Faillite personnelle : 4 choses à savoir avant de s’y résigner
« Les gens ont peur de la faillite. Stressés, ils vivent leur situation comme un échec, dans la honte et n’en parlent souvent même pas à leur conjoint », a constaté Pierre Leblanc, CPA (Getty Images/pixelfit).
Même si la COVID-19 suscite pas mal de remous financiers pour les ménages canadiens, le nombre de faillites semble être en baisse. De récentes statistiques publiées par le Bureau du surintendant des faillites (BSF) « font état d’une diminution record du nombre de dossiers d’insolvabilité de consommateurs déposés au deuxième trimestre de 2020 ». À l’échelle nationale, rapporte l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation (ACPIR), leur nombre a diminué de 38,4 % par rapport à octobre 2019, mais s’est accru de 6,2 % comparativement à septembre 2020.
En effet, « il y a souvent un délai considérable entre le moment où les gens commencent à reconnaître leurs graves problèmes d’endettement et celui où ils prennent des mesures pour y remédier », poursuit l’ACPIR.
Pierre Leblanc, CPA, président de Groupe Leblanc Syndic, le constate depuis plus de 20 ans : « Les gens ont peur de la faillite. Stressés, ils vivent leur situation comme un échec, dans la honte et n’en parlent souvent même pas à leur conjoint. Craignant de tout perdre, ils attendent parfois deux ans avant de réagir. » [Pour en savoir plus sur la gestion de l’argent, écoutez notre série de balados spécialisés sur la littératie financière.]
Malheureusement, l’année a été difficile pour de nombreux ménages.
Sandy Lyons, CPA, syndic autorisé en insolvabilité chez Grant Thornton, a vu toutes sortes de cas : « perte d’emploi, rupture, maladie, décès... Je vois des gens qui ont bien réussi dans la vie et qui, du jour au lendemain, font face à des événements qui bouleversent leurs plans. On voit maintenant plus de gens arriver à l’étape de la retraite et avoir encore beaucoup de dettes. »
Pierre Leblanc est d’accord.
« Privés de revenus, certains Canadiens ont dépensé plus que ce qu’ils auraient dû. Beaucoup ont aussi bénéficié de reports de paiements, ajoute-t-il, mais cela se termine, et ils devraient surveiller certains signes avant-coureurs comme des difficultés à payer une facture ou à s’acquitter d’un solde de carte de crédit. » En date du 25 novembre dernier, 99 % des 686 000 particuliers qui ont bénéficié de sursis de paiements hypothécaires avaient repris les versements, dévoilait il y a peu l’Association des banquiers canadiens. Cependant, prévient cette dernière, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, car de nombreux reports de paiement sont arrivés à échéance en octobre, si bien qu’il sera difficile de savoir avant la fin de l’année ou le début de 2021 combien de propriétaires sont en retard sur leurs versements hypothécaires.
Voici donc quatre choses à garder en tête si vous éprouvez des difficultés financières et que vous songez à déclarer faillite.
1. DEMANDER L’AVIS D’UN SPÉCIALISTE
Il est suggéré de consulter un spécialiste pour éviter certaines erreurs. Par exemple, il n’est pas recommandé d’effectuer des retraits d’un REER pour rembourser une carte de crédit. En effet, à l’exception des cotisations des 12 derniers mois, les placements de retraite ne peuvent pas être saisis par les créanciers; on ne devrait donc jamais y toucher. « Le but n’est pas de corriger le passé en commettant une erreur qui impactera l’avenir », insiste Pierre Leblanc.
Cela vaut aussi pour ceux qui mettent leur maison en garantie alors qu’elle est insaisissable, ou qui endossent aveuglément une personne ou prennent une carte de crédit conjointe. « Il faut trouver des façons de protéger nos actifs pour qu’un proche, même s’il tombe malade ou perd son emploi, ne nous entraîne pas dans sa chute financière. »
« En dressant le bilan des actifs et des dettes de la personne, on obtient un portrait de sa situation, explique Pierre Leblanc. De jeunes parents employés de bureau n’ont pas les mêmes objectifs ou priorités qu’un entrepreneur qui s’est personnellement porté caution pour un prêt d’affaires. »
2. ÉVITER LA SPIRALE DE L’ENDETTEMENT
Les sommes en souffrance sont loin d’être toujours exorbitantes mais peuvent avoir un gros impact, comme entraîner la fermeture d’un compte d’électricité, explique Pierre Leblanc. « Ce sont souvent quelques dizaines de milliers de dollars sur des cartes et marges de crédit, ce qui implique de rembourser des mensualités importantes, sans avoir de marge de manœuvre. Quand ils atteignent la limite permise, la plupart des gens acceptent les hausses de limite proposées par les institutions et s’endettent encore plus. »
Les chiffres sont pourtant éloquents, rappelle-t-il : « En se contentant des paiements minimums exigés, ils ne réalisent pas que 30 000 $ pourraient leur coûter près de 65 000 $ en capital et intérêts sur 30 ans. Ils traînent parfois une dette qu’ils pourraient rembourser en se servant d’une marge de crédit hypothécaire, mais ils ne le savent pas, en plus de souvent confondre faillite et proposition. »
3. FAIRE UNE PROPOSITION
En effet, il existe plusieurs options. Si vous êtes un particulier et que vos dettes n’excèdent pas 250 000 $ (hors hypothèque), vous pourriez faire une proposition de consommateur. « Cette procédure simplifiée vous permet de suspendre les recours de vos créanciers; garder une bonne partie de vos biens; conserver votre droit de pratique professionnelle, s’il y a lieu [et] rembourser une partie de vos dettes sans intérêt » explique Justice Québec. « La proposition de consommateur peut aussi être une procédure rapide, si celle-ci prévoit un seul versement forfaitaire (effectué, en général, à l’aide d’un financement conditionnel à l’acceptation de votre proposition par vos créanciers) ».
Si la somme de vos dettes dépasse 250 000 $ ou que vous avez une entreprise, ce sera une proposition concordataire. Comme dernière option, il y a la faillite, insiste Sandy Lyons.
« La proposition doit toujours être privilégiée. L’idée est de déterminer ce que votre capacité de payer permettra de rembourser aux créanciers, d’après des règles édictées par le BSF, et de leur donner quelque chose de plus que ce qu’ils obtiendraient si vous déclariez faillite. »
Avec une proposition, tous les créanciers sont liés dans un même dossier soumis au BSF. À partir du moment où l’offre est faite, les créanciers non garantis ne peuvent plus exiger de paiements directs, ni faire de saisie sur salaire, et doivent mettre fin aux poursuites en justice. Ils ont 45 jours pour accepter la proposition ou demander des modifications. En cas d’acceptation, les paiements sont effectués auprès du syndic, et non plus des créanciers.
« C’est de loin la solution la plus avantageuse pour tout le monde, y compris les créanciers, qui pourraient perdre encore plus en cas de faillite, confirme Pierre Leblanc. Une personne qui doit 30 000 $ pourrait ainsi rembourser 20 000 $ sans intérêt dans le cadre d’une proposition, à raison de 400 $ par mois pendant 5 ans, la durée maximale prévue. Une autre pourrait rembourser 12 000 $. Tout dépend. Dans tous les cas, elle devra assister à deux séances de consultation pour apprendre à mieux gérer ses finances. »
4. REBÂTIR SON DOSSIER DE CRÉDIT
La proposition permet de redorer son blason plus vite. « Si vous êtes capables de régler votre proposition en moins de temps que prévu, votre cote s’améliorera plus vite; or ce n’est pas le cas avec la faillite », explique Pierre Leblanc.
« En plus de procurer un certain cadre financier au failli qui sait d’avance quels paiements devront être effectués pendant les cinq prochaines années, une proposition de consommateur est aussi une meilleure option parce qu’elle a un impact moindre sur la cote de crédit », ajoute Sandy Lyons. Une fois la proposition de consommateur complétée, la cote R7 disparaît au bout de trois ans.
La cote « R » est établie par Equifax et TransUnion en fonction de vos antécédents de crédit, soit tous les comptes pour lesquels vous pouvez ne payer qu’une partie du solde chaque mois. La cote R1 correspond à la meilleure cote de crédit que vous puissiez obtenir quand vous acquittez votre solde à temps, et la cote R9, à la pire. Entre les deux, vous avez une variété de cotes « R » établie selon le nombre de jours de retard avec lequel vous payez votre solde : R2 correspond à 30 jours de retard; R3, à 60 jours de retard; R4, à 90 jours de retard; et R5, à 120 jours de retard (la cote R6 n’est pas utilisée). Voilà pourquoi une fois la cote R7 attribuée, il pourrait être difficile et coûteux d’obtenir du crédit, mais pas impossible.
La durée d’une première faillite est de neuf mois, mais si votre revenu mensuel dépasse certains seuils de faible revenu établis par le BSF, vous serez considéré en situation de revenu excédentaire, ce qui changera la durée de votre faillite (21 mois) ainsi que le montant de vos paiements. Pour une famille de 4 personnes par exemple, le seuil est fixé à 4 168 $ (de nombreux exemples de calculs sont disponibles ici). Dans le cas d’une deuxième faillite, vous en serez libéré après 24 ou 36 mois.
Une fois que vous serez libéré de votre faillite, la cote R9 sera à votre dossier pour six ans (14 ans, après une deuxième faillite). Avec cette cote, vous ne pourrez plus obtenir de crédit ou de prêts, et pourriez devoir vendre des actifs pour rembourser vos créanciers. Auto, maison, meubles, effets personnels, outils de travail nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle : la valeur de ce que vous serez en droit de garder dépend de chaque province. Malgré les conséquences, la faillite représentait pourtant encore 40 % des 137 178 dossiers d’insolvabilité de consommateurs déposés au BSF en 2019.
Certaines personnes tentent bien d’abuser du système en faisant de gros achats dans les semaines qui précèdent leur faillite, en transférant des fonds à un tiers on en vendant leur résidence pour placer l’argent récolté au nom du conjoint, mais les fautifs en paient souvent les conséquences : un transfert de bien auprès d’un inconnu peut être considéré comme une transaction nulle si effectuée moins d’un an avant la faillite, ou moins de cinq ans auprès d’un membre de la famille.
Mais ces cas sont rares. « La majorité des personnes qui se retrouvent en défaut de paiement sont de bonne foi, constate Pierre Leblanc. Souvent, elles n’ont juste pas eu de chance et ne possèdent malheureusement pas les connaissances financières adéquates. »
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