Laisser ses employés travailler depuis l’étranger : des impacts fiscaux souvent méconnus
Un employeur devrait toujours savoir où vivent ses employés, car leur lieu de travail peut avoir des implications fiscales pour l’organisation. (Getty Images/StudioImages)
Malgré la fermeture encore quasi généralisée des frontières, les nomades numériques sont plus nombreux que jamais : 35 millions dans le monde. Avec l’instauration d’un passeport vaccinal et la généralisation du travail à distance, de plus en plus de salariés envisagent de télétravailler depuis l’étranger.
Toutefois, avant de laisser leurs employés faire leurs valises, les employeurs doivent étudier plusieurs obligations juridiques et fiscales. « Les risques de non-conformité sont réels pour l’employeur », insiste Annie Poitras, CPA, première directrice principale, Fiscalité, chez Raymond Chabot Grant Thornton à Québec. « Le non-respect des obligations fiscales peut entraîner des situations vraiment problématiques. Il est préférable de planifier et de prendre les mesures nécessaires. »
POSER LES BONNES QUESTIONS
Avant d’acquiescer à la demande d’un employé désireux de télétravailler depuis l’étranger, un employeur doit vérifier quel sera le statut de résidence de celui-ci dans le nouveau pays et les engagements fiscaux qui en découlent. [Pour en savoir plus sur les implications fiscales à long terme du télétravail, consultez cet article, où Bruce Ball, vice-président, Fiscalité, à CPA Canada, présente ses réflexions sur la question.]
« Il faut bien comprendre que la situation diffère d’un pays à l’autre. Il n’y a pas de solution unique », fait observer la fiscaliste. Même si les employés sont transparents sur l’endroit où ils déménagent, c’est bien l’employeur qui doit s'assurer qu’ils respectent les règles en vigueur dans le pays étranger. En plus de demander conseil à un professionnel, les organisations doivent se poser les questions suivantes, selon Annie Poitras :
- L’entreprise devra-t-elle s’acquitter de nouvelles obligations fiscales?
- Existe-t-il une entente de sécurité sociale entre les deux pays?
- Que fera l’employé là-bas, et pendant combien de temps? « À moins qu’il ait la double citoyenneté, la durée de séjour est souvent limitée », rappelle Annie Poitras.
- Doit-on fixer un nombre maximal de semaines?
- L’employé sera-t-il seul en télétravail chez lui ou très actif localement, à faire du soutien technique en personne auprès de clients, par exemple?
- L’employé deviendra-t-il résident fiscal du pays hôte? Advenant le cas, il peut très bien demeurer un résident du Canada, et être néanmoins assujetti à un impôt étranger. [Pour en savoir plus sur l’impact d’un déménagement à l’étranger sur le statut de résident, lisez Quitter le pays de façon permanente : une démarche lourde de conséquences fiscales].
Les réponses devraient aider l’employeur à déterminer s’il y a un risque pour l’employé de créer un établissement stable, et donc une présence imposable, dans un autre pays. Il faut aussi considérer le type d’activité exercé par l’employé et le bénéfice attribuable à cette activité pour l’entreprise, peut-on lire sur le site web de Moss Adams, un des grands cabinets comptables des États-Unis.
En outre, il faut tenir compte des pouvoirs dont dispose l’employé au nom de son organisation, comme sa capacité à conclure des contrats. L’objectif, toujours d’après Moss Adams, est de saisir quels éléments du travail accompli par l’employé dans le pays où il travaille peuvent déclencher une présence imposable, car l’employeur pourrait très bien devoir payer de l’impôt sur le revenu ou remplir une déclaration même si aucun impôt n’est prélevé.
COMPRENDRE LES ENJEUX FISCAUX
Même si certains pays font valoir une exonération d’impôt local sur les revenus, cela ne veut pas nécessairement dire que la personne ne sera pas assujettie à l'impôt canadien, dans la mesure où, par exemple, elle restera résidente du Canada si sa famille vit toujours ici. « Croire qu’on ne paiera pas d’impôt au Canada à notre retour serait illusoire », souligne Jean Gabriel Crevier, cofondateur du cabinet montréalais Le Chiffre.
Il s’agit d’une information importante, car un résident du Canada doit déclarer ses revenus de toutes provenances, c’est-à-dire ses revenus de source canadienne et étrangère gagnés après qu’il est devenu résident du Canada aux fins de l’impôt sur le revenu, explique-t-on sur le site web de l’Agence du revenu du Canada.
Voici plusieurs autres facteurs que les employeurs doivent prendre en compte.
- Cotisations sociales
« La première chose qu’un employé doit dire à son employeur, c’est le pays où il envisage de s’établir, souligne Annie Poitras, car ce qui compte, ce n’est pas la devise dans laquelle il est payé, mais les obligations fiscales de l’employeur vis-à-vis du pays d’accueil. »
L’employeur pourra alors prendre contact avec les autorités fiscales du pays pour savoir ce qu’il est tenu de payer comme impôts ou charges sociales locales. En manquant à ses obligations fiscales, l’entreprise encourt une pénalité et des intérêts qui peuvent être élevés.
« Aussi, il serait faux de croire que si un employé n’est pas tenu de payer d’impôt au pays hôte, son employeur ne le sera pas non plus, car d’autres règles régissent l’imposition des sociétés, rappelle Annie Poitras. Seul le pays d’accueil peut accorder une dérogation en fonction des obligations fiscales en vigueur. »
Enfin, si un pays ne fait pas payer d’impôt sur le revenu, cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas en payer au Canada. Même s’il peut vivre temporairement à l’extérieur du Canada, un résident verra ses revenus imposés au Canada comme ils le sont habituellement s’il a conservé des liens de résidence importants.
- Convention fiscale bilatérale
Même si le Canada a signé une convention fiscale bilatérale avec une centaine de pays, et que la convention de base a été établie par l’OCDE, il n’y a pas d’approche unique, fait remarquer Annie Poitras.
« Aux États-Unis, par exemple, la convention permet aux non-résidents du pays de demander une dispense de retenues à la source pourvu qu’ils aient des revenus de moins de 10 000 $ par année civile ou qu’ils restent moins de 183 jours sur place par période de 12 mois et qu’ils ne soient pas employés par une société américaine ou qui a un établissement permanent aux États-Unis. »
Mais là encore, la prudence s’impose, précise la CPA, puisque « tous les États ne respectent pas la convention fiscale fédérale, y compris au sein d’un même pays. La Floride le fait, mais pas la Californie, par exemple. Voilà pourquoi un employeur devrait savoir en tout temps où sont ses employés, car ceux-ci pensent rarement aux conséquences fiscales pour l’organisation ».
- Crédit pour impôt étranger
Si vous autorisez vos employés à travailler de l’étranger, prévenez-les également qu’ils pourraient avoir à payer sur place des impôts de non-résident sur leur salaire.
« Quand ils produiront leur déclaration de revenus au Canada, ils pourraient demander un crédit, mais attention, prévient Annie Poitras, le fisc n’accepte pas systématiquement les charges sociales de tous les pays comme crédit pour impôt étranger, car celles-ci sont parfois très élevées (comme en France) comparativement aux impôts. »
« Dans ce cas, un contribuable pourrait se retrouver avec une facture supplémentaire, surtout si son employeur n’a pas prélevé suffisamment de retenues à la source et de cotisations, comme celles au RPC, au RRQ et à l’assurance-emploi », ajoute Annie Poitras.
SAVOIR SE CONFORMER
Du type de travail qui peut être effectué à la convention fiscale en vigueur, les employeurs doivent faire des recherches approfondies avant de permettre aux employés de travailler depuis l’étranger, résume Annie Poitras.
Surtout qu’on le devine : « Encore plus quand il n’y a qu’un employé concerné, les coûts de conformité fiscale peuvent être vraiment élevés, insiste la CPA. Cela revient à faire les démarches nécessaires pour se créer un système de paie sur place, comme un employeur local : ouverture d’un compte bancaire pour les virements, mise en place de retenues à la source, production des formulaires requis, etc. Qui plus est, si les lois peuvent se ressembler entre deux pays européens voisins, c’est bien moins vrai entre l’Europe et l’Amérique ou l’Asie, ce qui oblige à refaire le travail chaque fois. »
Jean Gabriel Crevier le confirme : « Deux de nos employés travaillent en ce moment d’Haïti et du Mexique. On n’a pas hésité à approuver les demandes, car ce n’était pas pour du long terme, mais temporaire. Si nous devions avoir des employés en permanence à l’étranger, nous consulterions un spécialiste pour réévaluer les risques. »
EN SAVOIR PLUS
Cet article est un résumé de règles fiscales complexes. Besoin de conseils fiscaux précis? Faites appel à un comptable professionnel agréé pour ne payer que votre juste part d’impôt. Consultez en ligne le répertoire des membres de votre organisation comptable provinciale ou régionale.
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