Artisan marquant des mesures sur un morceau de bois dans un atelier
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Économie

La pénurie de main-d’œuvre deviendra la nouvelle norme

Pierre Cléroux de la BDC explique pourquoi les entreprises doivent se préparer à faire face à un déficit de compétences au sortir de la pandémie.

Artisan marquant des mesures sur un morceau de bois dans un atelierLe vieillissement de la main-d’œuvre et les transformations du marché du travail entraînent un manque de compétences qui risque de perdurer bien au-delà de la pandémie. (Kelvin Murray/Getty Images)

La COVID-19 a eu des conséquences sur de nombreux secteurs de l’économie, mais aucun n’a été plus durement touché que le marché du travail. Les manques de main-d’œuvre et de compétences observés avant la pandémie n’ont fait que s’accentuer et de nouveaux sont apparus, posant des défis aux entreprises de toute taille.

Pierre Cléroux, vice-président, Recherche, et économiste en chef à la Banque de développement du Canada, livre ici ses réflexions sur l’évolution du marché du travail et décrit ce qui nous attend à court et à moyen terme.

M. Cléroux dirige une équipe d’experts qui analysent les données économiques afin de dégager les tendances qui auront une incidence sur les entrepreneurs canadiens. Il fournit également des analyses et des conseils à la haute direction de la BDC. Le 4 novembre 2021, il a présenté les résultats de travaux menés par la Banque à la conférence virtuelle Mastering Money. 

CPA CANADA : Comment la pandémie a-t-elle transformé le marché du travail au Canada? 
PIERRE CLÉROUX (PC) :
Déjà avant la pandémie, les employeurs avaient de la difficulté à recruter. Principalement parce que le Canada a une population vieillissante. De nombreuses personnes prennent leur retraite, et il n’y a pas beaucoup de nouveaux venus sur le marché du travail. 

La pandémie a aggravé le problème de deux manières. D’abord, elle a fait chuter l’immigration de moitié en 2020 et en 2021. Selon nos calculs, cela signifie que nous avons accueilli 400 000 immigrants de moins pendant ces deux années. C’est un nombre important de personnes qui ne viennent pas grossir les rangs de la population active.

Aussi, le comportement des gens a changé. Certaines personnes ont pris une retraite anticipée pendant la pandémie. Peut-être avaient-elles déjà prévu de le faire au cours des deux ou trois années suivantes, mais elles ont choisi de devancer la date de leur départ à la retraite en raison des difficultés liées à la pandémie.

De plus, selon nos recherches, 20 % des Canadiens qui ont perdu leur emploi pendant la pandémie se sont réorientés vers d’autres secteurs. Par exemple, lorsque les restaurants ont fermé, certains travailleurs ont décidé de se diriger vers d’autres domaines qui offraient davantage de débouchés. Cela a eu pour effet d’exacerber les problèmes que connaissait déjà le secteur de la restauration.

Globalement, la pandémie a bouleversé la réalité du monde du travail, et les employeurs devront désormais gérer leur entreprise autrement.

CPA CANADA : Aux États-Unis, on a rapporté que 4 % de la main-d’œuvre avait changé d’emploi rien qu’au mois d’août. A-t-on noté un phénomène comparable au Canada?
PC :
Le secteur technologique a été particulièrement éprouvé. Toutefois, les données de Statistique Canada révèlent que dans l’ensemble, le roulement de personnel est plus faible aujourd’hui qu’avant la pandémie. Donc, de manière générale, les Canadiens ne changent pas plus d’emploi qu’avant.

CPA CANADA : De nombreuses personnes qui se voient forcées de changer de secteur n’ont pas les compétences nécessaires pour le faire. Pensez-vous qu’il y aura davantage d’investissements dans la formation et l’éducation dans les années à venir?
PC :
Oui. Lorsque nous demandons aux entreprises ce qu’elles font pour s’adapter à la pénurie de main-d’œuvre, elles nous disent que l’une de leurs principales mesures consiste à embaucher des jeunes et d’autres salariés qui n’ont pas encore les compétences requises et à les former en interne. 

De plus en plus d’organisations opteront pour cette façon de faire, car il n’est tout simplement plus possible de trouver le candidat idéal qui possède 10 ans d’expérience. Il faudra donc trouver et embaucher des personnes qui n’ont peut-être pas les compétences voulues, mais qui peuvent les apprendre avec l’aide de l’entreprise.

CPA CANADA : La Commission de transport de Toronto et d’autres employeurs encouragent les gens à sortir de leur retraite pour remédier au manque de compétences. Voyez-vous ce phénomène se généraliser? Pensez-vous que des personnes âgées choisiront de réintégrer le marché du travail et d’acquérir de nouvelles compétences?
PC :
Tout à fait. Au cours des cinq dernières années, nous avons constaté une augmentation du pourcentage de Canadiens de plus de 65 ans qui travaillent encore. Plus l’espérance de vie augmente, plus les gens travaillent longtemps. Et comme il est si difficile de pourvoir les postes, je pense que cette tendance va s’accélérer.

CPA CANADA : Quelles autres solutions les entreprises adoptent-elles pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre?
PC :
Nous avons mené une étude sur les stratégies les plus fructueuses pour composer avec la pénurie de main-d’œuvre, et l’investissement dans les technologies et l’automatisation arrivait en tête. Autrement dit, les entreprises qui investissent dans l’automatisation sont celles qui réussissent le mieux à résoudre leurs problèmes de pénurie de main-d’œuvre. 

À notre avis, le déficit de compétences n’est pas un problème à court terme qui disparaîtra après la pandémie; nous aurons besoin de solutions à long terme. Et selon nous, les technologies sont une solution à long terme. 

Je pense donc que nous allons voir beaucoup plus d’investissements en technologies au cours des cinq à dix prochaines années. Les entreprises vont prendre conscience que les technologies sont nécessaires à leur survie dans un monde où le manque de main-d’œuvre est la norme.

POUR ALLER PLUS LOIN

Envie d’en savoir plus sur les défis que doivent relever les petites entreprises depuis le début de la pandémie? Consultez les ressources de CPA Canada pour obtenir des conseils en matière de stratégie et de planification. Voyez également comment les CPA peuvent aider les PME à se remettre sur les rails, ce à quoi il faut penser avant de lancer sa propre société et comment protéger celle-ci contre la fraude. 

Par ailleurs, la conférence virtuelle Mastering Money 2021 de CPA Canada a accueilli de nombreux conférenciers de renom, dont Pierre Cléroux. Au cas où vous auriez manqué la conférence, vous pouvez y accéder sur demande.