Sanctions visant la Russie : la prudence s’impose pour les CPA
Étant donné que les clients ont la possibilité de dissimuler ou de déguiser les traces d'argent, il est particulièrement important que les CPA soient vigilants. (Vladimir Vladimirov/Getty Images)
En réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Canada a imposé plusieurs sanctions, restrictions et interdictions dans des domaines aussi divers que les services financiers et certains types d’exportations. Que vous exerciez en cabinet ou en entreprise, vous devez connaître ces mesures et les risques liés au contournement des sanctions, au blanchiment d’argent ou autres.
Voici quelques précautions à prendre.
FAMILIARISEZ-VOUS AVEC LA RÉGLEMENTATION
Michele Wood-Tweel, FCPA, vice-présidente, Affaires réglementaires, à CPA Canada, explique que deux sortes de mesures distinctes mais liées sont en jeu : les sanctions économiques, et les règles et exigences de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes.
C’est le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie du gouvernement fédéral qui régit les sanctions et interdictions. Michele Wood-Tweel rappelle qu’il est criminel de contourner ces dernières. « Les personnes habitant au Canada tout comme les Canadiens vivant à l’étranger doivent les respecter. »
Au départ, en février, la liste de sanctions et d’interdictions visait une centaine de personnes et d’entités. Elle en compte maintenant plus de 1 200, et il s’en ajoute régulièrement.
Soulignons que le fait de se soustraire aux sanctions ne constitue pas en soi une infraction de blanchiment d’argent (qui relève plutôt du champ de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Les personnes et entités visées par cette loi qui en enfreignent les dispositions s’exposent à des pénalités administratives pécuniaires qui seront rendues publiques ou à des accusations criminelles passibles d’amende ou d’emprisonnement.
Éric Lachapelle, CPA, leader national, Crimes financiers, à KPMG Canada, résume ainsi la différence entre la lutte contre le blanchiment d’argent et les sanctions économiques : « La lutte contre le blanchiment implique de prévenir, détecter, décourager et signaler certains types d’activités, alors que les sanctions économiques vont au-delà. Leur but est d’empêcher les entreprises comme les particuliers d’offrir des services aux personnes et entités visées, et de forcer le respect des autres restrictions en toutes circonstances. La difficulté, c’est que chaque pays instaure ses propres sanctions et que de nouvelles s’ajoutent chaque semaine, voire chaque jour, dans le contexte exceptionnel de la guerre en Ukraine. »
SOYEZ SUR VOS GARDES
Les entreprises offrant des services financiers, d’échange de devises ou de transactions internationales – banques, assureurs, importateurs/exportateurs, etc. – sont les plus à risque de manquement, selon Éric Lachapelle. « Même si l’erreur est accidentelle, les CPA, les organisations ou leurs clients pourraient devoir payer des pénalités sévères ou voir leur réputation ternie. »
Marc Tassé, CPA et expert en crimes financiers, abonde dans le même sens : « Le Groupe d’action financière, ou GAFI, sait depuis longtemps que, partout dans le monde, les comptables peuvent être trompés par ceux qui cherchent à blanchir de l’argent. C’est pourquoi les comptables comme les cabinets doivent bien jauger les clients potentiels avant de faire affaire avec eux. »
SACHEZ RECONNAÎTRE LES TACTIQUES DE BLANCHIMENT
Les personnes ou entités qui blanchissent de l’argent ou tentent de contourner les sanctions économiques emploient différentes méthodes pour dissimuler l’origine des fonds et des actifs : comptes à l’étranger, sociétés-écrans, transferts de fonds successifs d’un pays à un autre. « Ils veulent brouiller les pistes avant de réintégrer cet argent dans l’économie, souvent par l’achat de propriétés, de bateaux de luxe ou d’entreprises, précise Éric Lachapelle. Ils passent souvent aussi par la cryptomonnaie, moins réglementée. Mais les outils pour retracer les transactions et détecter la violation des sanctions et les tentatives de blanchiment se multiplient. »
La vigilance est donc de mise, car la piste des flux d’argent peut être masquée ou maquillée. « Une transaction qui semble anodine peut finalement émaner de la Russie ou de la Biélorussie », prévient Michele Wood-Tweel.
PRUDENCE ET MÉFIANCE SONT MÈRE DE SÛRETÉ!
La leçon? « Les CPA doivent s’assurer de ne pas servir d’intermédiaires dans les activités des blanchisseurs ou de ceux qui contournent les sanctions, martèle Michele Wood-Tweel. Scrutez bien les transactions. N’acceptez pas aveuglément ce qu’on vous présente. Remontez le fil de la transaction pour trouver qui l’a lancée et qui tire les ficelles, puis vérifiez si cette personne ou organisation figure sur les listes de sanctions. »
Marc Tassé renchérit : « Vérifiez toujours la propriété. Si l’administrateur agit pour le compte d’un autre, par exemple, vous devez savoir qui est le bénéficiaire effectif. »
Il recommande aussi d’instaurer un programme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes reprenant les six points définis dans le guide publié en 2022 à ce sujet par CPA Canada :
- désigner un agent de conformité;
- élaborer et appliquer des politiques et des procédures de conformité écrites;
- mener une évaluation des risques;
- élaborer et tenir à jour un programme écrit de formation continue;
- élaborer et consigner un plan pour le programme de formation;
- évaluer l’efficacité du programme de conformité tous les deux ans.
« Les dernières règles exigent qu’on se dote de bons outils pour détecter les activités douteuses et les signaler afin de lutter contre le blanchiment d’argent et de reconnaître ce qui n’est pas permis en vertu des différents régimes de sanctions économiques, souligne Éric Lachapelle. Même si certains CPA n’auront pas forcément le budget nécessaire pour des solutions à grande échelle, tous devraient minimalement se renseigner sur la réglementation. »
Une autre clé : la formation. « C’est la seule façon de se tenir à jour dans la mouvance actuelle, poursuit l’expert en crimes financiers. Vous devez connaître non seulement le régime en vigueur là où vous exercez, mais aussi celui des pays où des sanctions s’appliquent si votre entreprise ou vos clients peuvent être assujettis à leur réglementation. Les sanctions économiques ne concernent pas uniquement les avoirs détenus dans ces pays ou les affaires qui y sont menées. Un mauvais conseil peut aussi avoir de graves conséquences. »
Nos trois spécialistes recommandent également à tous les comptables et cabinets de vérifier régulièrement les sites Web d’Affaires mondiales Canada et du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) pour prendre connaissance des mises à jour. (Le bulletin spécial de CANAFE de mars 2022 contient de l’information précieuse sur le blanchiment d’argent lié à la Russie et le contournement des sanctions.)
« CANAFE met souvent à jour ces renseignements. Pour ne rien manquer, inscrivez-vous à sa liste de diffusion, suggère Michele Wood-Tweel. Vous serez ainsi avisé des nouvelles publications et obligations. »
FAITES VOS DEVOIRS
CPA Canada vous offre une mine de ressources sur les règles et les développements dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent, de même que sur les risques de non-conformité aux exigences en la matière.
Vous pouvez aussi vous renseigner sur les progrès du Canada dans l’application des recommandations du GAFI, consulter notre guide sur la lutte contre le blanchiment d’argent et suivre notre webinaire sur les derniers développements dans ce domaine.
Pour en savoir plus sur les sanctions touchant la Russie, lisez l’article intitulé « Que signifient les crises mondiales pour les CPA au Canada? ».