Élaborer une stratégie numérique pour votre organisation
La série « Maîtrise des données » traite du virage numérique amorcé par l’économie canadienne, de son importance, des problèmes de gouvernance qui en découlent et des solutions possibles. Elle s’intéresse aussi au rôle que peuvent jouer les CPA pour guider leur organisation au fil de cette transition. Le présent article fait partie de cette série.
LISEZ CET ARTICLE POUR EN SAVOIR PLUS SUR :
- ce qu’est une stratégie numérique
- les raisons qui font qu’une stratégie numérique est nécessaire
- les objectifs stratégiques du virage numérique
- les facteurs à prendre en compte dans l’élaboration d’une stratégie numérique
- le rôle des CPA en tant qu’agents de changement
Qu’est-ce qu’une stratégie numérique?
Le virage numérique est une initiative continue à l’échelle de l’entreprise qui consiste à recourir à l’intelligence artificielle (IA) et aux autres technologies numériques pour obtenir des résultats. La multiplication des technologies numériques au cours des 10 dernières années a incité les organisations de tous les secteurs à entreprendre leur transformation numérique.
Une stratégie numérique est efficace lorsque des données et des technologies numériques fiables sont accessibles en temps réel pour aider les dirigeants et les experts en science des données d’une organisation à créer de la valeur. Une stratégie numérique précise les priorités, les livrables, les résultats et les échéanciers associés au virage numérique de votre organisation.
Pourquoi une stratégie numérique est-elle nécessaire?
Dans leur livre avant-gardiste intitulé The AI Ladder, Robert Thomas et Paul Zikopoulos, hauts dirigeants chez IBM, ont publié leurs réflexions sur plus de 30 000 missions liées à l’IA réalisées partout dans le monde. Ils y affirment que pour réussir, les organisations doivent élaborer une approche réfléchie et bien structurée à l’égard de l’IA. Cette réflexion vaut aussi pour l’ensemble des efforts de transformation numérique de votre organisation.
Une stratégie clairement définie et réaliste envoie le bon signal à toutes les divisions d’une organisation, à sa chaîne d’approvisionnement et à ses clients, ce qui permet d’harmoniser la compréhension des objectifs des initiatives numériques. L’organisation peut alors créer des chaînes de valeur des données (processus de transformation des données brutes en un élément de valeur) dignes de confiance qui sont essentielles aux initiatives numériques. Une telle stratégie permet en outre de fixer les attentes concernant des enjeux comme l’accumulation de grandes quantités de données, la complexité des données, la rareté des talents et le manque de confiance dans les systèmes d’IA.
Jumelée à une solide politique en matière de données décrivant les règles de gestion et de gouvernance des données, une stratégie numérique permet de faire concorder les efforts déployés à l’échelle de l’organisation.
Objectifs stratégiques du virage numérique
Les projets de transformation numérique à l’échelle des organisations et des économies ont donné les résultats suivants : gains d’efficience, capacités décisionnelles et prédictives améliorées, adaptation en temps réel et création de nouveaux produits et services numériques.
Voici quelques exemples d’objectifs pour alimenter vos discussions avec vos pairs sur les avantages potentiels de la création d’une stratégie numérique :
Service à la clientèle
- accroissement du taux de fidélisation des clients grâce à l’automatisation des centres d’appel au moyen d’assistants conversationnels capables de traiter les appels de routine
- accélération du processus de traitement des sinistres au moyen d’algorithmes formés pour analyser les images de véhicules accidentés
- formulation de recommandations d’achat aux clients en ligne
Exploitation
- amélioration des capacités prévisionnelles grâce à l’accès aux données en temps réel
- automatisation des processus manuels de planification et d’analyse financières
- optimisation des prévisions établies et de l’analyse des scénarios par l’utilisation d’outils de planification axés sur l’IA préconstruite accédant en temps réel aux données sur les comportements des clients
- utilisation d’outils de planification axés sur l’IA préconstruite pour la dotation en personnel et l’analyse de la rémunération, la gestion de la demande et des stocks, la rentabilité des clients et la planification des promotions et des ventes
Risques et conformité
- conseils en temps réel sur la conformité à la réglementation bancaire et fiscale au moyen d’outils d’IA formés pour faire des recommandations
- détection des fraudes grâce au suivi des sources de données, comme les données sur les clients, les données sur les transactions en temps réel et la reconnaissance des dispositifs de traitement des transactions
- détection et exclusion des pourriels et des messages inappropriés sur les médias sociaux
- gestion des chaînes d’approvisionnement et des stocks
Exploitation des TI
- surveillance des journaux et détection des intrusions au moyen d’applications préconstruites
- prédiction ou détection de la défaillance des composantes
- prédiction des dépassements de capacité
Facteurs à prendre en compte dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie numérique
Voici des facteurs à prendre en considération lors de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une stratégie numérique :
Obtenir l’adhésion de la haute direction
Il va sans dire qu’une approche systématique est nécessaire à l’intégration du virage numérique aux plans stratégiques, à l’établissement des politiques adéquates et à la conception d’une architecture de l’information appropriée à l’échelle de l’organisation. Le défi? Plus de 80 % des chefs d’entreprise ne comprennent pas les données et l’infrastructure requises pour réussir l’adoption de technologies axées sur l’IA, selon une étude de la MIT Sloan.
La première étape devrait donc consister à renseigner la haute direction et le conseil d’administration sur le sujet pour obtenir leur adhésion. Nombre d’organisations ont déjà entrepris des projets et des initiatives visant la transformation numérique. Toutefois, la volonté nécessaire fait défaut pour que le virage numérique devienne un objectif global de l’organisation.
Établir une politique de gestion des données
Logiquement, pour l’organisation, la deuxième étape devrait être d’élaborer et de mettre en œuvre une politique de gestion des données. Une telle politique décrit les règles et les responsabilités concernant :
- la propriété et l’étiquetage des données
- l’accès aux données et le partage des données
- le lieu de conservation des données
- le cadre redditionnel global
- Il s’agit des assises dont votre organisation a besoin pour concevoir sa stratégie numérique.
Établir un budget
De nombreux spécialistes recommandent de traiter les projets d’IA comme des charges d’exploitation selon le principe que la plupart des organisations décideront de procéder à la formation, à la mise à l’essai et à l’exécution des algorithmes dans le nuage. Ainsi, l’organisation ne paie que pour la puissance informatique dont elle a besoin au moment où elle en a besoin.
Les équipes d’IA et d’apprentissage machine sont généralement petites et utilisent souvent des logiciels libres pour la conception de solutions. Cela n’est toutefois pas vrai pour tous les secteurs. Par exemple, les organisations menant des activités de fabrication ou d’extraction de ressources doivent parfois disposer d’un budget d’investissement pour acheter des technologies numériques comme des capteurs, des robots, des dispositifs d’interface personne-machine ou du matériel de fabrication additive.
Chercher à obtenir des résultats rapides
Une stratégie numérique solide ne comprend souvent, au départ, que quelques petits projets dont le nombre augmente ensuite à mesure que les projets s’étendent à toute l’organisation. Idéalement, chaque membre de votre équipe de haute direction doit être prêt à mettre l’IA à l’essai pour la résolution de problèmes et l’amélioration de la performance de l’unité qu’il dirige. De cette manière, le virage numérique peut s’implanter dans une culture d’itération et d’expérimentation où de petits groupes agiles travaillent à de courts projets d’une durée de trois à cinq semaines à la fois.
Au début, l’organisation doit s’attendre à ce que de nombreux projets se soldent par un échec. Elle doit se mettre dans un état d’esprit où l’apprentissage se fait par suite d’échecs rapides, mais sans risque. Cela dit, les projets de transformation numérique couronnés de succès produiront généralement des résultats remarquables pour votre organisation.
S’attaquer en priorité aux problèmes que les dirigeants souhaitent résoudre
Vous devez cerner les problèmes dont la résolution servirait les objectifs des unités d’exploitation et qui peuvent être résolus à l’aide d’une meilleure analyse des données. Une organisation pourrait, par exemple, simplifier la tarification de ses produits et services, prévoir la valeur des actifs sur leur durée de vie ou automatiser le service à la clientèle de première ligne. Dans votre choix de projets, vous devez inclure différentes unités d’exploitation, des experts du domaine et des experts en science des données pour vous assurer que l’IA et les technologies numériques peuvent mener à une solution. Vous devez en outre établir des indicateurs clairs pour évaluer le succès des projets.
Établir un inventaire initial de sources de données
Une fois qu’une liste de petits projets a été dressée, vous devez collaborer avec les responsables des branches d’activité pour déterminer les sources de données à inclure dans l’inventaire initial. Cet inventaire doit comprendre des métadonnées pour différentes sources ainsi que des sources de données situées hors de l’organisation, si les ensembles de données ne sont pas suffisamment volumineux.
Évidemment, les données doivent être en format numérique, mais des sources de données sur des supports plus anciens comme les documents imprimés, les photographies et les radiographies peuvent maintenant être numérisées, transformées en objets numériques et marquées d’un identificateur unique.
Éviter de réinventer les algorithmes
L’IA est la science qui consiste à enseigner aux programmes et aux machines à exécuter des tâches qui exigent normalement l’intelligence humaine. Cet enseignement fait appel à des techniques permettant aux logiciels d’apprendre à partir des données fournies et d’agir selon ce qu’ils ont appris. Vous pourrez mieux profiter de ces techniques si vous comprenez ce qui suit :
- Dans la plupart des cas, la transformation numérique des activités de votre organisation n’exigera pas d’investissement massif en R et D. Les sociétés d’IA et les fournisseurs de services infonuagiques de grande taille pourront vous fournir les services requis.
- Des projets en code source libre permettant de générer des algorithmes de pointe sont accessibles gratuitement. Des dizaines de milliers d’algorithmes ont déjà été développés et testés dans des secteurs comme la finance, la comptabilité, la gestion des stocks, la logistique et les interactions avec la clientèle.
- L’investissement le plus important concerne les données, car il faudra trouver, décrire et coter des ensembles de données dignes de confiance pouvant servir à former des algorithmes qui répondent aux besoins de votre organisation.
- En ce qui a trait à la formation et à la mise à l’essai des algorithmes, votre organisation aura peut-être besoin de puissance informatique additionnelle. Il est possible de louer cette puissance auprès de fournisseurs de services infonuagiques, même pour de très courtes périodes.
Former des équipes hybrides
Pour chaque projet de votre liste, formez de petites équipes composées d’experts du domaine, d’experts en science des données et de spécialistes des solutions informatiques. Les experts du domaine sont des membres importants de l’équipe, car ils possèdent l’expérience requise pour :
- décrire les principaux problèmes à résoudre
- cerner les tendances et les valeurs aberrantes dans les données sur la base d’expériences passées
- déterminer si les algorithmes génèrent les renseignements voulus
- désigner les sources de données appropriées à utiliser et déterminer les faiblesses dans les ensembles de données
Selon des observations empiriques, les experts en science des données estiment qu’ils passent environ 80 % de leur temps à chercher les données, à y accéder, à les organiser et à les étiqueter, plutôt que de se consacrer à la tâche créatrice de valeur pour laquelle ils sont formés, c’est-à-dire développer et former des algorithmes. La mise sur pied d’une équipe hybride solide est le meilleur moyen de réaliser de petits projets en une succession rapide.
Envisager une méthode souple pour stocker les données et y accéder
La plupart des organisations gèrent leurs données de manière cloisonnée. Auparavant, la mise en silos des données était souvent intentionnelle, car elle permettait de gérer l’accès aux données et de contrôler les flux d’informations. Dans une organisation qui cherche à procéder à la transformation numérique de ses activités, les experts du domaine et les experts en science des données doivent disposer d’une grande quantité de données fiables pour choisir, adapter, former et déployer l’algorithme qui répond aux besoins de l’entreprise. L’organisation doit souvent modifier de manière fondamentale sa manière de gérer ses données.
La plupart des organisations utilisent d’anciens systèmes qui contiennent les bases et ensembles de données essentiels à leur mission. Il n’est généralement pas avisé de bouleverser les anciens systèmes pour mettre en œuvre une stratégie numérique. Il est préférable d’envisager l’approche suivante :
- Explorer des solutions existantes pour accéder aux ensembles de données des anciens systèmes au moyen de tableaux de bord de données.
- Pour les nouvelles sources de données, comme les données diffusées par les flux vidéo, les clics Web ou les objets connectés à Internet, envisager de recourir à des services infonuagiques, plutôt que d’investir dans de nouveaux serveurs. Les solutions infonuagiques hybrides font l’affaire pour la plupart des organisations.
- Pour ce qui est de l’accès aux données et du stockage des données, définir et mettre en place des droits d’accès appropriés à chaque source pour éviter les fuites et les utilisations non autorisées.
Lorsque le nombre de sources de données est supérieur à ce que nous pouvez gérer manuellement, l’achat d’un logiciel de gouvernance des données commercial doit être envisagé. Ce type de logiciel peut vous aider à gérer les accès, à étiqueter les données en fonction des politiques et à assurer l’auditabilité et la traçabilité des sources de données sous-jacentes. Il peut aussi vous informer de la qualité des données en temps réel au moyen de tableaux de bord.
Être prêt à justifier les résultats
Dans le monde de l’IA, il est essentiel de pouvoir expliquer les résultats obtenus. Aucune équipe de conformité ou de gestion des risques n’acceptera les résultats d’un algorithme s’il n’est pas possible d’expliquer comment ils sont obtenus ou de les reproduire par une analyse humaine réalisée sur le même ensemble de données. De grandes organisations ont essayé des algorithmes d’apprentissage générant des analyses qui étaient en apparence brillantes, mais qui ne pouvaient être ni expliquées ni reproduites par des humains. En fin de compte, il n’a pas été possible d’utiliser ces algorithmes dans un contexte opérationnel.
L’explicabilité pose des difficultés dont il faut tenir compte. Il s’agit même d’une exigence du Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne. Le chef de la direction et les administrateurs demanderont des preuves que les solutions d’IA sont exactes, justes et impartiales. L’explicabilité requiert une étroite collaboration entre les experts en science des données, les experts du domaine et les équipes de conformité et de gestion des risques.
Se tenir prêt à suivre le mouvement
Pour rester prospères, les entreprises doivent trouver le moyen de passer d’un état où la plupart des processus sont gérés par des humains et soutenus par la technologie à un nouvel état où ceux-ci seront gérés par des technologies numériques et l’IA, et supervisés par des humains.
Une stratégie numérique facilitera ce passage en permettant aux organisations d’utiliser de manière optimale leurs données actuelles et de se tenir prêtes pour les sources de données à venir :
- Communication globale : Dans une mesure croissante, la communication devient plus visuelle et moins textuelle. Elle progresse en effet des courriels aux plateformes d’expression visuelle (combinant de façon transparente les mots, les images, la vidéo, le son et les graphiques) ainsi que de la souris (défilement et clics) au pavé tactile (glissement et mouvements). Bientôt, notre principale interaction avec la technologie ne se fera pas par l’intermédiaire d’un clavier, mais plutôt à l’aide de commandes vocales. Dans les usines, des dispositifs de réalité virtuelle serviront à relier les ingénieurs à leur jumeau numérique (double numérique d’une entité physique vivante ou non). Les gestes, la voix et les mouvements des yeux convertis en format numérique produiront une grande quantité de données.
- Chaîne de blocs : Cette technologie des registres distribués servant à la gestion des cryptomonnaies est également employée dans des domaines comme les ententes de partage des revenus, les chaînes d’approvisionnement alimentaire, le paiement de remises, le règlement de transactions financières, l’échange de documents et les dossiers médicaux mobiles.
- Agents conversationnels et assistants virtuels : Des agents conversationnels et des assistants virtuels seront exploités dans un nombre grandissant d’interactions entreprise-consommateur, du marketing à la fidélisation de la clientèle. Selon certaines estimations, des robots propulsés par l’IA seront responsables de 95 % des interactions de service à la clientèle d’ici 2025, ce qui générera de grandes quantités de données pour les entreprises.
- Des assistants numériques, comme les appareils HomePod et Alexa, exploitent déjà l’IA pour exécuter des fonctions de base pour le consommateur.
- Des robots d’assistance sociale capables d’effectuer des tâches ménagères, de donner certains soins médicaux et éventuellement d’apporter un soutien émotif font leur apparition.
- Des robots sont aussi utilisés dans une multitude de secteurs, comme l’éducation, la santé et les affaires, et d’activités, telles que le maintien de l’ordre, les opérations militaires et les interventions de secours en cas de catastrophe.
- Dispositifs portables : De plus en plus associées à la 5G et à la 6G, qu’on nous annonce, les données personnalisées générées par des capteurs portables, des dispositifs portatifs et des appareils spécialisés permettront d’obtenir un niveau de détail inégalé sur le fonctionnement et les maladies du corps humain. Ces données seront aussi recueillies au moyen d’applications et de services gérés par des organisations de secteurs variés comme la santé, la prévention des maladies, les technologies axées sur le bien-être, les vêtements et les articles de sport.
Le rôle des CPA en tant qu’agents de changement
Les CPA sont bien placés pour amorcer des discussions indispensables sur la nécessité de l’adoption d’une stratégie numérique au sein de leur organisation et de celle de leurs clients. Ils ont une compréhension approfondie de leurs activités, la capacité d’élaborer des analyses de rentabilité plausibles et le savoir-faire pour gérer des projets qui procurent un rendement sur l’investissement. Ils sont dignes de confiance, connaissent bien les processus et comprennent les flux d’informations qui circulent au sein d’une organisation. Certains CPA sont également des spécialistes des TI qui possèdent une expérience pratique des technologies modernes. Dans l’ensemble, en raison de leur rôle de premier plan au sein des petites et moyennes entreprises et d’autres organisations, les CPA sont mieux placés que quiconque pour aider la communauté d’affaires canadienne à prendre le virage numérique.
LA SÉRIE « MAÎTRISE DES DONNÉES »
De plus amples informations sont publiées concernant le rôle essentiel que peuvent jouer les CPA dans d’autres volets de la maîtrise des données, par exemple :
- l’économie numérique canadienne et le rôle des CPA
- la politique de gestion des données et ses éléments
- la compréhension de la chaîne de valeur des données
- la détermination de la valeur des données