d’activité porteurs d’avenir. En outre, je voulais encadrer et former la génération montante, exercer un leadership dynamique et bienveillant, bref, assurer la relève en prévision du jour où je quitterais mes fonctions.
Je pense avoir contribué à élargir la vision de Patagonia et à accroître son engagement social, grâce à mon savoir-faire. En plein essor, présente à l’international, l’entreprise conjugue rentabilité et diversification, dans le respect de ses convictions. Sous ma direction, le chiffre d’affaires a grimpé et dépassé 1 G$, notamment par le large déploiement des valeurs de la marque, jugées incontournables.
Vous avez évolué dans le milieu du capital-risque et des TI. Ce parcours vient-il éclairer votre travail sur les thèmes de la durabilité?
Les projets de développement durable doivent s’accompagner d’un financement fortement axé sur la transition vers un avenir viable. Au-delà de la durabilité, à nous de viser la régénération et la restauration de notre belle planète, terriblement abîmée par nos erreurs. Il faudra innover pour dénouer la crise climatique, établir des chaînes d’approvisionnement où responsabilité et résilience vont de pair, bref, nous adapter à un monde en continuelle évolution.
Les ressources qui exigent des changements systémiques majeurs – énergie, alimentation, systèmes de production, santé – peuvent toutes être repensées, c’est-à-dire renouvelées, restaurées, régénérées grâce à l’innovation et à la technologie. Une technologie nouvelle peut également se traduire par de nouveaux comportements, dans le respect de la nature, dans une optique d’altruisme aussi. La technologie m’apparaît donc comme un levier primordial pour réussir la mutation qui nous mènera à abandonner les systèmes destructeurs qui mettent en péril toute vie.
« Pour l’entreprise, l’enjeu sera de bâtir une culture vigoureuse, assise d’une vocation, au-delà des bénéfices. »
Quels obstacles notables avez-vous rencontrés dans votre parcours vers les sommets?
Le fameux boys’ club, vous connaissez? Quand j’ai monté les marches de la hiérarchie, j’étais le plus souvent la seule femme parmi ces messieurs de la direction. Impossible de me frayer un chemin pour accéder à leurs réseaux, où se passent tant de choses. Eh oui, les hommes s’arrangent entre eux. Peu importe, j’ai appris à résister, à m’adapter, à surmonter les obstacles. Aux échelons supérieurs, l’équité salariale était au nombre des questions à négocier fermement.
J’ajouterai que me présenter comme lesbienne à la fin des années 1990, aux États-Unis, m’a demandé du cran. Et certains compromis. Chef des finances d’une société cotée en Bourse, je craignais pour ma carrière, mais je n’en pouvais plus de me cacher. Je me réjouis des victoires d’aujourd’hui, mais il reste tant à faire!
Citée au palmarès Fast Company des 50 personnalités « queer », vous êtes l’une des figures marquantes de la représentation LGBTQ. Quels obstacles freinent encore les membres de la communauté dans leurs progrès à la direction?
La représentation de soi est essentielle. Elle inspire, elle rassure, elle ouvre les esprits comme les cœurs. Les obstacles demeurent, surtout la montée de forces rétrogrades qui voudraient nous éliminer et gommer les avancées des 50 dernières années. On vote de nouvelles lois répressives aux États-Unis, qui en comptent déjà trop. Comment s’épanouir, comment respirer à son aise, quand on travaille pour un employeur passéiste, qu’on vit dans un milieu intolérant? Les sphères personnelles et professionnelles se chevauchent, et pour se donner à fond, l’essentiel, c’est de pouvoir être soi-même. Les transformations sociales qui s’annoncent exigent que chacun, chacune puisse se réaliser.
Il est primordial pour les membres de la communauté LGBTQ de se reconnaître dans le milieu des affaires, des arts et de la culture. C’est une des raisons qui m’ont amenée à défendre un leadership ouvert et fier, pour servir de modèle à quiconque décide de dire tout haut sa vérité. Je veux montrer qu’il est possible de trouver un employeur compréhensif et bienveillant, qui vous donnera les moyens de monter, pour un jour, qui sait, accéder au rang de chef de la direction.
Meati Foods, Spun, Rivian et ReGen Ventures, vous intervenez dans des secteurs multiples. Qu’est-ce qui vous a amenée à de tels choix?
Après Patagonia, je souhaitais m’investir à fond dans le grand virage que notre société doit prendre. Meati, qui s’est donné pour mission de nourrir la planète, élabore des protéines végétales à partir d’une ressource renouvelable, le mycélium. À l’avant-garde de la mobilité durable propre, grâce aux véhicules électriques, Rivian, elle, s’est formellement portée garante de l’environnement en instituant, dès son entrée en Bourse, un fonds pour la nature et la biodiversité. De son côté, SPUN est une ONG créée par une remarquable biologiste de l’évolution, Toby Kiers. Dans un effort pour régénérer la planète, elle mobilise les scientifiques pour cartographier les réseaux de mycorhizes, et publier les résultats des recherches. Enfin, ReGen, fonds de capital-risque où j’interviens, se destine aux entreprises en démarrage axées sur l’agriculture régénératrice, la résilience climatique, la sécurité alimentaire, les produits alimentaires à base végétale et les nouveaux systèmes de production issus des ressources régénératrices. Dans tous les cas de figure, c’est l’avenir qui nous intéresse.
Vers quel but convergent ces ambitieux objectifs environnementaux? Quel horizon envisager?
En fin de compte, à nous de viser le déploiement des énergies renouvelables, entre autres. Je pense à la distribution et à la gestion de l’électricité. N’oublions pas la mobilité, l’agriculture régénératrice… Qualité de l’air et de l’eau, sols fertiles, communautés en santé, biodiversité abondante sont les atouts en vue.
2030 sera une année charnière. Plafonner la hausse de la température à 2 °C, voire 1,5 °C serait déjà un immense pas en avant. Faute de quoi nous condamnons nos enfants et petits-enfants à un avenir apocalyptique : événements météorologiques extrêmes, flux migratoires intenses, effondrement des écosystèmes, précarité alimentaire, raréfaction des ressources.
Les outils, nous les avons. Nous disposons des capitaux nécessaires et d’une main-d’œuvre motivée. Nous connaissons pratiquement toutes les technologies de réduction des émissions pour avancer vers l’objectif ultime. Hélas, les administrations publiques financent encore souvent le statu quo, quand elles ne minent pas carrément tout effort d’innovation.
Leadership, synergie et vision, voilà les trois piliers.
Pour les entreprises, comment concilier rentabilité et développement durable?
C’est mal poser la question, si je puis me permettre. J’en suis persuadée, la responsabilité et la durabilité seront les maîtres mots des marques qui triompheront demain. La clientèle évolue. Elle s’éloigne du consumérisme, en quête de fournisseurs qui veulent alléger et non alourdir le fardeau que porte la Terre.
Pour l’entreprise, l’enjeu sera de bâtir une culture vigoureuse, assise d’une vocation, au-delà des bénéfices. La majorité des gestes forts qui ont fait la réputation de Patagonia n’ont pas entraîné de coûts rédhibitoires. La hardiesse de nos choix a motivé nos équipes, amenées à dénicher des solutions innovantes aux défis inhérents à nos orientations, de concert avec les fournisseurs. Et notre clientèle nous a suivis. Pourquoi? Parce qu’elle nous savait transparents, capables d’exposer autant nos revers que nos victoires, fin prêts à préparer la pérennité de demain.
FAIRE LA DIFFÉRENCE
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