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Mener à bien la révolution, un repas à la fois

Environnement, bien-être animal, santé humaine, abordabilité : notre assiette vit de profonds changements, pour le meilleur. Adieu veau, vache, cochon!

Couverture de livre montrant un cochon qui mange un épi de blé et porte des lunettes de soleilLe nombre de Canadiens qui se passeront de viande ou en mangeront moins pourrait dépasser les 16 millions d’ici 2025. (tous droits réservés)

L’inflation qui sévit depuis quelque temps a mis à mal l’assiette de nombreux Canadiens. Mais à lire La Révolution des protéines (Les Éditions de l’Homme, 2022), on comprend qu’une transformation bien plus grande est en cours et que les protéines animales tirent tranquillement leur révérence.

DÉCLIN AUX CAUSES VARIÉES

Les protéines font pourtant partie de notre vie depuis toujours, rappelle Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques alimentaires à l’Université Dalhousie, à Halifax. 91 % des Canadiens mangent de la viande; plus de 60 % d’entre eux en mangent au moins 4 fois par semaine. Par an et par personne, nous ingérons 40 kilos de poulet et 26 de bœuf. Mais voilà : « L’acte de consommer de la viande vieillit mal. On l’associe à un monde plus rudimentaire, plus masculin, plus exclusif et moins contemporain. »

Élément important du Guide alimentaire canadien, le lait a été remplacé par l’eau comme boisson de choix dans l’édition 2019. Le message est clair pour l’auteur : « L’agence fédérale a de sérieuses réserves sur les vertus nutritionnelles des produits laitiers tant vantés par l’industrie. »

Et puis d’autres préoccupations, notamment budgétaires, agitent les consommateurs. Selon Statistique Canada, entre 2009 et 2021, les salaires moyens bruts ont augmenté de 35,5 %. Durant la même période, le bœuf a augmenté de 99 %, le saumon de 100,9 %, les œufs de 46,9 % et le porc de 39 %, ce qui explique que les Nations unies aient classé le Canada au 18e rang mondial en matière d’abordabilité alimentaire. La situation immobilière au pays n’aide pas : le prix des maisons y a augmenté de plus de 168 % au cours des 20 dernières années, soit le taux le plus élevé parmi tous les pays de l’OCDE. Conséquence : quand on veut économiser, on coupe dans la viande.

S’ajoutent encore des enjeux environnementaux. La production d’un litre de lait de vache a une empreinte environnementale de 8,95 m² alors qu’elle est de 0,76 m2 pour une boisson végétale à base d’avoine. En outre, 628,2 litres d’eau seront nécessaires à la production du même litre de lait, quand la moitié suffit pour une boisson à base d’amande. Sans parler de l’intolérance au lactose, dont 7 millions de Canadiens souffriraient. Rien qu’entre les viandes, d’importants écarts existent. Si la production d’un kilo de porc ne génère « que » 12,9 kilos de CO2, celle d’un kilo de bœuf en génère 32,5. Protéines végétales et légumes se situent sous la barre des 2 kilos.

Autant de considérations que les Canadiens, en particulier les moins de 35 ans, entendent. Surtout quand des organismes comme le GIEC leur disent que, pour devenir des citoyens responsables en matière d’environnement, ils devraient se limiter à un seul repas de viande par semaine. Alors que 800 millions de bêtes passeront à l’abattoir cette année, on réfléchit aussi davantage au bien-être animal, constate Sylvain Charlebois. « La science nous dit que les animaux de ferme possèdent une plus grande capacité d’aimer et de souffrir qu’on ne le pensait. » Plusieurs pays sont d’ailleurs sur le point d’interdire le foie gras, et on réclame de plus en plus souvent que les poules soient élevées en liberté.

Et puis les scandales se sont multipliés : crise de la vache folle, éclosion de listériose (Maple Leaf) ou d’E. coli (XL Foods), « buttergate » (ajout d’huile de palme dans l’alimentation des vaches), saumon génétiquement intégré dans les produits transformés, etc.

VIRAGE AMORCÉ

Selon les dernières estimations de l’Université Dalhousie, le nombre de Canadiens qui se passeront de viande ou en mangeront moins pourrait dépasser les 16 millions d’ici 2025. Il faut dire que les alternatives sont nombreuses et abondantes. Les légumineuses, par exemple, sont devenues la 5e récolte en importance au pays, qui en exporte pour plus de 4 G$ US dans 130 pays. On peut aussi compter sur le seitan, le tofu, les insectes ou les algues, autant de produits dont les qualités nutritives, éthiques et environnementales sont nombreuses. Bien sûr, il faudra un temps de transition, mais regardez Beyond Meat : peu de gens y croyaient au départ. L’entreprise vaut maintenant 8 G$.

Fabriquée en laboratoire, la viande cellulaire, elle, a la même composition que la viande traditionnelle mais peut être produite sans qu’aucun animal ne soit tué. Selon McKinsey, le marché mondial de la viande cultivée pourrait atteindre 25 G$ d’ici 2030. Au cours des 9 prochaines années, le coût de production d’une livre passera de 10 000 $ à 2,50 $.

La Révolution des protéines est un court essai, percutant, qui dresse la table aux protéines de demain sans faire fi de l’histoire de notre pays ni des intérêts d’une industrie tentaculaire. Omnivore déclaré, Sylvain Charlebois y explique avec brio comment les Canadiens ont déjà changé certaines de leurs habitudes alimentaires pour un avenir plus viable. Un message fort, alors qu’on n’a jamais autant parlé de facteurs ESG ni de durabilité.

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